— Gabe, reste avec moi ! Gabriel, tu m'entends ? Ouvre les yeux ! Ne t'endors pas, pas encore, tu dois rester éveillé !
Mes imprécations devenaient moins sonores et plus désespérées à chaque seconde qui passaient. Mais qu'est-ce qu'ils faisaient avec le matériel de suture bon sang ! pestai-je intérieurement, alors que le flux de sang, freiné mais non stoppé, continuait à s'écouler lentement entre mes doigts, drainant la vie de Lynch au rythme de ses battement cardiaques de plus en plus lents.
— C'est ça qu'il vous fallait ? me demanda Josef, alors que je sursautai violemment, surprise, tellement mon attention était focalisée sur Lynch.
J'avisai le kit de suture flambant neuf et encore dans son emballage protecteur qu'il me tendait, n'en croyant pas mes yeux ! Comme ce n'était pas le moment de lui demander où il faisait son marché, je m'en saisis avant de réaliser que d'une seule main, je n'arriverais à rien.
— Je vais avoir besoin de votre aide ! Prenez ma place et maintenez la pression, n'hésitez pas à appuyer, lui dis-je en appliquant d'autorité sa main à la place de la mienne, sans lui laisser le choix de refuser.
Je vis à son regard, constamment fixé sur la cage et la créature qui s'y trouvait désormais, qu'il aurait préféré être n'importe où plutôt qu'ici. Néanmoins il ne se déroba pas, tandis que je déchirai l'emballage et me saisissais de la bouteille remplie de liquide clair.
— C'est du désinfectant ?
— De la mauvaise gnole, mais je n'ai pas eu le temps de trouver mieux. Vu le degré d'alcool, ça devrait faire l'affaire, rien ne peut survivre à ça !
Je lui fus reconnaissante de sa tentative d'humour, même si j'étais bien trop stressée pour y répondre. Je dévissai le bouchon à la hâte avant de répandre un peu de son contenu sur mes mains afin d'éviter au maximum les risques d'infections secondaires, puis je passai le fil spécial dans l'aiguille courbe avant de m'approcher de Lynch.
— ça va piquer ! le prévins-je même si j'étais trop douloureusement consciente qu'il ne pouvait pas m'entendre, alors que Josef s'écartait et que je versais le liquide sur la plaie.
La brulure de l'alcool et la première morsure de l'aiguille, le sortirent instantanément de l'inconscience, dans un cri primal et inarticulé.
— Gabe, je sais que ça fait mal mais tu ne dois pas bouger ! Josef, tenez-le ! m'écriai-je tandis que le mouvement brusque de Lynch manquait m'arracher l'aiguille des doigts et aggraver encore sa blessure.
Il souleva brièvement les paupières, ses yeux voilés par l'épuisement et la douleur se rivant aux miens un bref instant, avant qu'il ne les referme avec une lassitude résignée.
— Vas-y, murmura-t-il en trouvant encore la force d'agripper ma cheville.
Sans aucune hésitation, car ce n'était pas le moment d'en avoir, je repris mon travail de couture. Les points étaient grossiers et l'ensemble laisserait sans doute une vilaine cicatrice qui, si je parvenais à le sauver, serait le cadet de ses soucis. L'entreprise était délicate compte tenu de l'urgence, du tremblement de mes mains et du sang qui rendait mes doigts poisseux et glissant. Une fois mon travail fini et l'hémorragie enfin sous contrôle, je désinfectai une nouvelle fois accompagnée des gémissement sourd de Lynch, qui me crevait le cœur.
— Maintenant on peut le déplacer, dis-je à Josef d'une voix rendue atone par l'épuisement en me remettant debout.
Nous l'installâmes dans la barque avec précaution et le transportâmes ensuite jusqu'à leur pseudo-infirmerie avec autant de prudence. Contrairement à ce que j'avais espéré, personne ne vint nous aider et c'est à bout de force que je déposais Gabe sur le lit de fortune installé à l'écart des autres, sans doute par peur de la contagion.
— Maintenant, il lui faut une transfusion, dis-je à Josef en m'asseyant à même le sol.
— Une transfusion ?! Et avec quoi ? Vous apercevez un hôpital ou une banque de sang dans les parages, vous ? s'emporta ironiquement Josef en secouant la tête.
— Vous avez bien une personne O – dans ce groupe, non ?
— Mais ouvrez les yeux ! Nous survivons ici ! Avec les moyens du bord et très peu de ressource ! Comment voulez-vous que nous connaissions nos groupes sanguins !
Le découragement, la peur et la colère s'emparèrent de moi alors que l'ironie de la situation m'arrivait en pleine face. Tout ce que je venais de faire pour sauver Lynch ne servirait strictement à rien s'il ne recevait pas du sang dans l'heure suivante. Il restait tout de même un infime espoir, continuai-je à y croire en me rapprochant de Gabe.
— Dis-moi que tu connais ton groupe sanguin ? lui demandai-je d'un ton suppliant, alors qu'il rouvrait péniblement les yeux.
— ça va pas te plaire, me répondit-il en essayant de sourire. Je suis... B-.
Merde ! Ce n'était pas possible ! Tout s'acharnait contre nous ! me dis-je en prenant ma tête entre mes mains.
— Je suis vraiment désolé, me dit gentiment Josef en posant une main sur mon épaule. Je suis l'un des seuls à être assez âgé pour connaître mon groupe et je ne suis pas compatible.
— Moi non plus, chuchotai-je entre mes doigts. Où avez-vous trouvé ce kit de suture ? lui demandai-je soudain en relevant la tête.
— Quoi ? s'étonna-t-il en me fixant d'un regard interloqué.
— Le kit de suture ! m'énervai-je en me relevant. Il venait bien de quelque part ?
— De l'ancien hôpital de la ville. Nous nous risquions à y faire une incursion de temps en temps, mais nous avons finis par vider leur stock. Il nous reste du matériel de base, mais c'est tout.
Complètement anéantie et découragée, je laissai mon regard tomber sur Gabe. Un pauvre sourire sur les lèvres, il me contemplait d'un regard triste.
— T'inquiètes pas, ça va aller, dit-il pour me rassurer d'une voix sans force. Ce n'est pas une petite hémorragie qui va me faire peur, ajouta-t-il alors que je m'agenouillais de nouveau à ses côtés, les larmes aux bords des yeux.
Josef en profita pour s'éclipser discrètement, sans doute pour nous laisser un peu d'intimité avant... Non, ce n'était pas envisageable ! Il avait perdu beaucoup de sang, c'est vrai, mais il était jeune et en bonne santé, sans transfusion ce serait long, mais il avait malgré tout une chance de s'en remettre, essayai-je de me persuader.
— Tu sais...le plus ironique dans l'histoire, c'est que le seul qui aurait pu me sauver...c'était Connors et je me suis pris une balle qui lui était destinée ! termina-t-il dans un rire mêlé d'une toux de mauvais augure. Punaise, ça fait un mal de chien !
— Quoi ? Comment ça ? lui demandai-je surprise en relevant la tête, tandis que j'essuyais rapidement mes larmes d'un revers de manche.
— On a le même le groupe sanguin, parvint-il à me répondre avec effort, sa gorge le faisant souffrir.
— Tu en es sûr ?
— C'est moi qui...lui ai donné mon sang...la dernière fois...
Il avait à peine terminé sa phrase que j'étais déjà debout, partie à la recherche de Josef. Je n'eus que quelques pas à faire et faillis même le percuter à la sortie de la tente, manquant renverser le plateau qu'il tenait dans ses mains.
— Josef, savez-vous si le virus modifie le sang des personnes contaminées ?
— C'est-à-dire ?
— Peut-on quand même le transfuser ?
— Vous voulez dire que... Non c'est de la folie ! On ne pourra pas l'approcher d'assez près et votre ami serait contaminé à son tour.
— D'après vous nous sommes immunisés.
— Contre une contamination secondaire, oui je le pense. Mais une primaire, c'est-à-dire par morsure ou sang contaminé...apparemment non.
— Vous êtes certain de cela ?
— Comment voulez-vous que je le sois ? Je ne suis pas médecin !
Dans ma tête, l'espoir le disputait à la raison. J'essayai surtout de ne pas penser à Connors, à ce qu'il était devenu, je m'écroulerai plus tard. S'il y avait la moindre chance, j'étais certaine qu'il aurait voulu que je la tente. J'ouvrais la bouche pour en parler à Josef, quand le jeune homme qui avait accidentellement tiré sur Lynch, arriva en courant, le souffle court et le visage rouge.
— Josef ! C'est le contaminé... Il y a un problème !