Chapitre 10.2

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M'avançant le long des casiers, je notais la présence d'un bac à glaçon, d'une fontaine à eau, d'une étagère remplie de serviettes. La pièce partait à angle droit. Je continuais, un peu intimidée. De larges bancs permettaient de s'asseoir, surplombés de crochets pour suspendre ses affaires et soudain, je m'arrêtais net en découvrant la scène. Arenht.

Je le vis se prendre la tête entre les mains, lâcher un juron puis soudain, son poing alla percuter avec violence le mur face à lui. Le bruit sourd qui en résulta me fit sursauter. Sans le vivre, j'avais ressenti le choc. L'onde de l'impact sembla se propager jusqu'à ma poitrine. Ses phalanges en ressortirent écorchées vives. Un grognement de frustration mêlée de douleur s'échappa de sa gorge. J'esquissais un pas vers lui quand il releva la tête et croisa mon regard. Jamais je ne l'avais vu si tourmenté. Mon cœur se serra. Impossible de le laisser ainsi. Il avait été là pour moi. Dépassant ma timidité, je continuais de me rapprocher de lui. Il entrouvrit les lèvres puis renonça à parler et baissa la tête pour m'observer saisir sa main blessée. Je passais délicatement les doigts sur la peau à vif, sentant son corps se crisper brièvement. Je me retins d'y poser les lèvres. Tous ses muscles étaient tendus. Je le sentais vibrer encore d'émotions contenues. Au moins me laissait-il l'approcher. Son souffle résonnait à mes oreilles.

— Attends, je vais chercher un peu de glace.

J'appréhendais son refus et le temps que dura l'aller-retour, je redoutais de retrouver la salle vide. Mais non. Il s'était juste assis, la tête entre les bras. J'hésitais un instant, le sac de glaçons à la main, puis m'avançais. Je me mis à genoux devant lui. D'un geste lent je saisis sa main puis appliquais la poche dessus. Je le sentais m'observer, sa présence m'enveloppant, intense. Quand je trouvais le courage de relever la tête, je demeurais saisie par son expression.

Il ne semblait pas me voir. Ses prunelles regardaient au-delà, plongeaient au cœur de souvenirs si douloureux et intenses que les larmes me vinrent, glissant silencieusement le long de mes joues. Qu'avait-il vécu pour être ainsi marqué ? Hanté au point de s'en faire mal physiquement ? Mes doigts effleurèrent les siens, sans que j'eusse réellement conscience de mon geste. J'avais besoin d'établir un contact avec lui, besoin de le voir remonter à la surface, lui offrir un point d'ancrage. Il tressaillit, mouvement si infime que je faillis ne pas le remarquer. Ses yeux cillèrent, comme s'il se réveillait. Ses sourcils se froncèrent. Il me regardait vraiment cette fois, moi et non un fantôme de son passé. Ce fut à mon tour de tressaillir, de sentir le martèlement assourdissant de mon cœur alors que son pouce longeait ma joue, essuyant dans le mouvement les sillons humides laissés par mes larmes.

Des bruits résonnèrent soudain dans le couloir menant à la salle. Des éclats de rire et les voix reconnaissables de Sheren et Doc. L'intensité de notre échange silencieux fut brisée net. Il se ferma, se rembrunit avant de s'écarter.

— Désolé.

Un simple mot qui contenait tant de douleur que j'en eus mal physiquement. Pourquoi une telle culpabilité ? La souffrance se lisait dans son regard ambré, soulignée par les cernes creusés sur son visage.

Il s'éloigna me laissant seule sur le banc, incapable de bouger. Je me forçais à reprendre mes esprits. Les voix se rapprochaient et je n'avais pas le courage de faire bonne figure devant eux. L'estomac encore noué, je préférais me retrouver seule pour digérer notre entrevue. Je me glissais vers la sortie, priant pour qu'ils soient déjà entrés dans l'espace d'entraînement.


— Eh Lynee ! me héla Sheren.

Loupé pour le départ incognito. Je pris rapidement une inspiration, espérant dissimuler mon trouble. Dans mon esprit, la scène avec Arenht était encore vive. Au moins Arenht avait su filer discrètement.

— Alors tu te balades ? reprit-il, me sortant de mes pensées.

— Oui. C'est... Impressionnant. Je n'imaginais pas le sous-sol aussi vaste.

— On a pas à se plaindre c'est sûr. Au fait Doc te cherchait justement. Il vient de repartir. Le combat c'est pas trop son truc.

— Ah. Je vais le rejoindre alors. Et... bon entraînement alors.

— Faut bien entretenir ce corps de rêve, plaisanta-t-il avant de reprendre sa route.

Doc n'était pas très loin. En entendant les doubles portes s'ouvrirent, il se tourna et s'arrêta en me voyant.

— Aylyn. Ça va ? Tu arrives à prendre tes marques ?

— J'essaye. Sheren m'a dit que tu me cherchais.

— Oui. On a une petite surprise pour toi. Et n'essaye même pas de me faire lâcher le morceau avant.

Protège-moi - T.1 Pleine lune [Terminé]Where stories live. Discover now