Ecouter et soigner

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— Merci, sourît-il.

» Je vous ai déjà vue, non ?

— Je ne pense pas, je ne vous connais pas. Il est possible que vous m'ayez aperçue dans la rue mais sinon, vous devez me prendre pour quelqu'un d'autre, réponds-je en haussant les épaules. »

Mentir, faire semblant, chaque seconde, faire comme si je ne savais pas, ça me tue, profondément. Je joue la décontraction en m'installant derrière le bureau. D'habitude, je déteste cette barrière qui m'éloigne de ceux qui ont besoin de mon aide, mais aujourd'hui je suis heureuse de l'avoir, une simple table pour me protéger de tout.

Je l'écoute, m'expliquer que malgré les années, il ne s'est pas remis de la mort de sa femme, qu'il n'arrive pas à s'habituer à sa non-présence, que chaque jour, il se perd un peu plus, que cette souffrance le recentre vers les douleurs de son enfance lesquelles il a toujours voulu effacer, le harcèlement dont il a été victime du CP à la troisième, son père. Et la mort de la seule amie de sa jeunesse. Il me la décrit, il n'a probablement aucune idée d'à quel point ses souvenirs de Laure me font souffrir.

Il ne se souvient plus de son visage, mais il se rappelle le son cristallin qui lui échappait à la moindre occasion, le plus beau son du monde d'après lui. Je ne peux m'empêcher de sourire. Il a oublié mes traits, quasiment, mais il se rappelle de mon rire, ce rire qu'il essayait tant de provoquer... Je me souviens de l'enfant Gabriel, blotti dans un coin de la cour, caché derrière ses cahiers de dessin, timide et blessé, qui m'avait fait comprendre d'une phrase qu'il n'avait pas de valeur à ses propres yeux. Et comme j'avais décidé d'être toujours là pour qu'il ne le pense plus jamais.

Tu n'aurais pas dû faire ça.

Si, Gabriel. Je suis là, je vais te sauver. J'ai assisté à chacun des moments que tu me racontes, cachée derrière des rayonnages, ta rencontre avec Nathalie et ta surprise de voir quelqu'un qui te valorisait, ton arrivée dans son groupe, le soleil brillant qu'était Émilie. La fin des études, les films et les défilés, la distance étrange qui s'immisçait entre toi et ton amie, votre départ autour du monde. Je ne l'ai pas vue tomber dans cette crevasse peu profonde, où elle a récupéré ces foutues broches, par contre, ça je l'ai appris à travers les yeux d'Émilie. Mais tu n'en parles pas.

Tu n'arrêtes pas d'évoquer des souvenirs, ton passé. Adrien, tu me parles de son cancer et tu prétends qu'il a miraculeusement guéri.

Je sais pourquoi tu es là, maintenant, j'ai compris dans ce flot de mots qui t'es si peu naturel. Tu as besoin de te confier, de t'ouvrir, mais tu ne le savais pas jusqu'à la semaine dernière, et tu ne peux pas expliquer à Nathalie, elle connaît les événements et tu ne sais pas comment lui parler. Se confier à une inconnue est plus simple, mais ta sensation de déjà-vu en me rencontrant t'as mis en confiance.

Tu parles de sa mort, l'obscurité. Comme si le soleil avait littéralement disparu. C'est pour ça que tu ne portes pas le deuil, que tu continues de t'habiller en clair, qu'aujourd'hui ton costume est si éblouissant, dans ta tête tout est sombre, tout est noir et tu n'en peux plus.

Je te regardes dérouler le fil de tes émotions, de tes sentiments, de ta vision du monde. Un fil que tu ne voulais pas regarder jusqu'à hier, peut-être.

Que s'est-il passé ?

Tu me dis que, suite à cela, tu es tombé dans une sorte d'addiction, assez particulière, tu as fait quelque chose, tu ne me dis pas quoi, tu ne pensais pas que ça serait aussi addictif, que tu recommencerais autant.

Pourquoi veux-tu renoncer maintenant ?

Tu m'expliques qu'en septembre, tu t'es rendu compte que cette addiction était dangereuse, pour toi, physiquement.

OS MiraculousWhere stories live. Discover now