Chapitre 19.1

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À la lueur du réverbère, les traits de son visage accusaient le coup de la fatigue accumulée. Je me passais machinalement les doigts sur les paupières, réprimant un bâillement. Ce n'était pas le moment de craquer. Nous étions tous dans le même état et je ne voulais à aucun prix avoir un traitement de faveur sous prétexte que j'étais une femme. Les lumières allaient bientôt s'allumer. Un coup d'œil au cadran de ma montre. Une minute. Lorsque la grande aiguille passa le 12, la fenêtre sortit de l'obscurité. Réglé comme une horloge le type. On n'allait pas se plaindre de sa ponctualité, on savait à quoi s'en tenir. Ponctuel et insaisissable, deux qualités dont il pouvait se vanter, la deuxième constituant pour le coup un handicap non négligeable. Les rideaux laissés filtrer à peine la lumière. À part une silhouette, nous ne pouvions rien apercevoir de ce qui se passait à l'intérieur. Une seule ombre. Aucune trace d'un autre occupant, pourtant nous étions certains des connexions existantes entre les deux hommes. On ne le voyait jamais entrer dans le bâtiment. Il devait se servir d'une entrée secondaire, à l'abri des regards. Cet excès de discrétion aiguillonnait nos soupçons sur les secrets qu'il voulait cacher. Pourquoi sinon mettre autant d'énergie à s'évanouir dans la nature ?

Arenht changea imperceptiblement de position. L'éclat de la lentille de visée de son fusil accrocha mon regard. Tout en n'étant pas particulièrement rassurée par l'aura de danger entourant les armes à feu, je ne pouvais détacher mon attention de la fluidité de ses gestes alors qu'il se positionnait pour observer de plus près notre cible. Son assurance et sa concentration mettaient en valeur son côté prédateur et protecteur en même temps. Je ne me sentais jamais autant en sécurité qu'à ses côtés. Reprenant mes esprits, je m'attelais à ma propre tâche. Me saisissant des jumelles, je gardais l'œil sur les accès au bas de l'immeuble : l'entrée principale constituée de grandes portes vitrées sécurisées par un cadran digicode, le croisement des deux grandes avenues juste au coin et l'accès menant à notre propre position. Vu par où nous étions passés pour nous installer sur le toit, il était peu probable d'avoir de la visite, autre que des chats de gouttière s'entend.

La respiration de mon coéquipier changea.

— Mouvement chez notre ami.

— Il va chercher son amie à la robe ambrée ?

Une question pour la forme. Notre cible avait son petit rituel. Impossible de savoir exactement le contenu de la bouteille qu'il apportait vers son salon, mais je restais sur l'idée d'un bon whisky. Après tout, il se targuait de ses origines écossaises.

Je sentis son petit sourire.

— Affirmatif. Si seulement nous avions plus de visibilité sur la suite de sa petite soirée, marmonna-t-il en réglant son viseur. Satanés rideaux.

— Une petite caméra sur place réglerait notre problème. Ou un micro stratégiquement placé.

— Yorsha a tout ce qu'il nous faut, mais le problème reste de pouvoir s'approcher assez près de lui. Ce gars est un vrai fantôme.

Cette conversation nous ne cessions de l'avoir. Nous piétinions et cela nous mettait sur les nerfs. Pour l'instant nous restions à distance, nous contentant de l'observation pure et simple. Je les sentais tous à l'affût des prochains ordres. Dès que Declan autoriserait la prise d'actes, ils bondiraient sur leur proie.

Une idée me traversa soudain l'esprit. Peut-être quelque chose à tenter comme mesure intermédiaire, un risque mesuré qui garderait notre présence secrète.

— Le type est amateur de femmes non ?

Je le sentis tressaillir avant de se tourner vers moi. Je gardais ostensiblement mon attention braquée sur la rue en contrebas.

— Qu'est-ce que tu as derrière la tête ?

Il me connaissait trop bien. Je me mordillais la lèvre avant de lâcher mon idée d'une traite. Le léger bruit de l'arme posée sur le sol.

— Tu veux bien répéter ? J'ai cru comprendre que tu te proposais comme appât.

Ne pas se fier à son ton calme et posé. Je lui fis face.

— C'est tout à fait ça. Il ne me connaît pas. Ça se tente. Si je peux avoir l'occasion de lui coller une puce nous permettant d'avoir les informations que l'on veut sans en passer par le côté coups de feu et autres joyeusetés, sans nous mettre en danger, il n'y a pas à hésiter.

Il me regarda incrédule, secouant la tête.

— Parce que tu crois que l'option n'a pas été évoquée ? C'est un non catégorique. Pas question de te mettre en danger. Ce gars il...

— Et pourquoi ? le coupais-je.

— Pourquoi quoi ?

— Vous ne m'en sentez pas capable, c'est ça ? m'énervais-je.

— Rien à voir. Trop risqué c'est tout.

Il retourna à son poste sans rien ajouter. Discussion close. 

Protège-moi - T.1 Pleine lune [Terminé]Where stories live. Discover now