cardigan

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15 août 1999.

Émilie était sortie dans la cour, respirant l'air frais en essayant de se calmer. Encore ce cauchemar, même six ans après. Alors elle écoutait la même musique, en boucle, comme à l'époque où elle essayait encore de faire le tri de ses sentiments.

High heels on cobblestones, when you are young they assume you know nothing...

À vingt ans et quelques, elle savait pourtant, comment faire tourner l'univers autour d'elle dans la direction qu'elle voulait, elle avait ses camarades à ses pieds, les professeurs enthousiastes, et surtout, elle connaissait son monde.

Ou elle croyait le connaître.

Elle se demandait encore comment elle n'avait pas su voir tous ce qui avait mené à l'été 93.

But I knew you, dancing in your Levi's, drunk under a streetlight, I...

C'était ce qu'elle s'était répété tout l'été, tout l'automne, n'arrivant pas à reconnaître à quel point elle s'était fait mal, elle le connaissait, et pourtant...

Pourtant elle avait oublié sa peur de ne pas être assez.

Elle fredonnait dans le jardin, comme elle s'était réfugiée dans l'ancienne salle de jeu à l'époque, le cœur brisé de l'avoir laissé partir, incapable de se ressaisir, incapable de lui pardonner aussi, le cœur en tempête perpétuelle.

A friend to all, is a friend to none, chase two girls, lose the one...

Des mots, répétés en boucle pour tenir, des mots de raison insignifiants, des mots qu'elle s'imposait pour tenir ce que tout le monde lui disait, des murmures incompréhensifs de gens qu'elle considérait comme des amis, des critiques à Gabriel, des reproches infondés, des affirmations suivant lesquelles s'il l'avait trompée une fois, il recommencerait sans doute.

Ils ne le connaissaient pas. Ils ne savaient pas à quel point il comptait. Ils ne comprenaient pas ses sentiments mélangés.

And when I felt like I was an old cardigan, under someone's bed, you put me on and said I was your favorite...

Il avait toujours eu cet effet-là. Avoir fui loin de sa famille avait rempli la jeune femme de doutes, il les dissipait d'une caresse, d'un sourire, lui faisait savoir de sa seule présence qu'elle était parfaite, la rassurait tendrement, Gabriel était celui qu'elle aimait, mais lui aussi l'avait abandonnée, et elle se punissait en s'interdisant de lui répondre.

Elle entendait les murmures avec sa raison, et essayait d'obliger son cœur à les croire; peut-être que si elle laissait passer assez de temps elle oublierait. Elle ignorait scrupuleusement chacun de ses appels. Elle l'évitait soigneusement à la fac. Elle attendait que le temps passe, sans pouvoir ignorer la douleur brûlante de son cœur, elle la masquait le mieux possible, elle serrait les dents pour ne pas voir ses cicatrices saigner. Et elle espérait désespérément pouvoir ré-écrire l'histoire, changer la fin, mais ça semblait impossible.

La musique était devenue un refuge, une maison, Émilie essayait de se reconstruire, mais sans partenaire, ses pas de danse restaient mal-assurés, l'organisation de sa fête lui pesait, l'année dernière il était avec elle.

But I knew you'd linger like a tattoo kiss, I knew you'd haunt all of my what-if's, the smell of smoke would hang around this long, cause I knew everything when I was young... I knew I'd curse you for the longest time, chasing shadows in the grocery line, I knew you'd miss me once the thrill expired, and you'd be standing in my front-porch light, and I knew you'd come back to me...

Elle sentait qu'elle lui manquait aussi, elle savait d'avance en commençant à le bouder que son absence la hanterait, elle savait dès fin août les multiples questionnements qu'elle traverserait. Et, tout au fond de son cœur, il y avait une certitude gonflée d'espoir, une certitude instinctive qu'elle essayait de détruire, la conviction qu'il viendrait à la fête même sans être invité.

Et il l'avait fait.

Gabriel était venu, habillé de ce smoking un peu trop grand, son sourire hésitant accroché sur ses lèvres, un bouquet d'anémones et d'œillets rouges à la main. Il lui avait murmuré des mots d'excuse qu'elle n'avait même pas entendus, elle l'avait serré dans ses bras, les morceaux dispersés de son cœur s'était recollés, ses ailes brisées avaient retrouvé toute leur force, elle l'avait emmené dans le jardin arrière.

Il était revenu.

Elle était encore sa préférée.

Pour toujours.

Et les notes qui l'avaient accompagnée pendant toute cette période d'enfer continuaient de l'apaiser quand, au milieu des nuits du pire mois, les cauchemars l'assaillaient de nouveau.

Dans les dernières notes, elle sourit.

Elle n'était plus un cardigan abandonné.

 ************

 750 Mots.

 Bon.

 On a fini la trilogie !

 Je vous abandonnerai pas plus de deux semaines, je pense, même si je peux avoir des difficultés, mais bon. Vous devriez avoir le prochain OS (le Féligami narratif) pour au moins la rentrée (22 avril).

 Donc. Pour un tout petit peu plus de contexte, je vous file le commentaire de Taylor elle-même sur "cardigan" (en fait le commentaire est associé à "august" dans le docu, mais y a une partie sur "cardigan")

(Oui, j'ai fait le re-découpage moi-même. La chanson derrière sur les premières secondes c'est "Suburban Legends")

Bref. "cardigan" est donc chronologiquement placé bien après les deux autres. Sauf que la vie d'Emi est assez courte, donc le plus compliqué, ça a été trouver la date. Mais je m'en suis sortie.

 Enfin bon.

 J'espère que cette petite trilogie musicale vous a plu, a pu donner un angle intéressant sur l'univers, que c'était fun,

 Dites-moi tout,

 Bises,

 Jeanne

  (02/04/2024, 00h32)


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