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- Arrêtez la calèche !

Face à ma demande, le cocher arrête lentement la calèche sur le côté de la route et je n'attends pas qu'il s'arrête totalement pour ouvrir la porte et en descendre. Birsan m'interpelle, mais je ne lui prête pas attention.

Je descends de la route, m'enfonçant dans l'herbe, les buissons et entre les arbres. Je me penche en avant, le corps secoué de haut-le-cœur. Une nausée douloureuse s'empare de moi. Birsan est à mes côtés, je la sens, mais je ne perçois plus aucun sens de réalité. Je veux pleurer, je veux hurler, je veux les assassiner, un par un. Tous.

Je me redresse soudainement, toussant, les poings serrés contre ma bouche pour étouffer tout son. Je ne peux me permettre de faiblir maintenant, pas devant eux, pas devant Birsan.

- Votre Altesse ! S'exclame Birsan, sa voix empreinte d'inquiétude.

Déterminée à garder le contrôle, je la repousse d'un geste de la main, ma respiration saccadée. Je reprends lentement mon souffle. Ce n'est pas la première fois... Je dois maîtriser mes émotions. Ils ne peuvent pas me voir ainsi. Aussi faible. Sans un mot, je reprends ma marche à travers les arbre, le visage fermé, mes émotions soigneusement dissimulées derrière un masque de froideur.

- Repartons, dis-je au cocher d'une voix ferme en remontant dans la calèche, suivi de près de Birsan.

Birsan ne me lâche pas du regard durant tout le trajet, comprenant qu'il y a quelque chose, mais elle ne comprend pas quoi. Les images des descriptions macabres de la mère de Sardor de ces camps me donnent la nausée à chaque fois qu'ils me traversent l'esprit. Je me force à ne pas y penser, jusqu'à ce que j'arrive au palais.

Je descends de la calèche, et monte immédiatement dans mon appartement. Avant que quiconque ne puisse entrer avec moi, je verrouille la porte. Une fois seule, je me laisse tomber au sol, à genoux, mes jambes ne me tenant plus.

Un rire hystérique jaillit de ma bouche, mon corps entier tremblant sous l'effet de sanglots étouffés.

- Sale porc... dis-je, la voix tremblante. Tu ne t'en sortiras pas ainsi.

Je me suis trompée de cible. Depuis le départ, je n'aurais pas dû viser Azref. J'aurais dû le viser lui, le roi... Avachi sur le sol, je m'imagine toutes les souffrances que je pourrais lui infliger.

Les hurlements ne cessent dans mon esprit. Les cris à l'aide, le désespoir... tout cela résonne dans ma tête, et je ne peux les faire arrêter. Je me sens prise comme dans une spirale sans fin. L'impression d'être spectatrice de mon propre corps, de mes propres pensées...

- S'il vous plaît, s'il vous plaît... pardonnez-moi. Je suis faible, je n'ai pas pu les sauver ! Ils sont tous morts ! Ils ont tous péri parce que je n'ai pas pu l'arrêter !

- Dis-moi ce qui s'est passé, dis-moi ce que tu as vu... lui murmuré-je.

- Je ne peux pas... C'était si terrible... Si horrible... Dit-elle, sa voix tremblante, ses yeux écarquillés. Ah... Pitié... Pardonnez-moi...

L'horreur a poussé une reine à perdre la raison. Et moi... je ne sais plus rien. Ce que je suis, ce que je ressens... tout ce que je pensais savoir, je le remets en question.

Tremblante et recroquevillée sur moi-même, je peine à chercher du réconfort. Je dois le comprendre ; je suis seule, face au diable. Face à moi-même. J'ai froid. Ou j'ai chaud, que sais-je. Je n'arrive même pas à me relever.

- Freya... murmuré-je en pleurant.

Les voix ne s'arrêtent pas.

Je tente de me relever, je tente une fois, puis deux. Je me tiens sur le bras, respirant fortement, gémissant de douleur. La douleur semble paralyser mon corps, je ne peux plus bouger. Pourtant, j'ai continué à me forcer, encore et encore, comme je l'ai toujours fait.

Aussi humiliant que cela puisse paraître, je n'abandonne pas, et rampe sur le sol froid, mes doigts s'enfonçant dans le tapis comme des griffes cherchant un ancrage. Je me suis hissée avec effort sur le bord du sofa, mes muscles tremblants sous le poids de mon propre corps.

Je réussis à m'asseoir sur le sofa, me tenant fortement aux rebords. Mon corps me supplie de le laisser s'affaler sur le doux tissu du sofa, je résiste à son envie. Je tente de me tenir droite tant bien que mal, voulant me prouver que non, je ne suis pas faible.

Je ne suis pas faible.

- Della !

Azref.

Il s'approche en courant avant de s'agenouiller devant moi, posant ses mains sur mes joues, me forçant à lever le regard sur lui. Il est inquiet. Je ne fais que l'inquiéter ces derniers jours. Il semble être le seul à remarquer immédiatement quand je vais mal, même lorsque je tente de le dissimuler.

- Ta servante m'a prévenue de ton état, me dit-il doucement. Dis-moi, princesse, que t'est-il arrivé ?

Je n'ai pas pu m'en empêcher, j'ai laissé mon corps retomber en avant, rencontrant ses douces mains. Après la mort de son père, ce sera à lui de prendre en charge ces camps. Ce n'est pas lui qui empêchera cela. Après tout, pourquoi nous sauverait-il et aurait-il pitié de nous, de sales diables ?

Cependant, pour une fois, j'ai souhaité me détacher de ces pensées. Je voulais rester dans ses bras, là où je me sens étrangement chez moi. Je n'aurais jamais pensé trouver un tel réconfort et une telle familiarité avec un ennemi, avec le prince d'Althea.

Peut-être que je peux me laisser aller juste pour cette fois, j'ai besoin de tout le réconfort nécessaire pour demeurer saine d'esprit, et... il pourrait bien mourir avant de connaître l'existence de ces camps. C'est une grande clémence de ma part de le tuer avec un péché en moins. Il n'est pas vraiment sans péché, cependant, puisque ses ancêtres et lui sont les responsables de tout cela.

Voyant que je n'ai pas répondu, Azref se lève et s'éloigne. Immédiatement, je sens mon corps trembler de plus en plus. Je suis partagée entre l'envie de l'assassiner, de prendre la dague qu'il garde soigneusement à ses côtés et l'enfoncer dans sa chaire plus d'une fois... ou bien de simplement prendre mon mal en patience, et perfectionner la vengeance.

- Ne t'en vas pas... Murmuré-je. Reste avec moi...

- Je suis là, dit-il en s'approchant. Je ne te lâcherais jamais... Jamais.

L'ombre écarlateWhere stories live. Discover now