Chapitre 20.3

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Une fois seule dans mon appartement, je me laissais tomber dans le canapé. À deux mains j'attrapais l'un des coussins. Y enfouissant mon visage, je hurlais dedans, expulsant ma rage et ma frustration. Ils avaient réussi à laisser leur empreinte en moi, à faire de ces jours cauchemardesques une réalité de tous les jours. Mes doigts vinrent se crisper sur mon ventre. Il circulait à l'intérieur de moi ce virus horrible, ce poison qui s'insinuait dans la moindre de mes cellules, me modifiant à son gré. Mon visage se tordit de dégoût. Ils avaient pratiquement violé mon intégrité physique. Et ils osaient nous taxer de monstres. Des spasmes me soulevèrent l'estomac. Je courus jusqu'à la salle de bain, m'affalant devant la cuvette. Ma louve gémit sourdement. Le front baigné de sueurs, je restais à genoux sur le carrelage froid, m'entourant de mes bras. Je me berçais lentement.


Après une nuit loin d'être réparatrice, j'affichais une mine à faire peur. J'appliquais un peu de crème teintée pour atténuer les dégâts. Doc m'amena au Complexe et me laissa me rendre à la salle de réunion. Il me rejoindrait après un détour par le bureau du chef.

Retour à la case départ. Sous le feu des projecteurs. La tentation de me cacher derrière les mèches de mes cheveux me démangea. Comme la première fois, la main d'Arenht recouvrait la mienne, me distrayant suffisamment pour que je ne craque pas.

— On a des nouvelles infos sur ces enfoirés ?

Je me contractais à la question innocente de Sheren. Ils ignoraient encore que j'étais la raison de cette réunion matinale. Ni Doc ni Arenht n'avaient laissé filtrer l'information. Je me sentais sale, contaminée. Sans les doigts de mon partenaire sur les miens, je me serais frottée la peau comme pour me débarrasser de parasites. La tête d'Arenht se tourna vers moi. Son inquiétude me parvint. Sa prise se renforça. Je tremblais.

Reprends-toi ! Ne t'effondre pas maintenant.

J'inspirais, me concentrais sur lui, sa chaleur, sa présence.

Doc et Declan entrèrent. Leurs mines sombres annonçaient la couleur. Cette réunion ne délivrerait pas de bonnes nouvelles.

— Qu'est-ce qui va encore nous tomber sur le coin de la gueule ? soupira Sheren.

— Rien sur la tienne, murmurais-je.

Apparemment, pas assez bas, car toutes les têtes convergèrent vers moi. Zut. Autant pour l'effet de surprise.

— Vas-y, Doc. Explique-leur pourquoi je ne peux plus me transformer.

— Quoi ?

— C'est quoi ce délire ?

— Putain, non t'es sérieuse ?

La stupéfaction générale m'arracha un faible sourire. Leur côté protecteur ne me laissait pas insensible. Malgré mes malheurs, je savais qu'ils me soutiendraient tous.

— Du calme. Tous.

Une injonction de Declan et tout ce beau monde reprit place, plus ou moins docile. Le calme revenu, il laissa le soin à Doc de faire le compte-rendu de ses analyses. Les visages autour de moi s'assombrirent, se durcirent. Je me repliais vers ma louve, la rassurant. Les échanges se réduisirent à un bruit de fond.

— Pour finir, et je tiens à préciser que ce n'est pas une décision facile, Aylyn ne participera plus aux missions sur le terrain.

Mes oreilles accrochèrent les derniers mots. Je me levais d'un bond.

— Quoi ?

Je n'en revenais pas. Non, il ne pouvait pas me faire ça.

— Le danger est trop grand ? Aylyn. Tant que nous n'aurons pas trouvé de remède...

Les tremblements avaient repris possession de mon corps, de colère cette fois. Un sentiment de trahison me prit aux tripes déclenchant une rage inattendue. Elle me prit au dépourvu, tout autant que les autres membres. Une main attrapa mon poignet. Je me tendis, fis volte-face avant de frémir sous un regard ambré. La tension s'estompa, me laissant désemparée, vaguement nauséeuse. Je ne me reconnaissais pas. Un « Désolé » s'échappa de mes lèvres engourdies. Declan mit fin à la séance, pendant que je suivais Doc pour de nouveaux examens.


Les jours qui suivirent me semblèrent irréels, dépourvus de substances. Je continuais malgré tout à m'entraîner. Je gardais cet objectif dans ma journée, quelque chose qui comblait ce vide que je ressentais. Un passage au bureau de Doc, des heures dans la salle du bas, des moments d'isolement à l'extérieur. J'évitais la cuisine, la salle de réunion, le rez-de-chaussée. Je les évitais.

On ne t'abandonne pas. On te protège. On veille sur toi.

Chaque phrase répétée tel un mantra. Je voulais m'en persuader, forcer mon cerveau à être coopératif. Ils tiennent à toi. Je me sentais mise de côté... remplacée. Mes doigts se crispèrent sur la lame. D'un mouvement rageur, je l'envoyais vers le panneau en face. Elle s'y planta et continua de vibrer un moment sous la force de l'impact.

— J'aimerai pas être celui qui t'énerve, Lynee.

— Tu es mal parti alors, répliquais-je avec aigreur.

— Eh, pas besoin de mordre. Je viens en ami.

Sheren dut voir à ma tête que je n'étais pas convaincue.

— On ne te voit plus beaucoup à l'étage, je venais voir comment tu allais.

— J'essaye de garder la main.

Il se frotta l'arrière de la tête. Ah! Tiens, Sheren gêné. C'était une première. Ma colère descendit d'un cran. Il n'avait rien à voir avec ma mauvaise humeur.

— Désolée. Je suis un peu à cran.

— Ouais. Les trucs de femmes, tout ça tout ça.

Je haussais les sourcils, interloquée avant de grimacer franchement.

— Sheren, tais-toi.

Il me dévisagea avec un sérieux qui me déstabilisa.

— T'es une des nôtres, Aylyn. Même si tu n'es pas sur le terrain pour le moment.

Je cillais, surprise par sa déclaration et plus émue que je ne voulais l'admettre. Il tourna les talons alors que je le remerciais à mi-voix. Ils me manquaient tous. Je devais arrêter de les tenir à l'écart. Forte de cette résolution, je terminais mes lancers. Ce soir avait lieu l'habituelle soirée chez les deux frères, l'occasion parfaite pour m'excuser de mon comportement. 

Protège-moi - T.1 Pleine lune [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant