Chapitre 14-2

2.4K 319 35
                                    


— Votre sixième sens s'affine de plus en plus à ce que je vois !

— Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler, lui mentis-je aussitôt avec tout l'aplomb dont j'étais capable. C'est tout simplement du bon sens ! Arrêtez de nous prendre pour des imbéciles et crachez le morceau.

Le regard qu'elle me lança n'était guère amical mais je n'en avais plus rien à faire du protocole et des bonnes manières. Je savais très bien ce qu'elle voulait et j'aurais pu écourter cette conversation très rapidement en lui mettant le nez dedans, mais...ce petit duel m'amusait, me rendis-je compte. Elle avait besoin de moi et cela me plaisait de la faire mariner. Ce constat m'alarma légèrement, Lynch était en train d'un peu trop déteindre sur moi apparemment, ce que son petit sourire en coin, satisfait et réjoui, vint confirmer aussitôt.

— Nous avons besoin de vous pour parler aux changeants. Mais je pense que vous le saviez déjà ? ajouta-t-elle d'une voix acide et pincée à l'avenant de son expression guindée.

Je ne répondis pas, me contentant de lui adresser un petit sourire fugace et entendu, attendant la suite.

— Vous attendez que l'on vous supplie pour nous donner une réponse ? persifla-t-elle enfin, englobant mes compagnons dans sa question.

— Pas à ce point-là, non ! répondit Lynch à ma place d'un ton goguenard. Mais si vous arrêtiez de tourner toujours autour du pot et de nous traiter comme vos larbins, nous aurions peut-être une autre attitude !

— Très bien, jouons cartes sur table alors ! Hayden, vous êtes toujours d'accord pour parler aux changeants ?

— Oui, mais je ne leur mentirai pas et je ne les forcerai pas à accepter de participer à votre mission suicide. Ils le feront de leur propre chef, ou pas du tout.

— Bien sûr.

— J'aimerai aussi que quelqu'un m'accompagne. Deux personnes en fait. Isy et Connors, sortis-je en lançant un regard interrogatif à Isy, qui parut surprise mais s'empressa d'acquiescer d'un petit signe de tête discret.

— Je n'y vois pas d'objection, mais puis-je vous demander pourquoi ?

Lynch, sur le point de me couper une fois de plus la parole, s'arrêta net devant mon regard d'avertissement plus qu'équivoque. Pour une fois que cela fonctionnait, j'en aurais presque fait une petite danse de la joie !

— Parce qu'Isy est également une changeante, mais contrairement à moi, elle maîtrise son pouvoir et l'avoir à mon côté ne peut être qu'un plus. Quant à Connors, et bien, je pense que constater de leurs propres yeux qu'un de vos gardes à choisit notre camp plutôt que le vôtre, ne peut-être qu'un atout pour nous ! Vous n'êtes pas d'accord ?

Blake émit un éclat de rire sec et me fit un petit signe de tête pour me montrer son approbation tandis qu'Oliver se retenait à l'évidence d'éclater de rire et d'applaudir devant l'expression de Lovory.

— Très bien, finit-elle par répondre d'un ton sec. Suivez-moi, je vais vous conduire jusqu'à eux et Connors vous rejoindra dès que je l'aurais fait prévenir, expliqua-t-elle avant de tourner les talons et d'ouvrir la porte d'un geste brusque.

Je la suivis, Isy sur mes talons, pour découvrir, sans surprise, qu'un petit bataillon de gardes armés nous attendait dans le couloir.

— Ne vous inquiétez pas, ils ne sont là que pour ma sécurité. C'est le protocole.

— Est-ce que dans votre protocole, il y a un passage qui stipule de nourrir ses prisonniers...heu pardon...hôtes ! s'écria Oliver d'une voix moqueuse depuis le seuil de la porte, son regard, très sérieux, celui-là, braqué sur la main du chef de la sécurité qui n'était plus qu'à quelques centimètres de son arme. Parce que...on meurt de faim ici ! Un petit coup de fouet ne nous ferait pas de mal.

Sa dernière réplique, bien qu'ironique et balancée sur le ton de la plaisanterie, était aussi teintée de menace et un signal évident envers Lynch, afin qu'il se tienne près à balayer tout le monde au moindre signe d'alerte.

— Gardez-nous quelque chose ! lançai-je pour dédramatiser la situation, alors que Lovory laissait à un de ses sous-fifres le soin de refermer la porte, après leur avoir promis un repas de sa voix guindée.

Nous la suivîmes jusqu'à la cage d'escalier où elle s'arrêta.

— Ils sont à l'étage du dessous, Griffin va vous escorter et restera dans le couloir en cas de problème.

— Vous ne venez pas avec nous ? s'étonna Isy.

— En l'état actuel des choses...ce ne serait pas judicieux, ni approprié. Bonne chance.

Puis sur ces paroles rassurantes, elle partit avec sa garde en direction des ascenseurs, nous laissant seuls avec son gigantesque et antipathique garde du corps, qui semblait plus enclin à nous tirer dessus qu'à nous escorter où que ce soit. Toujours aussi loquace, il se contenta d'ouvrir la porte de la cage d'escalier et d'un mouvement sec de la tête assorti d'un regard noir, nous ordonna de bouger. Le trajet fut bref mais anxiogène du fait de la tension sous-jacente et du silence irréel qui régnait entre nous. Griffin s'arrêta finalement devant une porte anonyme où il resta en faction sans bouger.

— Qu'est-ce qu'on attend ? lui demanda Isy, visiblement lassée de ce mutisme oppressant.

— Le capitaine Connors. Il devrait nous rejoindre d'ici quelques minutes.

— Capitaine ? m'étonnai-je, ne réalisant que j'avais parlé à voix haute qu'à l'instant où ma voix se réverbéra sur les murs nus du couloir.

— C'était son grade officiel avant son infiltration, me répondit Griffin.

— C'était donc bien prémédité ! s'exclama Isy, mais néanmoins à voix basse, d'un ton coléreux.

— Non, ça ne l'était pas ! lui affirma l'intéressé en arrivant dans notre dos. C'est eux qui le perçoivent comme cela, pas moi. Maintenant, si cela te pose toujours un problème, tu peux nous attendre ici avec Griffin ! lui assena-t-il d'une voix dure en s'approchant de la porte.

Griffin se contenta de le saluer d'un bref signe de tête et frappa sèchement à la porte avant d'ouvrir le battant dans la foulée.

— Je vous attends ici, nous dit-il de sa voix de robot en nous faisant signe d'entrer.

La première chose qui me frappa fut que la pièce où nous entrâmes était la parfaite photocopie de celle que nous venions de quitter. À tel point que je fus un instant désorientée et perturbée par les visages haves et méfiants qui me faisaient face. Une dizaine de personnes, toutes plus sales et décharnées les unes que les autres se tenaient devant nous, hagardes et apeurées au milieu des canapés. Nel s'avança automatiquement d'un pas, bras écartés comme pour protéger les autres de notre présence.

— C'est vrai que c'est toi qui nous a fait libérer ? me demanda-t-il aussitôt d'une voix méfiante à la limite de l'agressivité.

— Oui, c'est vrai, lui répondis-je d'une voix calme et aussi douce que je le pus.

— Comment as-tu fait ?

— J'ai demandé, enfin, plutôt exigé en fait !

— Et ils ont acceptés...comme ça ?

— Pas exactement. Vous étiez l'une des conditions de notre aide.

— Votre aide pour faire quoi ?

— Pourquoi n'avez-vous rien mangé ? intervint Connors en désignant la table basse chargée de nourriture d'un signe de tête.

— Nous ne toucherons à rien tant que nous ne serons pas certain que ce n'est pas un piège grossier pour nous forcer à coopérer, répondit la jeune femme rousse que j'avais déjà rencontré, d'une voix tremblante et déterminé.

— Je vous assure que ce n'est pas un piège, lui certifia Connors. Vous pouvez manger sans crainte, je...

— Comment pouvez-vous en être sûr ? Vous êtes l'un des leurs, c'est ça ? s'écria Nel d'une voix emplit de colère.

Avant que nous n'ayons pu démentir où tenter de nous expliquer, l'atmosphère se modifia imperceptiblement alors que le regard de Nel se voilait soudain et que d'un simple geste de la main, il propulsait vers nous les couverts posés sur la table. 

Virgin Territory-Isolated System Tome 2 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant