Chapitre 43-1

1.7K 252 68
                                    


Je glissai plus que je ne tombai durant de longues secondes qui me parurent des heures, rythmées par les cris désespérés de Connors et les grognements bestiaux de l'éveillé qui avait lui aussi fait le grand saut. J'essayai de m'accrocher à tout ce que je pouvais mais ne parvins qu'à ralentir ma dégringolade avant de chuter pour de bon et d'atterrir quelques mètres plus bas sur un tas de gravats en soulevant un nuage de poussière. Le choc et la douleur me coupèrent le souffle et je dus perdre conscience quelques instants, car lorsque je pus enfin rouvrir les yeux, l'éveillé se tenait à quelques centimètres de moi, ses mains griffues s'apprêtant à enserrer ma gorge.

Terrifiée, je criai. Mon premier reflexe fut de vouloir protéger ma gorge avec mes mains, mais mes muscles meurtris et tétanisés par le choc ne réagirent pas assez vite. Lorsque la peau visqueuse et moite de la créature entra en contact avec la mienne, l'afflux brutal d'adrénaline finit de dissiper le choc. Mues par l'instinct, je repliai mes genoux sur ma poitrine et y mettant toute ma force, projetai mes pieds dans la poitrine du monstre. Ce dernier décolla, me griffant douloureusement au passage, disparaissant de ma vue dans l'obscurité qui m'entourait. Toujours boosté par la peur, je me relevai aussitôt et cherchai immédiatement au sol de quoi me défendre, mon couteau ayant disparu pendant ma chute. J'avisai un bout de tuyau tordu et rouillé, dardant entre deux planches pourries. Je m'en saisi, tous les sens aux aguets et essayant de ne pas tenir compte des sensations douloureuses et désagréables émanant de divers endroits de mon corps, et qui me disait que plusieurs choses n'allaient pas. Si je m'écoutais et m'écroulais maintenant, je ne me relèverais pas. En termes de blessure, le savoir n'est pas toujours bénéfique. Vérité que j'avais apprise à la dure durant les quelques semaines écoulées.

Même si je savais que c'était inutile, je me reculai de quelques pas et levai la tête, essayant d'apercevoir Connors, mais le rebord qui avait freiné ma chute me bouchait également la vue. Je fus tentée d'appeler, de crier son nom, mais cela aurait servi à quoi, à part signaler à tous les éveillés du coin où je me trouvais ? A supposer qu'il soit toujours là-haut et qu'il puisse m'entendre, je n'avais aucune chance de le rejoindre et lui aucun moyen de m'aider. J'étais seule et mon unique chance était de partir d'ici tout de suite et de trouver le moyen de remonter avant que mon corps ne me lâche.

Tremblante et nauséeuse, je fis quelques pas mal assurés. La lueur de la lune filtrait par le toit effondré et éclairait partiellement la pièce dévasté où je me trouvais, mais sans parvenir à éclaircir les ténèbres qui avaient prit possession de l'intérieur du bâtiment. N'ayant d'autres options, j'avançai encore de quelques pas, jusqu'à me retrouver à la limite de la démarcation lumineuse. Un pas supplémentaire et je dus m'arrêter, attendant que mes yeux s'habituent à l'obscurité. Le silence sembla prendre une consistance solide tandis que je restais là, vulnérable et tremblante, mon ouïe prenant momentanément le relai de ma vue.

Alors que les ombres d'un couloir se précisaient devant moi, je cherchai fiévreusement des traces de mon adversaires. J'espérais de tout mon cœur qu'il était mort, ou trop mal en point pour se relever. Mais j'eu beau scruter tous les recoins désormais visibles, aucune silhouette ne ressemblant à un corps en vue. Pas du tout sereine, ni rassurée, mais consciente que je devais avancer, je m'engageai dans le couloir, attentive à l'extrême au moindre bruit, ou ombre suspecte.

A mesure de ma progression, mes yeux s'accoutumaient à l'obscurité et je pus avancer plus vite. Malgré la peur viscérale qui me nouait le ventre et faisait désagréablement résonner mon cœur dans mes oreilles me maintenant en alerte, je commençais à ressentir les conséquences de ma chute tandis que j'atteignais un croisement. Essoufflée et étourdie par la douleur atroce et lancinante qui irradiait de mon dos, ainsi que de l'intégralité du côté gauche de mon corps, je m'appuyai doucement contre le mur. Un rayon de lune blafard, pénétrant par une lézarde du plafond à demi-effondré, m'éclaira soudain lorsqu'un nuage poussé par le vent s'écarta. Sous la lueur pâle, ma main gauche, gonflée et raidie ne me paru pas réelle, pas plus que le sang qui en gouttait lentement, heureusement grisâtre dans la lumière nocturne.

Un raclement sinistre, venant de quelque part sur ma gauche, me sortit de ma contemplation douloureuse et rassemblant mes dernières forces défaillantes, je m'engageai dans le couloir de droite. Bien que je sois consciente de m'éloigner de la sortie et de revenir vers le bâtiment principal, mon état ne m'en laissait pas le choix. Dans mon état, je n'aurais pas la force de combattre un nouvel éveillé.

Je traversai encore deux couloirs avant d'être contrainte de m'arrêter. Tout mon corps n'était que douleur tandis que chaque nouvelle inspiration devenait un calvaire. Résignée, je me laissai glisser le long du mur jusqu'au sol, où le tuyau glissa de ma main sans force, heurtant le carrelage dans un bruit sourd. Désespérée et épuisée au-delà de toute mesure, je levai une dernière fois la tête et entendit un rire sans joie s'échapper de mes lèvres craquelées.

Devant moi, un panneau de traviole où s'étalait le mot PATHOLOGIE, paraissait me narguer de ses lettres à demi-effacées. Après tout ce que nous venions de traverser, j'étais revenue à notre point de départ ! Le rire nerveux qui m'avait saisi se changea vite en pleurs puis en rage pure. Je ne voulais pas mourir comme ça, bêtement et seule, dans une clinique en ruine remplit de monstres. Je ne voulais pas mourir du tout ! Je voulais trouver une solution pour sortir de ce cauchemar et donner une nouvelle chance à l'humanité, du moins le peu qu'il en restait. Mais il semblait, que toutes anomalies génétiques mise à part, je n'avais pas été de taille. J'avais beau guérir vite les dégâts, cette fois-ci, étaient trop nombreux et importants pour que mon corps, si tant est que ce soit possible, ait le temps de les traiter avant que les éveillés ne me tombent dessus.

Dans un dernier sursaut de préservation, je tentai de me trainer jusqu'à la porte la plus proche. Ne pas trop faciliter la tâche de ces créatures me semblait une bonne idée ! Mais le premier mouvement m'envoya un éclair de douleur fulgurant en travers de la cage thoracique, me laissant tremblotante, la respiration saccadée et difficile, totalement incapable de faire un geste de plus.

Je me trouvais déjà à mi-chemin de l'inconscience, lorsque j'entendis le bruit. Des pas trainants accompagnés de grognements caractéristiques. J'étais tellement résignée et certainement proche de la mort, que je ne ressentis même pas la morsure caractéristique de la peur et restais là, statique, presque détachée des évènements horribles et sanglants qui s'annonçaient. Lorsque la créature tourna l'angle du couloir, je crus durant une infime seconde qu'elle ne me verrait pas, mais sa grosse tête se tourna dans ma direction, certainement attirée par l'odeur de mon sang.

Malgré mon état, mon instinct de survie se réveilla à l'instant où elle se rua sur moi, mais trop tard pour que j'ai le temps de réagir. Impuissante, des larmes ruisselants sur mes joues je ne pus que me protéger illusoirement le visage de mes bras, lorsque le souffle chaud et putride de l'éveillé m'effleura, m'arrachant un hurlement de détresse et d'horreur. Dans un dernier sursaut, je tentais de me défendre, mais j'étais désormais trop faible pour être réellement efficace. Sa bouche effleurait déjà mon cou, lorsque, d'un seul coup, quelque chose que je ne pouvais voir, tira la créature en arrière avant de la plaquer contre le mur opposé. Tandis qu'il se battaient à mains nu, j'eus le temps d'apercevoir des cheveux bruns sales et emmêlés et une chemise déchirée à carreaux rouge et noir. Je ne savais pas qui était mon sauveur, mais si je ne l'aidais pas, son intervention n'aurait fait que retarder l'échéance fatale qui m'attendait.

Boostée par ce signe du destin, j'essayai de me relever. J'étais près d'y parvenir lorsque dans un cri rageur, mon sauveur réussi à saisir la tête de l'éveillé entre ses mains, avant de la fracasser contre le mur. Il y eu un horrible bruit creux et mou, puis le corps glissa au sol, sans vie. Mon sauveur, couvert de sang, se retint d'une main au mur, comme s'il avait du mal à se tenir debout, puis dans un mouvement lent il se tourna vers moi et... c'est alors que je me mis à hurler.


Virgin Territory-Isolated System Tome 2 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant