Chapitre 22.3

107 9 0
                                    


Je commençais à poser les desserts sur la table avec l'aide de Doc. Il prit un des plateaux sur une main et se dirigea entre Arenht et Lahra pour la poser devant eux. Intriguée, je remarquais qu'il tenait le plat dans un équilibre vraiment précaire, celui-ci oscillant dangereusement au-dessus des deux convives. Les yeux écarquillés, je vis le contenu se déverser sur la jeune femme. Je mis la main devant ma bouche dans un geste qui pouvait traduire la surprise, mais qui était destiné avant tout à retenir le fou rire qui menaçait d'éclater. Lahra bondit de sa chaise, la crème glacée maculant sa belle robe. Furieuse, elle fusilla le responsable du regard avant de quitter la salle, sûrement pour se réfugier dans la salle de bain. Un silence lourd était tombé au moment de l'accident, mais il ne fallut pas attendre longtemps pour entendre les premiers éclats de rire. Tout d'abord discrets, étouffés, ils ne tardèrent pas à sonner haut et fort. Je n'en revenais toujours pas du geste de Doc. Reportant mon attention sur Arenht, je réalisais qu'il riait autant que les autres.

Elle ne tarda pas à revenir, vêtue d'une autre robe. Son petit sourire en coin ne m'échappa pas alors qu'elle passait près de moi avant de s'adresser au groupe.

— Moi qui hésitais entre deux tenues, grâce à vous j'aurais pu porter les deux !

Je réprimais à grande peine la grimace qui me vint.

Le dessert fut expédié en quelques minutes à peine. Sheren se leva et alla s'installer, le signal de la deuxième partie de la soirée. La musique retentit, des basses rythmiques vibrèrent à nos oreilles, sous nos pieds. Pour l'avoir vu à l'œuvre l'année précédente, le jeune homme se débrouillait comme un chef aux platines. Moi qui n'avais jamais aimé danser devant les autres, les membres de la meute m'avait rapidement mise à l'aise. Le plus difficile avait été de me décoincer devant Arenht. Pour les autres, c'étaient comme s'amuser avec de vieux amis ou des frères. J'avoue que l'alcool aidait à me désinhiber un peu. D'humeur joyeuse, je me laissais vite happer par le rythme entraînant de la musique. De plus, seules les guirlandes lumineuses des décorations de Noël et les jeux de lumière de la sono illuminaient la piste.

Enfin le moment arriva. Celui qui s'apparentait à un cadeau de Noël pour moi. Les slows. Le seul moment où je me trouvais dans les bras de mon partenaire et profitais d'être dans ses bras. Un instant suspendu, quelques minutes à peine où j'étais au plus proche de lui. Ses mains se posèrent sur ma taille, les miennes effleurèrent ses épaules. Heureusement que la pénombre cachait la rougeur de mes joues. Ne pas croiser trop longtemps son regard, de peur de ne plus pouvoir m'en détacher. Impression que le temps ralentit tout en passant à une vitesse folle. Pourquoi cette chanson était-elle si courte ? Je sentais la chaleur de sa peau à travers la mince chemise blanche qu'il portait. Il avait retroussé ses manches pour être plus à l'aise, découvrant ses avant-bras finement musclés. Je frémissais légèrement entre ses bras en ressentant l'envie irrépressible de l'embrasser. Je me gardais bien de céder à cet appel insistant de mon corps, même si j'étais étourdie par le champagne. Lui ne semblait pas conscient de mon état. Détendu, il s'amusait du spectacle qu'offraient ses compagnons, alors que ma tête finissait par reposer contre son torse. J'attendais la petite phrase qu'il ne tarderait pas à sortir. "Eh ! ne t'endors pas, Ayl." Mots qu'il chuchotait près de mon oreille pour me taquiner. Je n'avais aucune intention de m'endormir, mais il récolta une tape sur l'épaule en réponse.

La chanson prenait déjà fin. J'eus toutes les peines du monde à m'éloigner de lui. Des doigts vinrent se poser sur le bras de mon partenaire, y exerçant une légère pression. Mes yeux enregistrèrent chaque détail sans que je puisse réagir. Je savais que ça allait se produire, mais pour autant, mon poil se hérissait, rien qu'à la voir poser sa main sur lui. Je me forçais à me détacher de lui sans rien laisser paraître. Puis, je quittais la piste sans tarder. Une main m'attrapa vivement par le bras. Je m'apprêtais à décliner quand je découvris le visage de Doc. Il semblait lire en moi comme dans un livre ouvert, discernant l'enchaînement de mes pensées. Il me rapprocha de lui.

— Tu ne vas pas me refuser une danse tout de même ?

— Non, c'est juste que je commence à avoir un peu mal aux pieds et...

En voyant ses yeux pétiller malicieusement, je stoppais mes tentatives d'excuses.

— Oui, je sais, le devançais-je. Je suis nulle pour mentir. On me l'a déjà dit. Désolée.

— Je suis un si mauvais danseur ? Je sais que je n'ai pas le rythme dans la peau, mais un slow normalement...

— Ce n'est pas contre toi. Et puis tu ne te débrouilles pas si mal. Je ne suis pas un exemple non plus.

Il me fit tournoyer sur moi-même avant de m'attirer de nouveau vers lui. Je notais qu'il nous éloignait du couple.

— Je me suis lancé, dit-il soudain.

Je relevais la tête, le regardant avec perplexité.

— J'ai tenté ma chance.

Il fallait qu'il soit plus explicite, entre l'alcool et la tension due à Lahra, mon cerveau n'était pas des plus rapide ce soir. Puis je percutais, l'infirmière.

— Alors ? m'exclamais-je avec un peu trop d'exubérance. Elle a dit oui ?

Il ria face à mon enthousiasme et acquiesça, un sourire timide aux lèvres. Je le serrais dans mes bras, ravie pour lui. Il méritait d'être heureux, surtout en dehors du Complexe.

Sheren me poussa du coude en passant près de nous.

— Je pourrais avoir un câlin moi aussi, Lynee ?

— Quand tu seras sage, lâchais-je en lui tirant la langue.

La danse était déjà finie. D'un coup d'œil, je balayais la piste. Lahra avait été happée par Sheren, grand bien lui face. Et Arenht... Il... Je cillais, surprenant son regard sur moi. Juste une fraction de seconde avant qu'il reprenne la conversation avec Trenan en face de lui. Perplexe, je ne savais comment interpréter son expression sombre, comme s'il se retenait de bondir. Sur qui ? Je n'eus pas le temps de m'appesantir sur la question que Declan prenait doucement ma main.

— Tu passes une bonne soirée ? s'enquit-il.

— Oui. C'est aussi parfait que la première fois. Merci encore pour tout ça.

— C'est normal. Du moment que tu apprécies.

— Je serais difficile si ce n'était pas le cas.

La gorge soudain nouée, je demeurais un instant silencieuse. Je n'étais que trop consciente de ma chance, de les avoir à mes côtés. Derrière son côté réservé et brut, Declan avait pris la place d'un père pour moi.

— Parfois je ne me sens pas à la hauteur de tout ça.

Je me rendis compte trop tard d'avoir parlé à voix haute.

— Reste juste toi-même, me dit-il avec douceur. Nous prenons soin de notre meute, sans distinction, chacun avec ses qualités et ses défauts. On est une famille. On s'accepte les uns les autres.

Émue, je hochais la tête. Il prenait peu la parole, mais quand il le faisait, chaque mot se posait sur mon âme abîmée, tel un baume. Je repensais aux paroles de Sheren. Nous, les amochés de la vie. 

Protège-moi - T.1 Pleine lune [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant