« Tu connais peut-être mon nom, reprit Ruben au bout d'un moment, mais moi, je ne connais toujours pas le tien.
-Je m'appelle Kaya, répondis-je simplement.
-C'est un joli prénom, commenta-t-il en souriant discrètement. Enchanté Kaya. »
Je me sentis rougir instantanément. Je n'aurais jamais pensé que ce genre de remarque puisse créer une telle réaction chez moi. Je chassai rapidement ce commentaire de mon esprit et demandai à Ruben de fermer les yeux pour qu'il se repose.
Tandis que le sommeil l'emportait peu à peu, je ne pus m'empêcher de le dévisager. Ses cheveux bruns étaient assez longs et commençaient à lui cacher les yeux, un peu comme Romain. Il avait le teint très pâle, presque maladif, on aurait qu'il venait de passer plusieurs semaines dans un endroit plongé dans le noir total.
Ce fut sa tâche de naissance qui m'attira le plus. Argentée, couvrant quasiment la totalité de sa joue gauche, je devais avouer qu'elle lui donnait un certain charme, surtout qu'elle n'était plus recouverte de boue et de sueur comme le jour où je l'avais trouvé dans les escaliers.
J'attendis encore quelques minutes pour m'assurer que Ruben dormait bien avant de retirer tout doucement ma main de la sienne. Je me levai sans un bruit, attrapai mon sac et sortit dans le couloir en refermant la porte manuellement au ralenti pour m'assurer qu'elle n'allait pas claquer.
Je me rendis ensuite aussi vite que je pus dans le bureau d'Ashley. Je rentrai dans son bureau sans même frapper et la trouvai, comme je m'en doutais, en train de dormir sur le lit dans la petite pièce du fond.
Pendant quelques secondes, j'hésitai. Est-ce que je devais la réveiller après la rude journée quelle venait de passer ? Ses paroles me revinrent rapidement en tête : « Peu importe où je suis et ce que je fais, quand il ouvrira les yeux, préviens-moi immédiatement ». Cela me décida à m'approcher d'elle et à la secouer doucement pour la tirer du sommeil.
Ma formatrice parut d'abord un peu désorientée mais dès que je lui annonçai que Ruben s'était réveillé, elle retrouva ses esprits et voulut aller le voir sur le champ. Je l'arrêtai nette en lui expliquant que je l'avais recouché et qu'il dormait de nouveau, cette fois paisiblement et très certainement sans crise de délire.
Ashley fut vexée de ne pas avoir été mis tout de suite au courant, je lui expliquai donc ce qu'il s'était passé. De la tentative de fuite pendant que j'allais chercher les anti-douleurs à sa crise de panique lorsque j'avais évoqué les tests du Projet, je n'oubliai rien et Ashley se détendit.
« Excuse-moi, dit-elle, tu as eu raison de rester avec lui. Il va falloir le garder à l'œil, il semble particulièrement colérique.
-Je pense que c'est juste parce qu'il m'a pris pour quelqu'un qui participait au Projet, répondis-je calmement. Il a eu peur et a essayé de se défendre. Après ce qu'il a vécu c'est normal.
-Peut-être, murmura-t-elle pendant qu'elle semblait réfléchir. Merci de ton aide, tu peux rentrer chez toi te reposer. Maintenant que l'on s'est qu'il va bien, hormis quelques douleurs dans le bras, on n'a plus besoin de le surveiller en permanence. Comme promis, tu ne travailles pas demain, tu as assez donné en prenant le tour de garde pendant la nuit.
-Merci beaucoup, souris-je. »
Je la pris quelques secondes dans mes bras, comme avant, et partis en direction de la sortie du Centre. Je n'étais pas très fatiguée ce soir-là mais je m'endormis quand même rapidement. Je n'avais qu'une hâte : c'était de retourner voir Ruben. Sans vraiment savoir pourquoi, ce garçon m'intriguait beaucoup.
* * *
Le lendemain, je me réveillai beaucoup plus tard que d'habitude et j'eus un coup de panique en pensant être en retard. Heureusement, je me souvins que je ne travaillais pas aujourd'hui, cela me donna presque envie de sourire.
Je pouvais passer ma journée tranquillement, sans me presser. Je devais absolument voir Romain pour enfin lui parler de ce qu'il s'était passé avec Malo. Cela commençait à vraiment me ronger de l'intérieur et je voulais qu'il sache même si je redoutais sa réaction.
Je voulais aussi passer voir Ruben. Prendre de ses nouvelles, savoir s'il allait mieux.
Je ne comprenais pas forcément ce qu'il lui était arrivé mais je voulais être là pour le soutenir. Il avait peur de voir les Haut-Ministres l'embarquer pour le ramener à Echec, ce qui était compréhensible. Il devait me faire confiance et comprendre que je serais là pour l'aider quoiqu'il arrive. Si je pouvais empêcher un Survivant d'avoir la vie gâchée à cause du Projet, et accessoirement, de mettre des bâtons dans les roues des Haut-Ministres, je ne disais pas non.
Pour une fois, je pris mon temps, ce qui me surprit toute seule. J'avais déjeuné tranquillement en regardant et en répondant aux messages que j'avais reçus pendant la nuit. J'avais fait la vaisselle sans être pressée par l'heure, passée un long moment sous la douche et réussis même à rester calme face à mes cheveux emmêlés.
Lorsque je sortis de mon box pour me rendre au Centre, je ne me dépêchai pas plus qu'avant et pris les escaliers sans me précipiter. Arrivée dans le bon couloir, je vis plusieurs personnes marcher vite, sûrement pour rejoindre leur lieu de travail et cela m'arracha un sourire. Je faisais vraiment tâche au milieu de tous ces gens pressés.
Une fois dans le Centre, je ne pris pas la peine de passer dans la salle commune pour dire bonjour à tout le monde, à cette heure-ci, il n'y aurait personne. Je me dirigeai donc vers la chambre de Romain.
Arrivée devant la porte, je toquai discrètement et rentrai. Je retrouvai alors mon amoureux, assis au bord de son lit. Il était torse nu et je pouvais parfaitement distinguer l'énorme pansement couvrant ses points de suture sur son ventre. Encore une fois, je me dis qu'il avait eu beaucoup de chance de s'en sortir sans séquelle irréversible.
« Bonjour Kaya, sourit-il en mettant un tee-shirt. Je ne sais pas quel programme t'a donné Ashley pour la journée mais si j'en fais partie, je t'assure que je n'ai pas besoin d'aide. Léo est déjà passé pour refaire mon pansement.
-Je ne travaille pas aujourd'hui, lui répondis-je en venant m'asseoir près de lui. J'ai surveillé une partie de la nuit le garçon de l'escalier et Ashley m'a donné ma journée pour que je puisse me reposer. »
Romain ne dit rien d'autre, il affichait juste un grand sourire, comme à son habitude. Il m'attira contre lui et m'embrassa. Immédiatement, je me sentis encore mieux qu'avant, je ne voulais pas le lâcher. Pourtant, je me forçai à reculer, je devais lui parler de Malo et de ce qu'il s'était passé le jour de l'explosion.
« Il faut que je te dise quelque chose, commençai-je timidement en sentant mes joues me brûler. C'est à propos de Malo...
-Je t'écoute, dit-il en souriant encore un peu plus.
-On s'est embrassé, avouai-je directement. »
En face de moi, Romain se recula un peu et eut un petit rire nerveux avant de me demander de répéter. Je vis son visage se décomposer à la seconde où il comprit qu'il avait bien entendu la première fois. Je m'empressai alors de lui expliquer le contexte avec le pot de colle aux cheveux roux.
Pendant que je parlais, je remarquai qu'un sourire se dessinait de nouveau petit à petit sur ses lèvres ce qui me rassura un peu. Au moment où je lui dis que la fille était partie complètement furieuse, il ne peut se retenir de rire. Cette fois, c'était un vrai rire.
« Si ce n'est que ça ! s'exclama-t-il. Tant que tu ne l'embrasses pas tous les jours pour l'éloigner de cette fille, on devrait pouvoir s'entendre.
-Ce n'est arrivé qu'une seule fois et je lui bien dis que je le referai plus jamais, le rassurai-je. C'était juste pour l'aider. Maintenant, cette fille ne devrait plus l'embêter avant un bon moment.
-Tu m'étonnes, rigola-t-il de nouveau. Kaya ?
-Oui ? lui demandai-je en souriant.
-Merci de me l'avoir dit, répondit-il sincèrement. Tu n'étais pas obligée de me l'avouer mais tu l'as fait. Je suis content de le savoir même si ça ne me servira pas à grand-chose dans la vie. »
Je me rapprochai à nouveau de lui et déposai un baiser sur sa joue. J'étais vraiment heureuse qu'il le prenne bien, cela me faisait un poids de moins sur le cœur. Ce truc avec Malo, c'était bien la seule et unique fois que j'embrassai quelqu'un d'autre que Romain.
D'ailleurs, ce dernier ne fut pas satisfait d'avoir reçu un simple petit bisou sur la joue et plaqua ses lèvres sur les miennes pendant plusieurs secondes. Je me laissai faire, j'avais envie d'être avec lui et seulement avec lui.
Sans vraiment le vouloir, on bascula sur son lit et on se retrouva coucher l'un à côté de l'autre. Ce fut à ce moment que Romain s'écarta de moi.
« Excuse-moi, chuchota-t-il, mais j'ai promis à ton frère de ne pas aller plus loin.
-De toute façon, lui répondis-je en écartant une de ses mèches, je me serais reculer si jamais tu étais allé plus loin.
-Je sais, et tu fais bien de me remettre à ma place, dit-il en déposant un baiser sur mon front. »
On resta encore un long moment tous les deux, allongés côte à côte. Des fois, on trouvait quelque chose à dire et d'autres fois, on gardait simplement le silence. On profitait juste de ce petit moment de tranquillité.
Je ne sais pas combien de temps je suis restée collée contre Romain mais en tous cas, il finit par s'endormir, les bras autour de ma taille. Doucement, je m'écartai de lui et sortis de la chambre en essayant de ne faire aucun bruit.
Lorsque je fus dans le couloir, je me rendis compte qu'il était déjà pas loin de midi et que je ferais mieux de rentrer chez moi pour déjeuner. Je reviendrais un peu plus tard pour rendre visite à Ruben, ce n'était pas la peine de me précipiter, j'avais tout mon après-midi de libre. Je pris donc la direction de la sortie mais au détour d'un couloir j'aperçus Cadeig et ses deux gardes du corps se dirigeant eux-aussi vers les portes du Centre. En me voyant, le Haut-Ministre sourit et s'arrêta à ma hauteur.
« Bonjour mademoiselle Mathing, commença-t-il d'une voix neutre. Vous allez bien ?
-Bonjour monsieur, répondis-je en gardant mon calme. Je me porte très bien, merci. Et vous ?
-Bien, je vous remercie, sourit-il faussement. Je viens d'aller voir le jeune homme que vous avez trouvé dans les escaliers l'autre jour. Il semble aller beaucoup mieux.
-Je suis contente de l'apprendre, dis-je en souriant aussi faussement que lui.
-Vous me croyez si je vous dis qu'il a refusé de me dire son nom ? Est-ce que vous l'avez déjà vu depuis son réveil ? Est-ce qu'il vous a dit quelque chose en particulier ? »
Le traître ! Il essayait de me piéger pour savoir si Ruben m'avait appris encore plus de chose sur le Projet ! Que ce cher Cadeig se rassure, je ne sais rien de lui à part son nom. Tout ce que je connaissais de ce Projet plus que sadique, je le tenais d'Ashley.
Comme le Haut-Ministre ne semblait pas savoir que c'était moi qui l'avais vu se réveiller, je décidai donc de lui mentir, autant pour protéger Ruben que moi-même.
« Je l'ai vu une seule fois, repris-je. Juste quelques minutes, le temps de lui apporter des médicaments. Il n'a absolument rien dit.
-D'accord, répondit Cadeig visiblement irrité. Si jamais il parle, n'hésitez pas à me prévenir. Venez directement me voir dans mon bureau pour que nous puissions en discuter tranquillement, ce jeune homme a sûrement beaucoup de choses à nous apprendre. Excusez-moi mais je suis pressé, je dois déjà vous laisser. Au revoir mademoiselle Mathing.
-Au revoir monsieur, le saluai-je. »
Le Haut-Ministre reprit sa route vers la sortie tandis que je restai plantée en milieu du couloir. Je n'avais qu'une envie, c'était de lui donner un bon coup de poing dans la figure mais les deux colosses à côté de lui m'avaient dissuadé de le faire. Il voulait absolument que je vienne le voir, soi-disant pour parler, il n'avait pas précisé qu'il me tuerait au passage.
Soudain, je me rendis compte qu'il avait déjà été mis au courant du réveil de Ruben.
Pourquoi Ashley avait-elle fait ça ? Si on voulait le protéger pour éviter qu'il soit renvoyé à Echec, ce n'était pas en avertissant Cadeig qu'on allait y arriver !
Je décidai de remettre l'interrogatoire de ma formatrice, et mon déjeuner, à plus tard pour me diriger rapidement vers la chambre de Ruben. Qu'est-ce que le Haut-Ministre lui avait dit ? Est-ce qu'il l'avait menacé ? Est-ce qu'il lui avait fait du mal ? Je n'imaginais même pas ce qu'il avait pu faire contre lui.