Ecouter et soigner

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Je soupire et recale une mèche rousse derrière mes oreilles. Je sens que la journée va être incroyablement longue et j'en suis épuisée d'avance.

Parmi toutes mes obligations d'ange ressuscitée, il y a le pire et plus beau rôle que l'on puisse tenir. Trois jours dans la semaine, je deviens une aide pour les âmes perdues de Paris, un asile pour les esprits brisés. Je ne suis pas psychiatre, ni même vraiment psychologue, mais c'est ce dont on pourrait le plus rapprocher cette mission.

Je sens presque mes yeux gris passer du simple acier à l'orage. Être une ressuscitée est compliquée. D'abord, je suis morte, quand j'avais quatorze ans. Et donc, je n'ai jamais pu revoir personne de mon passé. Bizarrement, pour mon père et Nicolas, ça ne m'a pas dérangé. Mais Gabriel...

Oh, Gabby, si tu savais comme je suis désolée ! J'aurais tant voulu pouvoir être là, mais on me l'a interdit, tant et tant de fois. On m'a promis qu'un jour, peut-être, je pourrais te revoir, mais je devais rester à distance. Je venais te voir souvent, le soir, jusqu'à ce que tu puisses t'échapper, invisible, je te serrai dans mes bras, tu l'as senti deux ou trois fois. Mais... Laure est morte. Elle doit...

Je cligne des yeux pour chasser les larmes que je sens monter. Vraiment, ça va être long.

Hier, les chefs, ceux qui m'ont ramenée à la vie, m'ont annoncé que Nathalie l'avait forcé à sortir faire quelque chose pour son équilibre mental. Pourquoi moi ? Pourquoi ? Ils savent, ils savent parfaitement à quel point je ne pourrai pas tenir mon rôle. L'appeler par son nom de famille, le vouvoyer, faire semblant de ne pas le connaître... L'enfer.

Je descends les escaliers, vers mon bureau. Avoir une petite maison, avec un étage et un jardin, au cœur de la capitale, c'est rarissime. Mais j'ai cette chance et j'en profite. Au rez-de-chaussée, il y a les pièces professionnelles, le bureau et la salle d'attente où je reçois ceux que j'aide, la bibliothèque d'histoires personnelles et la salle d'observation, où je vais apprendre ce que vivent les gens, comment, pourquoi. Chaque détail de la vie de cette cité s'y déroule sur d'immenses murs de verre.

En haut, c'est chez moi. Une collection abracadabrante de livres de tous les genres, toutes les tailles, toutes les épaisseurs. Des toiles et des tubes de peinture, des pinceaux. De l'argile, des engobes et de l'émail, un four, pour mes céramiques. Des kilos de feuilles quadrillées et de cahiers, où j'écris toujours. Un fouillis incroyable, dans lequel je me retrouve parfaitement. Puis le grenier, où j'entasse des souvenirs de ma vie d'avant. La vie de Laure. Laure est morte depuis des années, il n'y a plus que Sacha Philogaï, celle qui aime la terre. Même si je préfère être appelée par mon surnom, Kalya. Celui-là au moins je l'ai choisi...

Respire, Kali', respire. Ça va aller. Voir Gabriel va être éprouvant, mais tu peux y arriver.

J'aurais dû être là !

************

Quelques heures plus tard.

Ça y est. C'est le moment. J'entends la voiture, sa voiture, je sais que c'est lui, j'ai tellement écouté les souvenirs, les moments.

Ça va aller, ça va aller.

Il entre. Son pas est raide sur le carrelage de la salle d'attente, dur. Il ne veut pas être là.

Pourquoi moi bon sang ?! Ils savent, pourtant, que tout en moi veut le serrer, le soutenir, le consoler, s'excuser de ne pas être venue plus tôt ! Je me taille un visage de marbre, je lui dis d'entrer à l'instant où il toque à la porte. Je me lève, lui sourit d'un air accueillant, comme avec un client normal. Son visage... Il a l'air aussi tendu que moi.

« Bonjour Monsieur Agreste, qu'est-ce qui vous amène ici ?

— Eh bien... Je... C'est compliqué.

— Ne vous inquiétez pas, j'ai tout mon temps. Venez, asseyez-vous !

OS MiraculousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant