Chapitre 7.1

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Les larmes avaient cessé de couler, mon corps reposait, perclus de fatigue. Éveillée, j'avais une douloureuse conscience de chaque muscle courbaturé, de ma peau à vif au niveau de mes poignets et chevilles, sans compter les bleus sur mes bras auxquels s'accrochaient encore une intraveineuse. En continu elle envoyait ce produit bleuâtre.

Comme dotée d'un sixième sens, je le sentis approcher de la salle bien avant d'entendre le bruit feutré de ses pas sur le vieux linoléum. Serrant les dents, je me préparais autant que possible à son arrivée. Je ne pus empêcher mon pouls de s'affoler. L'odeur de son tabac bon marché le précéda. Incapable de croiser son regard, je le gardais résolument fixé sur le sol. Il tira une dernière bouffée sur sa cigarette avant de jeter avec négligence le mégot à terre. Mes yeux accrochèrent le bout rougeoyant et l'arabesque de fumée qui s'en échappait. Je m'accrochais aux détails de mon environnement, une technique me permettant de ne pas faire une énième crise de panique. 

J'ignorais son nom, comme celui des autres. Ils prenaient garde à ne jamais utiliser leur identité, se donnant du chef ou des surnoms anonymes. Pour ma part, je le désignais mentalement par « le Décoloré ». La répulsion éprouvée à sa vue n'avait d'égale que la peur tordant mes entrailles dès qu'il apparaissait. Sous ses mèches d'un jaune délavé aux racines brunâtres brillait un regard malsain. Tel un prédateur, il me jaugeait avec une froide satisfaction. Il tapota l'écran non loin de la table et se tint un instant immobile.

À chaque visite le même cérémonial : il me scrutait, puis s'occupait des résultats affichés avant d'appeler son acolyte. J'ignorais combien de personnes se trouvaient dans les parages. Seules trois personnes défilaient dans la pièce où je me trouvais, toutes dangereuses.

Je me gardais bien de leur poser des questions, trop effrayée pour ouvrir la bouche. De toute façon, mon instinct me soufflait que je n'apprécierais pas les réponses s'ils daignaient m'en donner.

Je me répétais mentalement de ne pas bouger, d'attendre qu'il en ait fini pour ensuite être seule, bref répit entre leurs visites. Être seule pour réfléchir à comment me sortir de là. Dans ces moments-là, j'étais à deux doigts de les appeler pour enfin être fixée, savoir à quoi m'attendre au lieu d'être rongée par cette incertitude. Ce produit... Étais-je un cobaye pour tester un nouveau produit pharmaceutique ? Dans ce cas, il suffisait de faire un appel à des volontaires. Pour quelques dollars des gens étaient prêts à tout. Une nouvelle drogue peut-être ? Plus j'y songeais et plus cela m'apparaissait comme l'explication la plus plausible. D'où l'enlèvement, d'où l'étude de mes constantes, la surveillance accrue...

Ses doigts me saisirent soudain le menton, me forçant à lui faire face. Je réprimais une plainte de douleur sous la brutalité de son geste. Je retins ma respiration alors que l'odeur de nicotine imprégnée sur sa peau affluait à mes narines. Il m'étudiait tel un rat de laboratoire. Aucune lueur d'intérêt pour ma personne ne brillait dans ses prunelles d'un gris pâle, ce qui ne me rassurait qu'à moitié.

­— J'hésite encore, dit-il comme se parlant à lui-même. Joues-tu la comédie ou ignores-tu totalement ce que tu es ? Si c'est le cas, cela enlève un peu du charme à ce que nous t'infligeons. Mais... tu n'en es que plus malléable. 

Protège-moi - T.1 Pleine lune [Terminé]Where stories live. Discover now