Chapitre 46-2

1.7K 246 23
                                    


L'eau se referma sur moi comme un poing glacé, emprisonnant aussitôt ma poitrine comme un étau implacable. Paniquée, et pas seulement pour moi, j'agitai frénétiquement mes jambes pour remonter à la surface. Ma tête creva l'étendue liquide dans une explosion de gouttelettes scintillantes, qui m'aurait sans doute paru magnifique dans d'autres circonstances. Je n'eus le temps de prendre qu'une brève inspiration avant qu'une balle ne frôle ma tête, m'obligeant à replonger aussitôt sous le miroir sombre et ondulant.

— Ne la tuez pas ! eus-je le temps d'entendre Sean hurler, avant que l'eau n'emplisse mes oreilles, me coupant momentanément du reste du monde.

Hébétée, effrayée et mon cerveau ralenti par le froid, je perdis quelques secondes à m'agiter inutilement à quelques centimètres sous la surface. Des sifflements lointains retentissaient à mes oreilles, lorsque les projectiles giflaient l'eau. Rassemblant mes esprits, j'essayai de distinguer quelque chose dans l'eau sombre, cherchant mes camarades du regard mais tout ce que je parvins à distinguer fut une étendue trouble et opaque.

J'émergeai pour la seconde fois, mes poumons brulants me forçant à me propulser vers le haut pour prendre une grande goulée d'oxygène. Je respirai rapidement et chassant l'eau de mes yeux à grands renforts de clignements, cherchait à repérer les autres, me laissant flotter à la limite de la surface, partiellement dissimulée par l'ombre de la sailli rocheuse qui me surplombait.

Depuis que nous avions sauté, j'avais dérivé de quelques mètres vers le fond de la grotte mais je me trouvais toujours près du bord, bien que remonter sur la berge de là où je me trouvais, était impossible. J'entendais toujours Sean aboyer des ordres et quelques tirs sporadiques, mais ceux-ci semblaient s'éloigner. Lentement, pour ne pas faire clapoter l'eau et parce que le froid engourdissait mes membres, je pivotais, cherchant désespérément mes camarades du regard. Une boule d'angoisse compacte contractait mon estomac alors que je scrutai l'étendue noire et immobile, ne repérant aucune trace de Lynch et des autres. Ils ne pouvaient pas s'être tous noyés ? A moins que Sean et ses hommes ne les aient abattus ? J'étais en train de céder au désespoir, lorsque quelque chose, de l'autre côté du lac attira mon attention. Quelqu'un me faisait signe. Mais il faisait trop sombre et j'étais trop éloigné pour pouvoir distinguer ses traits. Était-ce un ami ou un ennemi ? Après tout, Sean avait besoin de moi vivante, m'attirer dans un piège serait un moyen simple et sûr de me capturer.

Hésitante, je commençai à nager péniblement et discrètement vers le fond de la grotte, là où la largeur du lac rétrécissait. J'avais fait deux brasses, mes bras tremblants et engourdis paraissant peser des tonnes, lorsque quelque chose me frôla.

— Hayden, c'est moi ! me chuchota Lynch en émergeant à mes côtés alors que je réprimais de justesse un cri de terreur.

J'avais envie de lui hurler « t'es dingue ou quoi ?! », mais j'étais si heureuse et soulagée de le voir, que la seule chose que je parvins à faire fut de m'accrocher à lui, manquant nous faire couler tous les deux. Il parvint malgré tout à nous maintenir à la surface, tandis que mes forces déclinaient à vitesse grand V, sapées par le froid.

— Il... faut que je sorte de l'eau, chuchotai-je d'une voix méconnaissable, entrecoupée par le claquement de mes dents. Où sont les autres ? Comment... comment va Myra ?

— Pour le moment ça va. Jin a réussi à la sortir de l'eau rapidement. Elle s'est cachée dans une anfractuosité le long de la berge mais elle ne peut pas rester là, ou Sean et ses hommes vont finir par la trouver et se servir d'elle pour nous débusquer.

Tandis qu'il m'expliquait tout ça dans un murmure précipité, il avait aussi commencé à nager lentement en direction de l'autre rive, m'entrainant derrière lui. Trop essoufflée pour lui répondre je me contentai de le suivre, rester à flot devenant de plus en plus difficile à mesure que les secondes passaient. Heureusement la taille du lac était trompeuse et nous atteignîmes l'autre côté en quelques minutes. Comme nous avions longé l'extrémité la plus éloignée de la retenue d'eau, Sean et ses hommes n'avaient pas pu nous voir, si bien qu'aucun cri ou coup de feu n'entacha notre traversée.

Lorsque nous les rejoignîmes, Jin et Josef se tenaient recroquevillés sur une petite plateforme rocheuse, affleurant l'eau mais au sec et protégée des regards par un surplomb. Ce dernier empêchait efficacement nos ennemis de nous trouver, mais également de nous sortir de cette galère. Je me hissai à mon tour à la suite de Lynch, qui dut m'aider, tellement mes membres étaient gourds. À bout de souffle, nous nous écroulâmes sur le sol dur, blottis l'un contre l'autre, trempés, épuisés et frigorifiés.

— Que fais-t-on maintenant ? parvins-je à demander au bout d'un temps indéfini, la faible chaleur du corps de Lynch serré contre le mien commençant à traverser mes vêtements trempés et faisant lentement diminuer mes tremblements.

— Nous n'avons que deux solutions, me répondit Josef. Attendre que Sean se lasse ou nous crois définitivement mort...

— On ne tiendra jamais jusque là sans choper une pneumonie ou crever d'hypothermie, prophétisa Gabe d'une voix sinistre tout en resserrant son étreinte, me serrant encore un peu plus contre lui.

— ... Soit on plonge, reprit-il comme si nous ne l'avions pas interrompu. Je sais qu'il y a un passage sous l'eau, dans le fond de la caverne.

— Tu l'as entendu dire, ou tu en es certain ? lui demanda Jin.

— Je le sais, il débouche dans une rivière souterraine.

— Bizarrement, je sens venir un mais ! ironisa Gabe d'une voix sinistre.

— Mais je ne sais pas où se situe exactement le passage dans la paroi, ni à quelle profondeur il se situe.

— Comment veux-tu que nous le trouvions sans un minimum d'indication ? Il fait noir comme dans un four là-dessous !

— Tu as une meilleure suggestion, là tout de suite, peut-être ? s'énerva Josef alors qu'il était parcouru d'un long tremblement.

— Ils ne semblent plus nous chercher, m'étonnai-je réfléchissant tout haut.

Je savais confusément que ma remarque était idiote, mais le froid m'engourdissait le cerveau. Je savais que j'aurais dû me préoccuper de quelque chose d'important, mais l'information allait et venait à la limite de ma conscience, sans jamais la franchir.

— Ils n'en ont pas besoin, me répondit cyniquement Josef. Soit on est mort, soit le froid nous poussera à revenir vers eux. Pourquoi ils se fatigueraient ? Ils ont dû poster des hommes aux endroits praticables et ils n'ont plus qu'à attendre que nous leur tombions dans les bras.

Durant quelques instants, nous nous murâmes tous dans un silence consternés. Puis soudain, mes neurones frigorifiés semblèrent se reconnecter d'un seul coup, me plongeant dans un nouvel abîme d'anxiété.

— Où est Myra ? Elle va bien ? demandai-je à Jin, me souvenant vaguement que Gabe m'avait dit qu'elle avait réussi à sortir de l'eau, mais tout était encore flou dans ma tête. Et Connors, Rem et les autres, où sont-ils ? questionnai-je Josef d'un ton accusateur malgré les tremblements de ma voix.

Ce dernier ouvrait la bouche pour me répondre, lorsque qu'un bruit d'éboulis, ténu mais néanmoins parfaitement audible, retentit non loin de nous, nous figeant sur place.


Virgin Territory-Isolated System Tome 2 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant