Chapitre 5.3

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              Je relevais la tête, perdue, le corps engourdi. Épuisée par les larmes, je m'étais endormie sur le volant. La nuit tombait à présent, les lampadaires projetant leur lueur blafarde à travers la vitre. Mes mains tâtonnèrent à la recherche de la bouteille d'eau que j'avais glissée dans mon sac. J'en avalais une longue gorgée, chassant le goût amer au fond de ma gorge. Je ne pouvais rester là, si près du lieu où j'avais appris... Mon estomac se contracta de douleur et pris d'une frénésie soudaine de fuir, je démarrais le moteur, accrochais ma ceinture par réflexe et roulais. Dans un état second, j'avançais, consciente de la route, de la signalisation, mais engluée dans un brouillard occultant les directions. Je conduisis mécaniquement, une seule idée en tête : m'éloigner. Mon regard accrocha l'axe principal et je m'y dirigeais. Rouler droit devant. Au bout de dix minutes à peine, j'atteignis une zone plus industrielle. Je ne reconnaissais pas les environs. Une enseigne automobile, puis les limites de la ville. D'un coup de volant, je rejoignis le bas-côté, pilant presque devant les rambardes de sécurité. Heureusement la circulation était peu dense à cette heure de la nuit. Une sensation soudaine d'étouffement me prit. Je me dégageais de la voiture, mes mouvements saccadés rendant l'opération ardue. Enfin je fus à l'air libre. Je devais avoir l'air d'une folle. Quand bien même on me verrait, je m'en moquais. J'avais atteint ce stade de détachement où plus rien n'avait d'importance, j'aspirais juste à mettre fin à ce cauchemar.

Je traversais la route jusqu'au parapet de sécurité. J'observais un instant la surface du lac. Sur une pulsion j'enjambais la glissière de sécurité et avançais jusqu'à frôler l'eau. L'idée était séduisante, si tentante. Le mouvement hypnotique de l'onde m'invitait à me joindre à elle, à venir dans son étreinte réconfortante. Ma douleur serait-elle apaisée ? Je n'avais personne pour me retenir, aucun lien ne me retenant à cette terre ferme. Ma chaussure avança de quelques centimètres sur le bord, le bout de ma semelle effleurant le lac. Un équilibre ténu, juste un pas et...

Une main ferme m'agrippa par mon sweat-shirt à l'instant même où je me sentais basculer. Un cri de dépit m'échappa alors que la porte vers mon échappatoire s'éloignait de moi. Sans réfléchir, je tentais de me libérer d'une brusque poussée, mais la prise se renforça et avant de pouvoir effectuer un autre mouvement, je me retrouvais plaquée contre une poitrine ferme, maintenue par deux bras déterminés à ne pas me lâcher. Déboussolée, je ne savais plus quoi faire, la panique le disputant à la colère. La première prit le dessus. Je me débattais violemment, mes réflexes de fuite prenant le dessus alors que la peur inondait mes veines. C'étaient eux, ils allaient me tuer ou pire.

— Aylyn. Aylyn, arrête c'est moi.

Il fallut plusieurs secondes avant que sa voix perce le brouillard de la peur. Arenht ? Je cessais instantanément de lutter, relevant les yeux vers le visage de celui qui me tenait fermement. Que faisait-il là ? Pourquoi... Les tremblements reprirent, me faisant claquer des dents. Dans quel état pitoyable me voyait-il ? Mes mains vinrent couvrir mes yeux, comme pour fuir la réalité. J'avais l'impression que toute ma vie se délitait autour de moi, autant de filaments s'échappant de moi, me laissant sans substance. Je lui en voulais presque d'avoir arrêté mon geste. À quoi bon me ramener ? Qu'est-ce qui m'attendait ? Rien. Je n'étais qu'une coquille vide, brisée plusieurs années auparavant. Eux seuls me permettaient de maintenir un semblant de stabilité, de maintenir ensemble les parties instables de mon esprit.

Pourtant, à travers le voile de ma souffrance, la chaleur de ses bras autour de moi m'atteignait, me procurait une étrange sensation de sécurité. Je finis par me laisser aller contre lui, m'apaisant peu à peu.

— Allez viens, ne restons pas ici, souffle-t-il. Allons au chaud.

Je n'acquiesçais pas, me contentant de le suivre, en pilote automatique. Être à l'abri m'importait peu. J'étais comme dénuée de volonté. Sa voiture était garée non loin. Perdue dans mes pensées suicidaires, je n'avais même pas entendu son arrivée. Que faisait-il dans les parages ? La question se forma un instant dans mon esprit avant de s'évaporer. En quoi cela me regardait-il après tout ? Il m'ouvrit la portière, attendant que je monte avant de refermer. Une fois installé au volant, il démarra. Machinalement je bouclais ma ceinture. Je m'en aperçus quand je constatais que mes doigts s'y agrippaient nerveusement. Pourquoi me soucier de ma sécurité alors que quelques instants avant j'étais sur le point d'en finir ? Il n'y avait rien de logique, rien de censé. Plus rien n'avait de sens de toute façon. 

Protège-moi - T.1 Pleine lune [Terminé]Where stories live. Discover now