Chapitre 16.4

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Ils veillaient tous sur moi à leur façon. Chaque mardi et vendredi soir, je rejoignais l'appartement des deux frères ou celui de Doc. Ils ne m'avaient pas laissé le choix. Une fois j'émis l'idée d'accueillir nos repas à mon appartement. Ma proposition fut loin de remporter le succès escompté. Un grand silence suivit mes paroles. Apparemment j'avais lâché une bombe sans le savoir. Impossible d'ignorer l'échange de regards entre Doc et Antonh, alors qu'Arenht se figeait. Il était lourd de sens pour eux, une conversation silencieuse dont j'étais totalement exclue. Dire que je me sentais mal à l'aise était un euphémisme. Lâchant un rire faux, je balayais ma proposition d'un mouvement négligent de la main.

— J'ai compris, lâchais-je. Pas envie de vous coltiner une déco trop féminine à votre goût. C'est bon. Restons dans l'ambiance sobre et masculine pour nos soirées. Sans coussins. Sans bougies.

— Tu pourras ramener un ou deux coussins si tu veux, me répondit Doc.

— Par contre les bougies tu oublies, intervint Antonh. Surtout les trucs à l'odeur de fleurs ou de bonbons.

— Elle sent très bon celle au pain d'épices ! marmonnais-je. Je suis sûre que tu adorerais « soirée d'hiver ».

— Oh non ! Épargne-moi les noms foireux qui ne veulent absolument rien dire. Brume de printemps, Feux de bois et j'en passe. Affligeant. Le pire c'est que ça marche sur vous les filles. Un intitulé un peu poétique et bim ! Vous vous ruez dessus. On peut tout vous vendre dès qu'on y met les formes.

Je lui tirais la langue. Pas la plus mature des réactions je vous avoue, mais je savais qu'il aurait le dernier mot alors je concluais à ma façon. Cet échange eut le mérite de faire redescendre la tension. La soirée se termina comme d'ordinaire, même si l'ambiance resta altérée par le mutisme d'Arenht.

Je secouais la tête pour chasser ce souvenir de mon esprit. Ce soir, soirée pizzas chez les frangins et Sheren était de la partie. Meilleur ami d'Arenht, il nous rejoignait souvent quand il ne sortait pas dans les bars. Je décidais de laisser de côté ma mauvaise humeur à son encontre pour profiter du moment auprès de mes amis. Vu comment il s'était pris un savon par Declan, il y avait fort à parier qu'il ne ferait pas le fier face à moi. La satisfaction de le voir se tenir tête basse devant le chef compensait la frayeur qu'il m'avait faite. Je n'avais pu m'empêcher de lui offrir mon plus beau sourire alors même qu'il se faisait reprendre. Entendre ses excuses sous la pression de Declan valait aussi le coup. Pour autant je me méfiais du retour de bâton. Connaissant le spécimen, il planifiait certainement déjà son prochain coup en douce. J'espérais qu'il n'oserait rien tenter face aux autres.

Pas de coup foireux de la part du petit rigolo de service ni de taquineries trop insistantes. L'ambiance détendue, les jeux de société et de la pizza délicieuse : que demander de plus ? La pression due à la mission avait déjà complètement disparu. Cela me rappela que Declan nous avait donné, pour ne pas dire imposé, un jour de congé. Interdiction de traîner au Complexe, je devais changer d'air pour reprendre ses mots, me détendre. Facile à dire ! Je n'étais pas sûre de savoir encore le faire depuis la mort de mes parents. J'allais certainement traîner dans mon appart, bouquiner, boire des litres de thé et... bouquiner. Un programme pas désagréable en fait songeais-je.

— Eh! Aylyn, m'interpella Antonh. Ça te dirait un petit tour au Pétroglyphes Parc ?

Je le dévisageais, un grand sourire aux lèvres. À l'époque de la fac, le professeur d'anthropologie nous en avait parlé. Je n'avais pas eu l'occasion d'y aller même si ce n'est pas l'envie qui m'en manquait.

— Il me semble que ça pourrait t'intéresser.

— Pour de vrai ? Ça ne te dérange pas ?

Je trépignais déjà sur place, à moitié en train de taper dans les mains de joie.

— Il ne t'en faut vraiment pas beaucoup pour être heureuse, s'amusa mon ami tout en m'ébouriffant affectueusement les cheveux. Je lui claquais une bise sur la joue.

— Eh Lynee ! J'peux en avoir une aussi ? s'écria Sheren.

Je lui tirais la langue. Il apostropha alors Antonh.

— Faut faire quoi mon pote pour en avoir une ?

Je l'entendis couiner sous la tape d'Arenht. Je pouffais tout en remarquant le regard étrange de mon partenaire sur moi. Un instant il me sembla que le comportement de son meilleur ami l'énervait. Je devais me faire des films. On finit par se replonger dans la partie et la soirée se termina dans la bonne humeur. 

Protège-moi - T.1 Pleine lune [Terminé]Where stories live. Discover now