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Ma vision est brouillée pendant un instant, un petit instant qui me permet de me révéler du lit sur lequel je m'allongeais. Je ne pense pas être au palais, les lits ne sont pas aussi inconfortables. Après avoir cligné des yeux plusieurs fois, mes pensées se confirment ; je ne suis pas au palais.

Je ne panique pas. Je reste figée un instant, tentant de retracer mes souvenirs d'avant pour comprendre ce qui a bien pu se passer pour que je sois ici. Mais mes souvenirs sont flous. La dernière chose dont je me souviens clairement est le Duc Valerius... Je suis partis chez lui, et je ne me souviens pas d'être rentrée.

- La princesse s'est réveillée.

Je lève la tête soudainement en entendant une voix masculine. N'étais-je pas seul ? L'homme s'approche, je ne le reconnais pas.

- Qui êtes-vous ? 

Aussitôt la question posée, cela me frappe de plein fouet. Ses yeux. Deux couleurs bien distinctes. Un œil gris, l'autre noisette. Cette absence de couleurs, la colère de la Reine sur cette famille... Je la reconnaîtrais entre mille.

- Regarde-moi dans les yeux, dit-il en se baissant à ma hauteur, te disent-ils quoi que ce soit ?

- Non... Non, c'est la première fois que je vois de tels yeux. Dis-je doucement. Allez-vous me faire du mal ?

Je ne mentais pas. C'est véritablement la première fois que je voyais de tels yeux... que je voyais ce que je me suis jurée d'haïr, de détruire. Je relâche tous mes muscles, tentant de ne pas paraître tendue. Je ne me rappelle pas entièrement de ce qui m'est arrivée, mais s'il y a bien une chose qui est sûr c'est qu'enfin, la fameuse rencontre attendue depuis des décennies et des décennies est arrivée.

Un membre d'Althéa, face à un membre d'Inimia.

- Je t'ai reconnu grâce à tes cheveux, continue-t-il, je suis certain que tu peux me reconnaître grâce à mes yeux.

- Je ne vous reconnais véritablement pas, lui répondis-je. 

Je le fixe, remarquant une dague proche de lui. Ô prince d'Althea, suis-je aussi terrifiante ? As-tu réellement besoin d'une arme face à une femme désarmée ? Sache, vile prince, que si je le voulais je pourrais mettre fin à ta vie sans armes. 

- Je suis le prince d'Althea. Cela te dit-il quoi que ce soit ? Me demande-t-il, avec impatience.

- ... Un prince ? Althea ? Dis-je, paraissant confuse, les sourcils froncés. Je ne connais rien de tout cela, si vous voulez jouez avec moi, cela n'est pas amusant.

Il fronce les sourcils, tentant de comprendre la situation. Mon sang bouillit d'une rage incontrôlable, je n'ai que des idées de meurtre à l'esprit. J'ai l'occasion d'enfin nous venger, de mettre fin à la lignée d'Althea. Cependant, considérant les rumeurs sur le roi d'Althea, si son fils parvenait à décéder, il procréera à nouveau, encore et encore.

- Quelle est la dernière chose dont tu te souviens ? Demande-t-il.

- Je... euh... Je ne sais pas. Mon esprit est comme recouvert d'un grand brouillard. Tout est flou. M'avez-vous... M'avez-vous fait quoi que ce soit ? Dis-je, la voix pleine d'inquiétude. 

- Je n'ai rien fait. Tu as été attaquée. Je t'ai trouvé inconsciente dans les bois. Me dit-il d'une voix désormais douce. Quel homme ferait du mal à sa fiancée ?

Je fais les gros yeux. Que dit-il ? A-t-il complétement perdu la tête ?

- Fiancée ?

- Oui. Répond-il. Notre mariage est très proche.

Il me haït autant que je le haïs, il veut ma mort autant que je veux la sienne. Lui, son père et tous ses ancêtres ont toujours tentés de nous déshumaniser pour nous être battus contre eux et pour vouloir récupérer nos terres. Nous sommes des animaux à leurs yeux. Alors sa raison pour mentir à cet instant, au lieu de me tuer au milieu de nul part, est assez évidente ; pouvoir atteindre ma sœur, ou mieux encore, m'utiliser contre ma propre famille.

- Comment puis-je être certaine que vous ne mentez pas ? Lui demandé-je.

Surprise, il me tend sa main. Je la fixe, le cœur battant.

- Il n'y a qu'une solution, viens avec moi dans mon royaume. Me dit-il en souriant. Viens dans mon palais. 

Je n'ai pas besoin de réfléchir pour savoir que c'est bien la meilleure idée qui soit. Je ne suis jamais partie à Althea, et encore moins dans leur palais, mais je ne m'y oppose pas. Après deux cent ans, les pieds d'une Avalorn foulera nos anciennes terres. Les terres où repose ma Grande Reine.

Je prends la main du Prince, malgré le dégoût instantané que cela me procure. Qu'il m'amène avec lui, nos anciennes terres doivent manquer leur véritable propriétaire. Qu'il m'amène dans son palais, qu'il m'amène avec l'apparence d'un ange, sans que personne ne puisse remarquer que je me suis arrachée mes propres ailes.

Je repense à ma famille avec regret, cependant je me rappelle que j'y vais pour une bonne raison. Je partirais, et je ne reviendrais pas avant que la famille royale d'Althea a totalement disparue. 

- Nos ennemis t'ont enlevés dans le royaume ennemi. Me prévient-il. Nous allons en sortir, mais j'aurais besoin de ta discrétion. Et avec cette chevelure, être discrète sera compliquée.

-  Que dois-je faire alors ? Dis-je, les yeux remplis d'inquiétude. Je n'ai rien pour couvrir mes cheveux.

Le prince enlève son manteau et me le tend. Je le fixe quelques secondes avant de le saisir. Je le revêts et le rabat sur la tête. Je ne veux pas non plus être repérée. Si c'est le cas, tout mon plan échouera.

Sans crier gare, il prend ma main dans la sienne et nous quittons la petite maison. Je suis encore un peu étourdie par le coup que j'ai reçu à la nuque, mais je tente de tenir bon. Nous marchons ensemble à travers la nuit sombre, contournant les obstacles avec précaution. Le Prince me guide habilement, comme s'il connaissait le chemin par cœur. J'ai du mal à croire que je suis à ses côtés, que je me dirige vers Althea, le royaume que j'ai juré de détruire.

Je sais que nous nous rapprochons d'Althea, alors discrètement, je lâche un dernier regard à mon Royaume, sentant son air, touchant sa terre. Ma maison me manquera. Mon père me manquera. Ma sœur me manquera. Dire que j'ai refusé de la voir à cause de Madame, pour qu'elle ne découvre pas ce qu'elle me faisait. Je n'ai pas pu lui parler une dernière fois. Et que dira mon père lorsqu'il verra que je ne rentrerais pas ? Madame s'en réjouira probablement. Elle se trouvera bientôt un autre jouet, puisque je ne serais plus là.

Ils retrouveront sûrement les gardes, et penseront que je suis décédée. Pour eux, je vais survivre. Je ne veux pas leur faire de mal, mais notre Royaume est plus important. Qu'ils pensent que je suis décédée un temps, puis je leur reviendrais. Je leur reviendrais, avec la tête du roi et du prince d'Althea. Je leur reviendrais, avec la gloire de notre ancien royaume, avec nos terres longtemps volées.

Je leur reviendrais, et la liberté avec. 

L'ombre écarlateOnde histórias criam vida. Descubra agora