Chapitre 75

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ELIK

-Je suis venue aussi vite que j'ai pu ! s'écrie Fern en me retrouvant dans la salle d'attente.

Elle s'assoit sur une chaise à mes côtés et me lance un regard inquiet :

-Qu'est-ce que tu sais ?

Je hausse les épaules :

-Pas grand-chose pour l'instant. Ça fait une petite heure que j'attends et les médecins n'ont rien voulu me dire.

-Que s'est-il passé ?

Je hausse de nouveau les épaules, ne voulant pas l'inquiéter d'avantage. Je m'en veux de lui mentir, avant de me souvenir que je devrai m'en vouloir pour bien plus.

-Comment va Fynn ? me questionne-t-elle.

Il est à la morgue à l'heure qu'il est.

Nouvel haussement d'épaules. Je cherche à me souvenir de pourquoi je lui mens, de qu'est-ce que je fiche ici, mais aucune explication logique ne se pointe. Je n'arrive tout simplement pas à le croire. Je ne le croirais pas tant que je ne l'aurai pas vu de mes propres yeux. C'est décidé.

-Et Thaïs, où est-elle ?

Elle était dans la voiture avec lui, avant...

Mais avant quoi ? Avant quoi, putain ? Je dois traverser ce qu'on appelle la phase du déni. C'est ça, je suis en plein déni ! Je délire grave et...

-Tout va bien ? s'inquiète Fern, me voyant m'agiter.

Un petit hochement de tête plus tard, je reprends mes pensées là où elles en étaient et tente de comprendre comment ce genre de choses peut arriver. Comment peut-on rire avec quelqu'un, lui dire qu'on « continue de lutter » ensemble et soudainement... tout perdre. Perdre son amitié, son sourire, son touché. Tout. Sa présence, physique comme mentale. Sa force, sa loyauté, sa bienveillance. Son innocence et son amour démesuré. Tout ça...

-Tout ça à cause d'un pauvre type bourré.

Je me mets à parler tout seul sous le regard inquisiteur de Fern.

-Parle-moi, Elik..., m'encourage-t-elle. Si tu sais quelque chose... tu dois me le dire.

Je secoue la tête de toutes mes forces. Le dire, c'est le rendre réel. Le dire, c'est le partager à quelqu'un d'autre et en discuter. Le dire, c'est se prendre la réalité en pleine face.

-Je ne peux pas, je... je ne sais pas, je mens.

Mais mes mains tremblotantes en disent long.

-Hailey n'a pas pu venir ?

Hailey pleurait trop pour prendre la voiture.           

-Je vais me chercher un café, dis-je en me levant.

Je déteste le café et elle le sait. Son regard accusateur me le confirme, tandis que je me lève et pars le plus vite possible.

-Elik..., ai-je tout de même le temps de l'entendre.

Je quitte carrément l'hôpital et me retrouve sur le parking. Ne sachant quoi faire de mes mains, je me dépêche de sortir un paquet de cigarettes. Vieux réflexe d'ancien toxico : je m'applique à toujours avoir au moins une clope sous la main. Au cas où. Bien que je n'y ai plus touché depuis Sawla...

-Ça ne va pas améliorer votre cas, se mêle un vieil homme m'approchant avec prudence.

Il désigne ma cigarette alors que je la porte à mes lèvres. Je hausse les épaules, fidèle à ma nouvelle gestuelle :

-Mon meilleur ami est mort ce matin, dis-je, comme pour me défendre.

Je ne sais pas pourquoi je préfère le dire à ce pauvre gars plutôt qu'à Fern. Je ne sais pas pourquoi je le dis tout court. J'ai comme une envie de me venger, de lui faire regretter d'être venu vers moi.

-Et la fille qu'il aime était dans cette putain de voiture avec lui quand ils ont été percutés par ce gars...

-Ce gars ?

Je suis presque déçu qu'il s'y intéresse, plutôt que d'en être gêné. Mais j'imagine qu'à cet âge, on a l'habitude de voir notre entourage disparaître, la mort devient notre quotidien.

-Ouais. Vous connaissez le topo : soirée arrosée, il se dispute avec sa copine qui ne veut pas qu'il prenne la voiture, alors il boit encore plus... toute la nuit... et finit par partir une fois qu'elle s'est endormie. De là, il roule vite, il quitte sa voie, s'y replace, la requitte... jusqu'à ce que des jeunes mariés passent par là.

-Les jeunes mariés étant votre meilleur ami et... « La fille qu'il aime » ?

Je hoche la tête. Je commence à sentir cette pression au fond de ma gorge et mes yeux qui s'humidifient petit à petit. Je savais qu'en parler n'était pas une bonne idée, pourtant je me sens obligé de terminer :

-On avait prévu de se retrouver chez moi. Nous avions traversés pas mal d'épreuves ces derniers temps et... on pensait que...

Je fonds en larmes. J'ai beau retourner la question dans tous les sens dans ma tête, je ne comprends pas. Thaïs devait mourir et voilà que c'est Fynn. Fynn devait vivre, survivre au décès de Thaïs. Il s'était préparé, on s'était tous préparés. Mais sa mort à lui... sa mort à lui, elle n'était pas au programme.

-Vous voulez entendre l'ironie de tout ça ? Les derniers mots que je l'ai entendu prononcer sont : « c'est le calme avant la tempête ». Et il avait foutrement raison. Toutes nos broutilles, tous nos malheurs et toutes nos larmes... ce n'était rien comparé à ce que nous allons ressentir dans les mois qui vont suivre... sans lui.

L'homme me donne une tape dans le dos avant de m'avouer :

-J'ai perdu ma femme en début d'après-midi. Pour un tas de raisons, provoquées par la vieillesse et je peux te dire que, même si je savais que ça arriverait... je n'étais pas préparé. On ne l'est jamais.

Son sourire triste fini de me ravager. Comment la mort peut-elle être si cruelle et se pointer dans les pires moments ? Mais y-a-t-il seulement de bons moments pour mourir ?

-Rejoignez vos amis. Ceux qui ont survécus et ne les lâchez pas, poursuit-il en reculant déjà. Ne vous écartez pas du monde sous prétexte que vous êtes en deuil. Ne vous appropriez pas cette tristesse, ne la gardez pas rien que pour vous. Vous avez besoin des vivants pour laisser partir les morts.

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