♡CHAPITRE 66♡

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Les semaines passaient et pourtant l'humeur d'Eijiro ne s'améliorait pas. Comment pouvait-elle s'améliorer, lorsque les températures décroissantes attisaient la mélancolie et l'amertume enfouies dans son être ? Elles se révélaient toujours à la même période, comme un volcan qui n'attendait que le bon stimulus pour gagner la lumière du jour. Elles se déplaçaient dans ses entrailles et atteignaient chaque organe, lentement, comme la plus ardente des laves consumant tout sur son passage, mais se voulant également "inoffensive", presque "dormante". 

Cependant, s'il ne s'agissait que de ces émotions corrosives, le rouge n'en aurait eu que faire –bon peut-être qu'il s'en soucierait "un peu", mais là n'était pas le sujet. Ce n'était pas la première fois qu'il devait faire face à ses choix de vie ; et ce ne serait clairement pas la dernière fois que le monde lui rappellerait la solitude qui en découlait. Non. Tout ça, il l'avait déjà apprivoisé. Il était même plutôt fier de la vie qu'il avait réussi à construire. Un peu à l'instar d'une bouture, il avait été détaché de sa plante originale, mais avait néanmoins réussi à se créer de nouvelles racines. Il avait réussi à germer sur un sol étranger, produisant ainsi des fruits inespérés. C'est ainsi qu'il aimait désormais se définir, surtout lorsque sa nouvelle famille –Izuku et Hanta– lui rappelait sans cesse à quel point il pouvait être fort et résilient. Izuku utilisait même les mots "exceptionnel" ou "audacieux" parfois pour le qualifier et il voulait y croire, s'y accrocher pour ne plus sombrer dans sa haine de soi.

Alors non, ce n'étaient pas les habituelles manigances de l'univers qui le mettait mal à l'aise et accroissait son aigreur naturelle. Ce qui titillait ses nerfs, c'était l'alliance de l'habituel et de l'incertain. Un peu comme si l'univers entier, et même son esprit, savaient quelque chose qu'il ignorait. Cela avait débuté, sans surprise, avec son mal du pays périodique. Il était de temps en temps triste de ce qui fut et de ce qui aurait pu être. Mais tout cela restait normal et prévisible selon l'expérience de ses derniers hivers. Pourtant, la sensation que quelque chose n'allait pas devint omniprésente. Son havre de paix, sa ville, sembla être envahis et les silhouettes des passants se firent un peu trop familières, jusqu'à ce qu'il se rende à l'évidence qu'il ne rêvait pas. Ce n'était pas un de ces fantasmes qui l'avaient gardé sur pied pendant plusieurs bons mois lors de son arrivée à Sapporo, non. Cette fois-ci, c'était bien réel. Takahiro se pavanait depuis des jours dans son paradis, bras dessus, bras dessous avec sa fiancée –épouse– qui avait l'air de sortir tout droit du parfait "guide de la ménagère moderne" que les filles en âge de se marier dans sa ville natale semblaient toutes feuilleter. Takahiro aussi paraissait façonné, arborant le look typique du "parfait gentleman" qu'il avait en horreur autrefois. Peut-être était-ce pour cela qu'il n'avait pas pu le reconnaître aussitôt entre ses cheveux sombres gominés et ses chemisiers et pantalons larges. Bien sûr, il en avait déjà eu un aperçu via les photos postées sur Internet cependant, il en était tout autre chose d'en être témoin de si près. De se rendre compte que l'homme qu'il avait aimé n'était plus. D'entendre la voix qui lui avait murmuré tant de choses, prononcer son prénom avec autant d'ahurissement qu'on pourrait jurer que cet "Eijiro" revenait tout droit du royaume des morts. Ou peut-être était-ce le cas pour lui. Peut-être que Takahiro avait enterré assez profondément cette partie de sa vie pour être capable d'en oublier l'existence. Peut-être que ces souvenirs, qui avaient représenté tout pour Eijiro pendant ces cinq années –sa bouée de sauvetage comme le boulet qui le faisait couler, n'avaient été que quelques insignifiants grains de sable balayés par les vagues pour Takahiro.

Alors qu'il avait toujours été le premier à apercevoir ce duo dans un coin de rue ou dans le centre commercial qui abritait son lieu de travail, cette fois-ci l'univers en avait décidé autrement. Il fallait bien qu'un jour la confrontation ait lieu et qu'Eijiro fasse enfin la connexion entre le couple bien assorti qui rentrait dans son champ de vision par moments et celui qu'il avait épier pendant des mois sur les réseaux sociaux. Cette fois-ci, Takahiro l'avait interpellé dans une allée de magasin, entre les légumes et le rayon des surgelés, alors qu'ils faisaient leurs courses du mois avec Izuku et qu'ils débattaient sur le prix des poivrons jaunes, rouges et verts, leurs mains jointes sur la manche du chariot de course.

Je veux t'aimer ♡ KIRIDEKUOù les histoires vivent. Découvrez maintenant