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Je descends des escaliers, me menant au sous-sol. Je trouvais cela étrange que cela ne soit pas gardé, cependant après réflexion, cet endroit semble bien dissimulé, et personne ne devrait connaître l'emplacement de la tombe de la Grande Reine.

Je marche avec précaution, mes alentours étant sombre. Je m'avance et m'avance, jusqu'à arriver à un endroit semblable à un jardin magique. Des fleurs de toutes les couleurs sont plantés tout autour de la pièce, et en plein milieu se trouve la tombe de la Grande Reine.

Un sentiment de familiarité me frappe, comme l'impression d'être chez moi. Je m'avance vers elle, voyant enfin, à travers sa tombe en glasse, pour la première fois le visage de la femme la plus attendue du royaume, la légende de notre peuple, la sœur du Grand Roi.

- Grande Reine... murmuré-je.

Ses cheveux argentés tombaient le long de ses épaules, ses yeux sont clos et ses bras croisés sur sa poitrine mais... malgré son apparence paisible, une flaque de sang réside à ses côtés, provenant de son dos. Là où son traître époux l'avait poignardé. Cela n'était donc pas une légende...

Sa beauté, presque irréelle, m'a perturbée au point d'en oublier les règles de politesse.

Alors, pour la première fois depuis deux cents ans, je m'agenouille face à sa tombe, la tête inclinée.

- Votre Majesté, la Grande Reine... je me présente, princesse Della d'Inimia, de la famille Avalorn.

Au lieu d'une réponse, des rires d'enfants se faisaient entendre. Dans le petit jardin construit près de sa tombe, plusieurs enfants sont présents. Tous ayant les cheveux blancs, ou argentés. Je les reconnais. La Grande Reine, le Grand Roi, et leur neuf frères.

En l'espace de quelques secondes, je suis témoin du bonheur absolu de cette fratrie à mesure qu'ils grandissent. Ils sont restés toujours aussi proches qu'ils l'étaient, enfants. Et finalement, le tableau se réduit. Un frère s'en va. Deux frères s'en vont. Et bientôt, toute la fratrie, incluant le Grand Roi et excluant la Grande Reine, a disparu.

La Grande Reine, devenue la dernière de sa famille à connaître l'ancien Royaume tel qu'il était, à ne pas l'avoir vu divisé.

- Mon premier amour ; ce preux chevalier au cœur pure. Notre amour était si resplendissant, un amour dont je rêvais depuis enfant. Un rêve devenu réalité.

Je sursaute en entendant sa voix. Une voix emprunte de douceur, presque angélique. Un instant, les larmes bordaient mes yeux alors que les souvenirs de ma mère revenaient à la surface. Sa voix était tout aussi tendre.

- Dieu, que j'ai ignoré les avertissements de père. L'amour m'a aveuglé, et je n'en sors qu'avec des regrets.

- Ce n'est pas de votre faute, Grande Reine, lui répondis-je.

- ... Et voilà que mon entêtement n'a causé que la mort de mes chers frères, de mon pauvre père, et la destruction d'un royaume qui n'avait comme pilier que la paix. Aucun bien n'est venu de moi. Et voilà que des années plus tard, les descendants de ma famille tentent de réparer ma fatale erreur.

Sous mes yeux, elle apparaît, amoureuse et joyeuse dans le même jardin où je me promène quelques fois. L'homme a ses côtés semblait aussi amoureux qu'elle, mais ses yeux faisaient cohabiter un autre sentiment ; l'avidité.

Elle était aveuglé par l'amour, il était aveuglé par l'avidité, le désir de pouvoir.

Et enfin, vient le moment fatidique, le moment qui a changé le cours de l'histoire ; l'assassinat de la Grande Reine.

- Il vous aimait, mais cela n'était pas assez, dis-je, les poings serrés. Il a décidé de trahir son propre cœur, cela n'est nullement votre faute.

- Je suis à blâmer.

Je m'agrippe à sa tombe, sentant la vie quitter son corps, sentant chacune de ses émotions. Je ne voyais pas uniquement ses souvenirs, je les vivais.

- Ce n'est pas de votre faute, dis-je avec insistance. Ce n'est pas de votre faute ! Je ne vous laisserais pas dire le contraire, entendu ?

- ... Je veux voir mon frère. Je veux mon frère, il me manque.

Je soupire, sentant toute sa frustration et son manque. Je reconnais ce sentiment comme le mien, ce sentiment de manque, ce sentiment d'être loin de son propre sang mais si proche... pour autant, incapable de se voir, de se prendre dans les bras.

- Je vous amènerais à lui, c'est ma mission, lui assuré-je. Je dois simplement reprendre nos terres et détruire Althea.

Je ne le vois pas, je le sens. Je sens ses bras m'entourer, me serrer contre elle. Je ferme alors les yeux, savourant ce léger moment de paix. Si seulement Freya pouvait la voir, elle verrait à quel point elles se ressemblent. Je faillis verser des larmes, sentant enfin, pour la première fois depuis des mois, une présence réconfortante et familière.

A la fin de cette guerre, lorsque nous serons de nouveau libre, je serais réunis avec ma grande sœur, et je réunirais la Grande Reine avec son frère. Avec ses frères. Notre famille connaîtra enfin le bonheur, un bonheur qui ne sera jamais troublée.

- Della... le sang de mon frère coule en toi, me dit-elle doucement. Enfin... enfin, je ne suis plus seule. Ne me laisse pas, Della.

- Je suis à vos côtés, votre Majesté, lui dis-je en souriant tristement. Je tenterais de venir vous voir le plus possible. Et je vous promets que je ferais vivre à cette famille, ce qu'elle vous a fait vivre.

Son esprit s'évapore, et je ressens un avertissement urgent et clair de sa part. Je me ressaisie, m'approchant lentement de la sortie. Je le sens aussi, la présence d'une personne. Il n'y a que deux personnes dans ce palais qui connaissent cet endroit.

Mon cœur se met à battre. Si je me fais attaquer, ou attraper, je ne pourrais même pas me défendre. Je n'ai pas le droit de me promener dans le palais avec une arme, ce serait trop suspect et ils ne me font pas encore autant confiance.

La présence de la personne se confirme lorsque j'entends des bruits de pas. Et cela se confirme encore plus lorsque je tombe nez à nez avec la personne, le bout de son épée pointé contre ma gorge.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now