Chapitre 25.2

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Trou noir. Je fermais les yeux, les rouvrais. Ma vision refit le point, mouchetée partiellement. Je reposais à même le sol. J'avais dû perdre connaissance et ils m'avaient balancé là. Je me redressais avec précaution, luttant contre les élancements dans mon dos. Que m'avaient-ils... Des flashs me revinrent. Je réprimais un gémissement. Je n'avais pas craqué. Aucun mot n'avait filtré de ma bouche. Juste des cris, des hurlements... je repoussais les images. La pièce se réduisait à trois murs, un grillage verrouillé de l'extérieur. L'un des autres box. À l'extérieur, le silence. Personne en vue. Je ne représentais plus une menace pour eux. Pas de surveillance directe et... pas d'attaches. Je frottais mes poignets enflammés, mais libres de tout lien.

La faille.

Il n'y aurait pas d'autre opportunité, j'en étais convaincue. La prochaine fois qu'ils franchiraient ce seuil, je n'en ressortirai pas vivante. Mes doigts tâtonnèrent jusqu'à ma cuisse et se saisirent de ma lame, luttant un moment avec les attaches la maintenant. C'était un miracle qu'ils ne l'aient pas découverte. J'insérais la lame dans l'interstice entre la chaîne rouillée et le grillage, jouant sur les maillons pour les faire céder. La sueur dégoulinait sur mon front, rendait mes mouvements malhabiles, mais je ne relâchais pas l'effort. Je ne disposais que d'une seule chance. Petit à petit je sentis la résistance de la chaîne s'amoindrir. Mon dos me cuisait, la tête me tournait sous les vagues de douleur, mais je ne pris aucune pause. Si j'arrêtais, je m'écroulerais. Un cliquetis soudain puis le son du métal tintant sur le sol. L'euphorie d'avoir réussi se mêla à la panique que le bruit alerte quelqu'un. Je restais plusieurs secondes immobile, l'oreille tendue, le cœur au bord des lèvres. Rien. Je relâchais mon souffle et osais pousser la porte grillagée.

J'avisais un chiffon par terre dans l'un des box et m'en saisis. Je luttais pour rester simplement debout, le moindre de mes muscles courbaturés. Serrant les dents, je m'efforçais de le lier avec les restes de mon haut, au moins je ne sortirais pas à demi nue, pour le glamour on repasserait. Je m'avançais ensuite jusqu'à la lourde porte menant aux escaliers, à la sortie. J'y plaquais mon oreille, ma lame fermement tenue. Silence. Jamais je n'avais été aussi contente d'être considéré comme faible. Ils n'avaient même pas jugé utile de monter la garde. Et si la porte était verrouillée... Je me mordis les lèvres, la liberté si proche.

Je poussais le battant sans trop y croire. Il bougea imperceptiblement avant de bloquer. Je mis tout mon poids contre lui. Cette fois, il céda, révélant les premières marches. Sous l'élan, je perdis un instant l'équilibre et me rattrapais de justesse. Mon dos heurta le mur à la peinture écaillée et l'éraflement m'envoya une décharge de douleur. Je ne pus retenir un cri que j'étouffais rapidement contre la paume de ma main. Un voile sombre me troubla la vision. Je me concentrais sur mon but, sortir à tout prix. Ne surtout pas m'évanouir. Ma louve me prodiguait ses encouragements, m'aidant à tenir le coup, compagne de ma torture. L'air frais du parking m'accueillit. J'en pleurais de soulagement. J'allais droit devant moi, me faufilant entre les voitures stationnées. Je sentais mes blessures à vif, le contact du tissu frottant chaque zébrure. Je remontais à l'air libre puis m'immobilisais un instant, désorientée.

Je forçais mon esprit à fonctionner. Étudier l'environnement pour se repérer et rejoindre le point de chute. Le trajet en voiture jusqu'ici n'avait pas duré longtemps, une dizaine de minutes tout au plus. Les sons de la circulation, les bruits de la ville, je les avais entendus tout le long, même étouffés par la carrosserie. Nous avions juste changé de quartier. Je rasais les murs, me cachais dans le renfoncement d'une entrée dès qu'un bruit me parvenait. Les bras autour de moi pour me protéger comme je pouvais du froid, mes dents s'entrechoquaient, mes yeux balayaient les façades des bâtiments, cherchaient les panneaux d'indications. Cimetière St Michael. Ce nom me fit tilter. Je fis appel à mes souvenirs des plans de Toronto. On les avait soigneusement étudiés avant d'intervenir sur place. Ce nom, je l'avais retenu. Le prénom de mon père. Tiens, j'allais vraiment finir par croire aux signes. Il se situait au nord du quartier de Yorkville, dans... Deer Park. Illumination. La planque, dans le quartier The Annex. Une petite trotte à pied, mais c'était jouable et puis... Je n'avais pas vraiment le choix.

Jouer avec le paysage pour passer inaperçu, profiter des zones d'ombre, des passages couverts, des ruelles étroites. Je faillis me perdre à maintes reprises, me faire agresser tout autant de fois, sans parler de m'écrouler sous le feu irradiant mon dos. Lorsque mes doigts se glissèrent dans la brèche du mur où j'avais glissé la clé de l'appart, j'étais à deux doigts de m'évanouir.

Un dernier effort, juste un.

Je hochais mécaniquement la tête en montant l'escalier plongé dans la pénombre. Arrivée devant la porte, mes jambes tremblaient. J'entrais enfin, verrouillais puis me traînais jusqu'à la table basse où reposait mon téléphone. Mes mains tremblantes se saisirent de mon portable. Mes doigts dérapèrent et il me fallut plusieurs essais avant de réussir à le déverrouiller. Ma vue se troublait de plus en plus. Je n'allais pas tarder à tomber dans les pommes. Serrant les dents, j'appuyais sur le raccourci d'appel. Portant l'appareil à mes yeux, j'étouffais un juron en prenant conscience de mon erreur. Non, pas lui, surtout pas lui. Je pressais avec énergie le bouton rouge. Dans ma précipitation, je n'eus pas le temps de voir si l'appel avait abouti. Je réunis mes dernières forces pour sélectionner le bon raccourci, puis j'enfonçais la touche haut-parleur. À bout de souffle, j'entendis la tonalité résonner dans la nuit, tel un appel au secours. Deux autres bips avant que mon correspondant décroche.

— Hé miss, répondit Doc à l'autre bout de la ligne.

J'ouvris la bouche pour parler, mais je ne pus qu'émettre un gémissement étouffé, la douleur irradiant de partout. L'instant d'après, le néant total. 

Protège-moi - T.1 Pleine lune [Terminé]Where stories live. Discover now