Chapitre 36-2

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Choquée et déroutée, je ne pus que rester là à le regarder bêtement, le matériel dans les mains.

— C'est...c'est toi Connors. Tu ne te rappelles pas ? lui demandai-je doucement, alors que j'approchais tout de même l'aiguille de son bras.

Son regard flou et perdu se posa sur moi, mais il me laissa approcher sans réagir. Je posai le cathéter si vite, qu'il eut à peine le temps de s'en rendre compte. Son attention était tellement focalisée sur moi, qu'il semblait à peine conscient du sang qui s'écoulait maintenant dans la poche en plastique transparente posée sur mes genoux.

— Je...c'est étrange, au fond de moi je sais qui je suis, mais ce nom ne me dit rien. J'ai beau me creuser la tête, tout ne me revient pas. Comme s'il y avait des blancs, de grands trous béants dans ma mémoire, m'expliqua-t-il d'une voix frustrée qui retrouvait peu à peu ses intonations familières.

— Moi, tu sais qui je suis ?

— Je sais que vous... tu m'es familière, mais je ne sais pas qui tu es... enfin... pas vraiment. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— C'est une longue histoire et je t'expliquerai tout, mais... je dois aller m'occuper de Gabe et je reviens, lui promis-je devant son air perdu et inquiet, en ôtant l'aiguille de son bras, avant de faire pression sur la piqure pour ne pas qu'elle saigne.

Je me relevai, les deux poches de sangs dans les bras et bien que l'urgence de la situation me pousse à me presser, me dirigeai lentement vers la porte. Connors avait beau être redevenu partiellement lui-même, son attitude était étrange et lui tourner le dos me mettait étonnamment mal à l'aise. Dès que j'eus franchit la porte, Josef qui m'avait attendu, s'empressa de la verrouiller.

— Il... il est redevenu lui-même, c'est incroyable ! me dit-il, un regard emplit d'espoir posé sur Connors, qui l'observait, une lueur étrange dans le regard.

Ne voulant pas ruiner toutes ses espérances d'un coup, je préférai ne pas répondre et me contentai d'un pauvre sourire, avant de l'enjoindre à se dépêcher. Le trajet de retour jusqu'à la pseudo-infirmerie, ne nous prit pas plus de quelques minutes, mais je ne pus empêcher mon cœur de s'emballer et mon esprit d'imaginer le pire tout le temps qu'il dura. La peur au ventre, je me précipitai au chevet de Lynch, veillé par Myna.

— Comment va-t-il ? lui demandai-je d'une voix modifiée par l'anxiété.

— Il s'affaibli de minute en minute.

— J'ai de quoi l'aider ! lui dis-je en installant immédiatement la poche de sang sur le bout de bois bricolé qui servait de perche à perfusion. Vous pouvez m'aider ? lui demandai-je.

— Je suis enceinte, pas invalide ! me répondit-elle, instantanément sur la défensive, en se levant avec difficulté.

Pour ne pas envenimer les choses, je ne fis aucun commentaire et me contentai de vérifier que tout était correctement en place pendant que Myna fixait la poche avec un bout de tissus. L'anachronisme de ce matériel médical flambant neuf, allié à la récup la plus basique, m'aurait presque fait sourire si je n'avais pas été si inquiète.

— Où avez-vous trouver ce sang ? me demanda Myna, en se rasseyant lourdement dans un soupir de soulagement.

— C'est pour quand ? lui demandai-je pour éviter de répondre à sa question, avec l'espoir caché qu'elle s'en offusque et parte sans se retourner.

Pas que je ne l'appréciai pas, mais j'avais juste envie d'être seule. Avec tous ce qu'il venait de se passer, l'idée d'une conversation entre filles ne faisait pas parti de mon top priorité.

— Je ne sais pas trop, me répondit-elle à ma grande surprise. Mais j'espère bientôt, je ressemble à une baleine.

— Vous voulez dire que personne n'a suivi votre grossesse ? ne pus-je m'empêcher de lui demander.

— Pfff... vous apercevez un médecin, ou quelque chose qui s'en rapproche ici ?

— Vous avez bien du matériel médicale et une clinique pas loin, d'après ce que m'a dit Josef.

— Il a aussi dû vous dire que tous ce qui était facilement transportable est épuisé et que... plus personne n'ose se rendre là-bas depuis que... Jin y est mort.

A son hésitation, l'intonation de sa voix et la peine qui voilà momentanément son regard, je compris que Jin devait être le père du futur bébé.

— Il y était allé pour vous ? lui demandai-je, tout en vérifiant le pouls de Lynch, qui me paru toujours aussi lent.

— Quand il a appris pour... le bébé, il a absolument voulu aller chercher de l'équipement au cas où, et... il n'est jamais revenu.

J'aurais pu, et aurais peut-être dû, lui dire la phrase rituelle « je suis désolée ». Mais cela aurait servi à quoi ? Elle l'avait sans doute déjà entendu des centaines de fois et une fois de plus n'allégerait en rien sa peine. Pour qu'elle aborde d'elle-même le sujet, elle avait peut-être seulement besoin de parler de lui, de prononcer son nom pour qu'il ne disparaisse pas complètement.

— Il est mort, ou, il est devenu l'un d'entre eux ?

— Je préfère me dire qu'il est mort, me répondit-elle sèchement, des larmes au fond des yeux. De toute manière, c'est la même chose.

Durant un court instant je faillis lui parler de Connors, mais je me retins à la dernière seconde. Mon envie de la réconforter lui ferait plus de mal que de bien. Quelque fois l'espoir était pire que le chagrin.

— Vous l'aimez ? me demanda-t-elle abruptement en regardant Lynch, toujours horriblement pâle et immobile.

— Je ne sais pas, lui répondis-je sans réfléchir, avec une honnêteté qui me surpris.

— Lui, il vous aime, affirma-t-elle, un petit sourire triste naissant sur ses lèvres. Vous ne devriez pas laisser passer ça, c'est un sentiment précieux.

Je ne répondis pas immédiatement, gênée par son affirmation. Comment pouvait-elle affirmer cela avec autant d'aplomb, elle ne nous connaissait pas. Nous ne nous connaissions même pas réellement tous les deux. C'était sans doute cela qui me freinait, ça, et... Connors. Quelque chose nous avait rapproché dès le premier regard, mais avec Lynch aussi, me souffla une petite voix moqueuse.

— Quand on a vu l'amour dans les yeux d'un homme, on sait le reconnaitre dans celui d'un autre, me souffla-t-elle doucement en se levant avec difficulté. Je vous laisse tous les deux, j'ai besoin d'un petit peu plus de confort en ce moment, ajouta-t-elle avec un petit rire ? Si vous avez besoin de moi, je serais dans la tente juste à côté, criez.

Puis elle sortit, me laissant seule, la tête farcie de peurs, de doutes et d'interrogations. Sentiments auxquels vint s'ajouter l'espoir et le soulagement lorsque les doigts de Gabe serrèrent les miens.

— Hayden, murmura-t-il en ouvrant lentement les yeux.

Virgin Territory-Isolated System Tome 2 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant