Chapitre 4.2

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 Je lâchais un court instant des yeux la bête pour estimer mes chances de me cacher ou de fuir. Mais qui voulais-je tromper ? Dès les premières foulées que je ferais pour m'en aller, la bête aura tôt fait de me rattraper et de me déchiqueter à mon tour. Focalisant de nouveau mon attention sur la bête, j'observais avec une quasi-fascination morbide la façon dont ses mâchoires se refermaient sur les membres de sa victime, les volutes de fumée s'échappant de son museau dans l'air froid, les babines teintées d'un grenat brillant. Alors que je restais hypnotisée par la scène, un bruit incongru et strident vint ébranler l'étrange quiétude de la scène. Avec un temps de retard, je m'aperçus que ce n'était autre que ma sonnerie de téléphone portable, qui entonnait gaiement un générique de série télé. Ah ça ! C'était typique de mon manque de bol légendaire, pestais-je intérieurement. D'habitude on ne m'appelait jamais et voilà que là quelqu'un se rappelait à mon bon souvenir. Dans le genre je ne peux pas plus mal tomber, l'auteur de ce coup de fil était sacré champion. Mes doigts malhabiles cherchèrent le responsable de ce raffut impromptu dans la poche de ma veste, puis s'escrimèrent à le faire taire. Tout cela me prit une dizaine de secondes pendant lesquelles le temps sembla suspendre son cours. La bête avait relevé sa tête altière et me dévisageait de nouveau de son regard aussi noir que le gouffre des Enfers. Oh, je suis mal, très mal même, pensais-je avec panique. Tandis que je soupesais chacune des alternatives, la bête se dirigea vers moi. Saisie, je demeurais à ma place tout en l'observant. Quelque chose attira son attention, car elle tourna son museau vers l'arrière tout en grognant.

C'est le moment songeais-je tout en tremblant de peur. J'esquissais un pas en arrière, lentement, comme si je marchais sur un fil au-dessus d'un immense précipice. Je continuais de reculer sans la perdre un moment des yeux. Sans y croire, je rebroussais lentement chemin, augmentant la distance entre moi et le museau dégoulinant de sang de la bête. Bientôt le coin de la rue se dessina dans mon angle de vision périphérique droit, quelques mètres avant de tourner, quelques mètres avant de couper la connexion visuelle. La sueur ruisselait sur mon front, glissant le long de mes joues. J'en sentais la saveur salée sur mes lèvres. J'étais dans un état étrange alors que je faisais glisser mes pieds vers l'arrière, état de transe où la peur était remplacée par un détachement s'apparentant au déni du danger. Ce n'était pas le moment de remarquer un détail aussi anodin dans ce contexte, mais je notais que la lune était ronde et presque pleine dans le ciel nocturne, donnant un éclairage spectral aux lieux. Bizarre que d'un coup mon cerveau s'attarde sur cette donnée alors même que ma vie ne tenait qu'à un fil. Le loup ne bougeait toujours pas, mais m'observait. Je parcourus du regard les alentours. Personne. En tout cas, personne n'était en vue.

Protège-moi - T.1 Pleine lune [Terminé]Where stories live. Discover now