Chapitre 6.1

203 13 1
                                    


Qu'est-ce qui m'avait pris d'indiquer cette adresse ? Une impulsion, une envie irrationnelle d'être près d'eux alors que... Je refoulais les larmes prêtes à jaillir. Pas question de m'effondrer de nouveau devant lui. Il en avait déjà assez fait pour moi. Je devais tenir encore quelques instants, lui sourire bravement, le remercier. Une fois passé le pas de la porte, je pourrais lâcher prise. Je devinais une hésitation dans ses yeux, comme s'il devinait la tempête qui menaçait de m'emporter. Ses doigts pianotaient nerveusement sur le volant et il ne cessait de lancer des coups d'œil à son téléphone, posé en évidence sur le tableau de bord. Contrairement au trajet jusqu'au café où je me trouvais dans un état second, là j'avais une conscience aigüe de sa présence, si proche dans cet espace confiné. Je rivais mon regard vers la vitre, accrochant la silhouette lumineuse de la lune, sphère parfaite. Je devais réfréner le désir insensé qu'il pose sa main sur la mienne, l'envie d'un contact aussi infime soit-il.

Lorsqu'il se gara devant l'entrée de la maison familiale, je restais prostrée, mes membres refusant de bouger. Je ne me sentais pas prête à affronter le silence qui m'attendait, le vide.

— C'est bien là ?

J'eus un léger sursaut, puis confirmais d'un hochement de tête. J'attrapais la lanière de mon sac, le remerciais encore une fois puis sortis de la voiture sans attendre sa réponse. Le vent frais de la nuit me fit frissonner. J'avançais résolument vers l'entrée. Ne pas montrer que chaque pas me coûtait, que je n'avais qu'une envie : tourner les talons. Car une fois le pas de la porte franchi, il n'y aurait pas de retour possible, la réalité de leur disparition viendrait me frapper de plein fouet. De la fuite je prenais un virage brutal : l'acceptation de leur mort.

Ma main fouilla maladroitement mon sac à la recherche des clés. Je les avais toujours sur moi. Mes doigts se saisirent du petit porte-bonheur accroché au trousseau. J'eus l'impression que l'on comprimait ma poitrine. Et ce n'était que le début. À l'intérieur, tout me les rappellerait. Lorsque j'introduisis le bout de métal dans la serrure, le déclic résonna tel un son funèbre. Avant de manquer de courage, j'entrais et refermais, puis je m'adossais contre le battant, les yeux clos. Alors seulement j'entendis la voiture s'éloigner. Il avait attendu avant de partir, comme pour s'assurer de ma sécurité. Je savourais cette sensation agréable, de savoir que quelqu'un avait veillé sur moi, au moins quelques heures. Une petite bulle réconfortante avant de replonger dans les ténèbres.

Je n'allumais pas tout de suite, repoussant le moment de l'impact. La pénombre entretenait encore l'illusion, l'espoir que tout ceci n'était qu'un mauvais rêve. Le silence resserra l'étau autour de ma gorge. Tel un linceul, il entourait la maison entière et décuplait les bruits de ma respiration. Les jambes tremblantes, je me dirigeais vers ma chambre, cocon familier où je venais parfois me ressourcer le week-end. J'enlevais mes chaussures avant de me rouler en boule dans la couette, la tête enfouie dans l'oreiller. J'inspirais profondément l'odeur familière imprégnant le tissu avant de laisser libre cours à mes larmes. À présent, seule avec moi-même, les barrières tombaient et la douleur se déversait avec violence, sans retenue. 

Protège-moi - T.1 Pleine lune [Terminé]Where stories live. Discover now