Chapitre 24.1

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Quartier de Yorkville, Bay Street.

Plus j'approchais de l'immeuble et plus mes doutes s'accentuaient. Ce n'était pas une bonne idée, vraiment pas. J'hésitais une fraction de seconde devant l'entrée. C'était le moment ou jamais de faire marche arrière. Je pris une profonde inspiration puis m'avançais dans le carré de lumière, juste devant la porte vitrée menant au vestibule. J'avais conscience de l'œil de la caméra braqué sur moi. Cette fois, on y était. Redressant la tête, j'essayais d'avoir un air assuré, digne du rôle que je voulais jouer. Je voulais prouver à tous, autant qu'à moi-même, que j'étais capable de prendre part à une mission, sans filet, sans partenaire. Arenht... Je repoussais cette pensée aussitôt. Pas question d'avoir l'esprit troublé maintenant.

Je me plantais devant l'interface du digicode, appuyais avec autorité sur le bouton où s'étalait le nom de ma cible. J'étais une professionnelle. Tel un mantra, cette phrase tournait en boucle dans ma tête. Peut-être qu'avant d'entrer dans l'antre de ce prédateur, j'en serais convaincue.

Un bip annonça l'ouverture de la porte sans autre forme de procès. Apparemment, il ne s'embarrassait pas de questions sur l'identité de celles qui le rejoignaient. Je poussais le lourd battant avant de pénétrer dans le sas d'entrée. Une épaisse moquette couleur crème tapissait le sol et amortissait le bruit de mes talons. Je résistais à l'envie de tirer une énième fois sur le bout de tissu me servant de jupe. À l'autre bout du couloir, les portes d'un ascenseur étaient déjà grandes ouvertes. Je déglutis avant d'y entrer.

Lorsqu'elles se refermèrent, la sensation d'un piège se refermant sur moi me tordit les entrailles. Pour fuir cette sensation inconfortable, je cherchais le panneau de contrôle sans le trouver. Étrange. Je croisais mon reflet dans l'immense miroir occupant tout un pan de la cabine. Pour un peu, je ne me serais pas reconnue. Le rouge soutenu soulignant ma bouche, le fard couvrant mes paupières et le trait de khôl étirant mon regard. Je devais admettre qu'ainsi j'avais l'allure d'une femme sûre d'elle. Un masque, juste un masque songeais-je alors que la peur restait tapie non loin, rendant plus que précaire cette mission. Lahra aurait été plus dans son élément. Une poussée d'adrénaline suivit cette pensée, me redonnant l'énergie nécessaire pour faire face. J'étais autant capable qu'elle.

Lucas Garman. Un nom que peu prononçaient à haute voix dans le milieu fermé de la contrebande. Yorsha avait eu du mal à le remonter jusqu'à lui et pour cause, l'homme tenait à sa tranquillité. Pourtant, les liens entre lui et le Groupe L étaient réels. Bien que je me sois préparée, la vision de l'homme qui m'accueillit à l'appartement me fit un choc. Des cheveux auburn striés de gris et de blanc encadraient un visage taillé à la serpe, mais non dépourvu de charme. Nul doute que je me trouvais face à un prédateur, de son sourire carnassier jusqu'à son regard perçant qui semblait voir au-delà de mon rôle. Respire Aylyn, m'intimais-je en forçant mes lèvres à esquisser un sourire aguicheur.

— Une nouvelle. Intéressant, susurra-t-il d'une voix profonde à l'indéniable accent écossais.

— Je viens de débuter, monsieur, confirmais-je en battant des cils.

Si cela pouvait aider à faire l'impasse sur les probables erreurs que j'allais commettre, autant saisir l'opportunité de glisser une semi-vérité.

D'un geste fluide de la main, il m'invita à entrer. Je n'eus pas à me forcer pour paraître impressionnée. L'intérieur sortait tout droit d'un magazine. L'homme avait du goût. Le parquet sombre était recouvert d'épais tapis dans les tons crème et beige, la table basse du salon un savant mélange d'acajou et de verre, deux immenses canapés l'encadraient. Au fond de la pièce, les baies vitrées cachées par de longs rideaux opaques, ceux-là mêmes qui nous obstruaient la vue lors de nos repérages avec Arenht. Une boule obstrua ma gorge. Le contact d'une main glissant dans le creux de mon dos interrompit mes pensées. Cela eut le mérite de détourner mon attention de ma culpabilité.

— Les lieux sont à ton goût ? s'enquit le propriétaire en effleurant mes fesses. Pour ma part, je n'ai pas à me plaindre. Je te trouve très... rafraîchissante.

Mes muscles se raidirent, mes poils se hérissèrent. Mon premier réflexe fut de fuir le contact. Je réfrénais cet instinct, émettant un rire pour couvrir ma réaction épidermique. C'était le jeu.

Je me laissais entraîner vers l'un des fauteuils. Mon cœur battait à vive allure. C'était de l'improvisation totale à ce stade. Je priais pour qu'il ne me saute pas dessus tout de suite. Je réprimais un soupir de soulagement quand il me demanda ce que je voulais boire. Ma louve restait alerte, même si elle était dans l'impossibilité de sortir. J'avais réussi à glisser l'une de mes lames sous ma jupe. Un astucieux système d'attache la maintenait contre ma cuisse. Un maigre réconfort. Je doutais qu'elle fasse le poids face à lui. Au moins je n'étais pas sans défense. Dans le revers de mon haut, la petite puce attendait que je la positionne. Je devais avant trouver l'endroit idéal. Faisant mine d'admirer les antiquités trônant sur les étagères, j'étudiais la pièce, tel qu'Arenht me l'avait appris : les possibles issues, les armes potentielles. 

Protège-moi - T.1 Pleine lune [Terminé]Where stories live. Discover now