Chapitre 47-1

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À quatre sur notre bout de caillou, trempés, frigorifiés et désarmés, hormis nous plaquer contre les parois et la jouer le plus discret possible, nous ne pouvions pas faire grand-chose. Gabe, tout aussi à plat que moi après son coup d'éclat métaphysique, me serrait dans ses bras, de la résignation voilant son beau regard brun tandis que nous écoutions, impuissants, les pas se rapprocher.

— Jin, Josef ? Vous êtes toujours là ? chuchota faiblement une voix féminine haletante qui ne pouvait qu'être celle de Myra.

Un soulagement indicible nous envahit. Tous, sauf Jin et Josef, dont l'inquiétude sembla monter encore d'un cran si c'était possible.

— Myra ! Mais qu'est-ce que tu fais là ? Tu devais aller retrouver Léna !

— Léna ? La femme de Sean ? ne pus-je m'empêcher de m'exclamer.

— Elle n'approuve pas ce qu'il est en train de faire, me répondit Josef.

— Et tu le sais comment ? ne pus-je m'empêcher de lui demander, soupçonneuse, même si j'avais parfaitement conscience que ce n'était pas le moment de discuter de ça.

— Sean n'est pas quelqu'un de méchant, mais il a soif de pouvoir. Pouvoir pour être le plus fort et mettre les siens à l'abri. Je ne l'approuve pas, mais ses motivations n'en sont pas moins honorables, du moins dans son esprit. Depuis que Jin avait... disparu, il nous a maintenu à bout de bras, c'est grâce à lui que la plupart d'entre nous sommes encore vivant. Il en a bavé.

— Pas plus que vous, Jin, ou même nous ! Et nous ne sommes pas devenues des dictateurs fous pour autant ! lui rétorquai-je, tachant de garder mon ton outré et excédé malgré mes dents qui tremblaient.

Josef n'insista pas devants nos mines réprobatrices et sceptiques et se contenta de se rapprocher du bord.

— Jin, retiens-moi, lui demanda-t-il en commençant à se pencher en arrière.

Je ne comprenais pas du tout ce qu'il voulait faire, avant que je ne le voie tendre sa main libre en l'air. Une sorte de ballot informe, oscillant au bout d'une corde, apparut à l'aplomb de la sailli et commença à descendre tout doucement vers Josef. Ce dernier l'attrapa sans difficulté et se rétablissant avec l'aide de Jin, entreprit de défaire le nœud de la corde, qu'il garda dans sa main avant de se tourner vers moi.

— Tu crois que Myra aura la force de retenir la corde pour te laisser le temps de grimper ?

Je réfléchi à toutes vitesses, essayant d'évaluer son poids, le miens et nos forces respectives puis je secouai la tête.

— Non, nous sommes toutes les deux trop épuisées sans compter que l'effort risquerait de déclencher le travail, c'est trop risqué. Il n'y a pas moyen de fixer la corde à quelque chose ? demandai-je, étonnée que personne n'y ait pensé.

— Malheureusement non, me répondit Josef.

Je vis de la résignation passer sur ses traits tandis qu'il donnait une petite secousse à la corde et murmurait à sa sœur de retourner se mettre à l'abri auprès de Léna et que nous les rejoindrions très vite. Puis, sans attendre, il entreprit d'ouvrir le baluchon. Il contenait quatre torches électriques étanches, que je me demandais où ils avaient trouvé, et quelques provisions. Nous nous dépêchâmes de nous restaurer pour reprendre un peu de forces, mais le morceau de pain et le fruit dont nous héritâmes chacun, n'étaient qu'un pis-aller qui ne parvint pas à pallier le froid et l'épuisement. Bien que personne ne parla, il était évident que nous repoussions tous inconsciemment le moment où nous devrions nous immerger de nouveau. Pourtant, lorsque Josef distribua les torches et nous fit signes de nous approcher, nous lui obéîmes sans hésiter, ni réfléchir.

— Je vais partir en éclaireur, pour repérer où se trouve le passage. Comme je l'ai déjà vu, ça ne devrait pas me prendre trop de temps. Dès que je remonte et que je vous fais signe, rejoignez-moi. Ensuite nous plongerons par groupe de deux.

Nous acquiesçâmes sans un son, tandis qu'il se laissait glisser dans l'eau glacée avec une grimace éloquente. Nous le regardâmes nager et disparaitre. Le temps paru ralentir et lorsque Gabe m'enlaça, me plaquant contre son dos mouillé, je me rendis compte que je retenais ma respiration malgré moi. J'exhalais lentement malgré mon inquiétude et ma nervosité et me laissai aller à son étreinte réconfortante, malgré le critique de notre situation, essayant de ne pas penser à ce qui nous attendait dans ces eaux sombres et échouant lamentablement.

— C'est trop long ! Il se passe quelque chose, dit Lynch au bout d'un moment. Nous devrions peut-être...

C'est cet instant que choisit Josef pour refaire surface. Même de là où nous nous trouvions nous ne pouvions manquer son teint livide et harassé, ainsi que sa respiration hiératique. Je me jetai à l'eau sans réfléchir, suivit de Gabe et de Jin. Le froid me saisit de nouveau, mais j'essayai de ne pas en tenir compte et forçais mes membres à me propulser vers Josef. Dès que je m'approchai de lui, il s'agrippa à moi manquant me faire couler.

— J'ai... je l'ai trouvé. J'ai dû rebrousser chemin, mais j'ai vu une lueur. Si on prend bien notre souffle c'est faisable.

— Pourquoi es-tu si essoufflé dans ce cas ?

— Parce que j'ai dû revenir sur mes pas, mais ce ne sera pas notre cas, répondit-il à Jin. Laisser-moi juste reprendre mon souffle et suivez-moi.

Un cri s'éleva soudain de quelque part dans la grotte, l'écho réverbérant le son. Quelqu'un avait fini par nous repérer ! N'ayant plus de temps devant nous, nous primes une grande inspiration et plongeâmes à la suite de Josef. Dès que nous fûmes sous l'eau, Gabe me prit la main et m'entraina dans son sillage, le faisceau de nos lampes créant un cône de lumière sale en traversant difficilement l'eau troublée.

Le passage se situait à environ trois mètres de la surface. C'était un boyau circulaire d'environ deux mètres d'envergure. Bien assez large pour nous laisser passer mais pas de front, si bien que Gabe dû lâcher ma main. Durant un instant, j'eus le sensation idiote et erronée d'être abandonnée et la panique m'envahit. Mais je me ressaisis presque aussitôt et d'un vigoureux coup de pied, me projetai de nouveau en avant. L'ombre des parois de pierre se referma sur moi et durant une longue seconde de terreur je crus que ma claustrophobie allait de nouveau me terrasser. Mais au prix d'un gros effort mental, je passais outre et me forçai à continuer.

L'air commençait à s'amenuiser dans mes poumons et une pointe de panique m'envahit. Je poussais un peu plus sur mes jambes pour rattraper Gabe que j'entrapercevais encore malgré le trouble de l'eau. Plus j'avançais et plus mes muscles tiraillaient et me faisaient mal. Mes poumons me brulaient et pourtant, aucune lueur salvatrice ne frappait mes rétines, déjà voilées de taches jaunes et noires du plus mauvais présage. Je sentais mes forces m'abandonner, tandis qu'une horrible douleur irradiait de ma cage thoracique, mes poumons réclamant l'air qui leur faisait si cruellement défaut. J'avais bien conscience que je ralentissais et commençais à couler mais mes muscles n'avaient plus assez d'oxygène pour fonctionner.

Une soudaine traction en avant me ramena brièvement à moi. De mon regard flou, je vis Gabe approcher son visage du mien. Il posa ses lèvres sur les miennes et m'embrassa. Mon cerveau en manque d'oxygène, parvint quand même à se dire que c'était un drôle d'endroit et un drôle de moment pour un baiser, jusqu'à ce que son souffle franchisse mes lèvres. Gabe m'insufflait une partie de son air pour me sauver. L'apport d'oxygène m'électrisa et je m'arrachais aussitôt à son étreinte ne voulant pas qu'il se laisse emporter et ne garde pas assez de réserve pour lui. Comprenant mon geste, il se contenta d'attraper mon poignet et me tira derrière lui.

Nous n'avions pas parcouru trois mètres qu'une force implacable sembla s'emparer de moi, m'enserrant comme un amant fougueux. Le courant nous posséda, nous propulsant vers l'avant à une vitesse vertigineuse mais sans aucun contrôle sur notre trajectoire. Dans ce maelstrom, je perdis la main de Lynch, tandis que l'eau m'emportait, là où elle l'avait décidé.


Virgin Territory-Isolated System Tome 2 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant