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- Nous avons gagné la bataille... Mais à quel prix ?

Le ciel sombre était brumeux, mais il n'y avait pas de nuages ce soir. Des éclats de couleurs apparaissaient, et tous se passaient comme ce fameux cauchemar. Seulement, le ciel n'était pas écarlate, mais orangé.

Mes yeux, remplis d'horreur, ne quittaient pas la fenêtre, le ciel. Les explosions ne pouvaient être entendus d'ici, cependant je sentais chaque frappe secouer mon corps. C'est donc cela les nouvelles armes d'Althea, des armes redoutés, capable d'assassiner une centaine de personnes en une simple frappe ; des bombes.

Des étoiles filantes mortelles, semant le chaos et la destruction.

Je me sens nauséeuse, l'horreur me frappant de plein fouet. La vision des éclairs orangés dans le ciel n'était que le reflet des cris des innocents, les pleurs des enfants, les prières désespérées des mourants. Impuissante, mes poings se serrent alors que les villages frontaliers à Althea se faisaient décimer.

Mon peuple.

Les mains du Grand Roi m'agrippe, me rappelant sa présence terrifiante. Je me laisse emporter par lui, mes jambes me guidant jusqu'à la salle de bain. Une fois à l'intérieur, je me laisse tomber au sol, le corps tremblant, mes mains recouvrant mes oreilles alors que le son des explosions résonnait dans mon esprit.

Ils sont loin, loin, loin, loin. 

- Ah... Ah...

Le visage du roi d'Althea, le visage d'Azref tournaient dans mon esprit. Leurs sourires et leurs joies... Leur peuple célébrant leur indépendance, il n'y a pas si longtemps que cela, eux-mêmes vivant depuis des années sur les terres de mon peuple, mes ancêtres. Mon peuple meurt, ils meurent, meurent, meurent, meurent ! Depuis deux cents ans !

- Della... vois... témoigne...

Tout devient flou. Le Grand Roi n'était plus face à moi, il m'a transporté autre part... sur un champ de bataille ? Je pouvais voir les corps s'empiler, des corps des deux côtés. 

- Allons-y, mes guerriers ! Nous sommes les derniers survivants !

Un homme à cheval, hurlait, une épée à la main. Ils n'étaient qu'un petit groupe de soldats. Ils sont des nôtres. Je les vois galoper à travers le champ de bataille, tuant tous ceux qui se trouvaient sur leur passage.

Ils semblaient être avantagés, cependant... La situation a tourné contre eux. Sous mes yeux, un par un tombait. Ils tuaient, et se faisaient tuer.

Soudainement, leur chef, le dernier d'entre eux, descend de son cheval et s'approche d'un seul soldat. Il l'attrape par la tête, le soldat encore légèrement conscient. Je m'approche d'eux afin d'entendre leur conversation.

- Père, pour... la patrie... Inimia... murmure le soldat mourant.

Mes yeux s'écarquillent, le cœur cessant de battre. Mes yeux devenaient humides, alors que l'homme se relève, son épée et l'épée de son fils en main, ses yeux remplis de rage.

- VENEZ A MOI !

A lui seul, il combattait contre plusieurs soldats d'Althea. Il se tenait, seul, face à toute une armée ennemie. Il se met à courir vers eux, tuant plusieurs d'entre eux. Je ne pouvais qu'assister à la scène avec admiration.

L'homme se prend une flèche dans l'épaule, tenant bon jusqu'à ce que les renforts arrivent. Voyant qu'ils ne pouvaient l'arrêter, les ennemis le criblaient de flèches. L'homme tombait sur ses genoux, et se relevait aussitôt. Ses deux épées tranchaient chaque cou, chaque corps, il ne s'arrêtait pas.

Cependant, voyant qu'il ne pouvait continuer, il n'y avait plus qu'une solution. Son corps, attaché à plusieurs explosifs... Il lève la tête, fier, tenant une simple allumette en main.

- POUR INIMIA ! VIVE LA RESISTANCE ! VIVE LA LIBERTE ! VIVE LE GRAND ANCIEN ROYAUME !

Une petite flamme. Il allume une petite flamme, explosant son corps et tous les soldats à ses alentours. Aucun survivant. Il n'est resté aucun survivant.

Et ainsi, il a accordé la victoire à Inimia pour la première fois depuis de nombreuses années.

Le poids de l'horreur et de la tragédie s'abat sur moi alors que je reviens à la réalité, mon esprit tourmenté par les images de violence et du sacrifice de cet homme. Le visage du Grand Roi, grave et solennel, me fixe, attendant ma réaction à cette scène déchirante.

C'est donc cela, la victoire dont il parlait. Mais nous n'avions pas eu le temps de célébrer. Au lieu de cela, nous étions confrontés à la réalité brutale, à la perte et à la destruction de mon peuple.

- Je vais les tuer, murmuré-je. Ils vont payer.

Face au monde, ils diront que ce n'est qu'une guerre. Une guerre contre mon peuple. Plutôt, une vengeance, une menace, pour avoir gagné une bataille malgré qu'ils aient gagnés non pas une ou deux batailles, mais des centaines de guerres et énormément de territoires.

Leur réponse sera qualifiée de guerre, encore une fois. Cependant, quelle guerre cible-t-elle uniquement des civils ?

Ils peuvent prétendre ce qu'ils veulent. Le lendemain, si cela continue ainsi, ils videront encore une fois les villages frontaliers, et feront de ces terres les leurs. Ils construiront et célébreront sur le sang de mon peuple.

- Tu continueras à prétendre que rien ne s'est passé, me prévient le Grand Roi. Tu célèbreras avec eux, tu dois le faire. Je suis convaincu que tu peux en être capable, n'est-ce pas ?

- Je peux le faire, dis-je, contrôlant ma voix. Je vais le faire. Et je leur promets l'enfer.

Satisfait, le Grand Roi s'assoit à mes côtés, me permettant de poser ma tête sur son épaule. Parfois, j'oublie qu'il n'est que l'esprit de mon ancêtre, et non pas une réelle personne.

- Tu l'entends aussi, n'est-ce pas ? Me dit-il d'une petite voix. 

- Leurs cris, leurs pleurs... chuchoté-je, je ne l'entends que trop bien. 

Il prend alors ma main dans la sienne, sans bouger de position. Je ne vais pas pleurer. Malgré l'effroi que vit mon être, la douleur qui saisit mon cœur, je ne pleurerais pas. Je n'en ai pas le droit. Alors que mon peuple se fait massacrer, je n'en ai pas le droit. Je me battrais pour eux, et une fois finis, je me permettrais de sangloter des jours durant.

- Priez avec moi, grand-père, dis-je d'une petite voix. Pour notre peuple. Et pour les Althéens. Je vais leur infliger un cauchemar et leur ôter la vie, aux soldats comme aux civils, je ne leur ferai aucune grâce. Je leur ferai vivre l'enfer, et c'est ma parole.

L'ombre écarlateTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon