Chapitre 18

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THAÏS

On a fini par prendre le pick-up, dans un silence de mort. Personne n'a ouvert la bouche depuis ma petite pique. Mais je me devais d'être clair : Thaïs n'est pas là pour faire ami-ami. D'ailleurs, à la seconde où on aura passé la frontière, je partirai, je n'aurai plus du tout besoin d'eux et de leur véhicule tout pourri. Ça fait plus d'une heure qu'on est partis et mon dos me fait déjà souffrir à cause du vieux matelas qu'ils ont délaissé à l'arrière pour Fynn, Hailey et moi.

-Thray nous a offert une opportunité de dingue ! s'exclame Fynn face à moi, tranquillement appuyé contre les bords du pick-up.

Si j'ai bien compris, il est le batteur du groupe. Groupe dont j'ai déjà oublié le nom...

-Ne t'emballe pas trop vite. Plus tu pars confient, plus il y a de chance pour que tu te ratatines.

Ma mère me répète cette phrase sans cesse. Enfin, c'était avant la maladie. C'est dingue comme tout a changé depuis cette fameuse nuit, cette nuit tragique. J'aurais dû mourir, mais je suis morte seulement intérieurement. Je suis morte à base de « tu es trop faible Thaïs, laisse papa préparer tes affaires » et de « tu as besoin qu'on recopie ton cours, Thaïs ? ». Je suis morte en même temps que mon indépendance, ma fierté et mon ego. Je suis morte en voyant que je n'étais même plus capable de respirer normalement toute une journée. Je suis morte en m'endormant en plein cours d'histoire, alors que je m'étais pourtant couchée tôt la veille. Je suis morte en me rendant compte qu'il m'était alors impossible de rire, sans avoir une quinte de toux derrière. Je suis morte à base de petites phrases et anecdotes anodines à première vue, mais en réalité si rabaissantes...

-Tu es d'un optimisme..., souffle finalement Fynn.

Il détourne la tête, mais je peux tout de même capter son regard : il ne s'apitoie pas sur mon sort lui. Il lève même les yeux au ciel. Comme si je baissais trop vite les bras. Il ne me juge pas, et cherche encore moins à m'aider. Tout ce qu'il veut, c'est que je sois plus optimiste, pour moi seule et non pas pour lui, ou n'importe qui d'autre. Selon lui, je dois juste faire les choses pour moi, chose qui bien évidemment n'est jamais arrivée au court de ma vie...

Hailey se racle la gorge, soudainement mal à l'aise. C'est la chanteuse du groupe, mais elle a plutôt l'air d'être du genre à se cacher derrière le rideau rouge. Jamais je n'aurais imaginé qu'elle était le membre le plus important de la bande. Et la voilà qui se met à faire ce qu'elle sait le mieux faire :

- « promis juré qu'on la vivra notre putain de belle histoire »

Elle chante. Et je dois bien avouer que c'est très beau et apaisant. Peu de personnes ont ce don, même certains chanteurs sont parfois beaucoup trop brusques pour arriver à me calmer. Je ferme les yeux et profite tout simplement. Je profite de l'air, du soleil qui caresse ma peau, de la sensation d'avancer vers la vie et non vers la mort. Mais je me sens très vite observée et remarque alors qu'il s'agit de Fynn. Il regarde de nouveau vers moi, le regard bourré d'espoir à m'en faire vomir, littéralement. Je dégueule tout mon petit-déjeuner prit à la va-vite avant de partir en cavale. Merde.

Je rectifie : je suis morte maintenant, en tapissant la route de mon vomi.

Cette fois, Fynn me regarde d'un air affolé. Il fait mine de s'approcher mais je le stoppe d'une main :

-Toi. Tu m'approches encore une fois et je te vomi le reste dessus.

J'ai bien trop peur de ce que je ressens quand il s'approche de trop près. Il vaut mieux qu'il garde ses distances tout au long de ce voyage. Et mon estomac de cancéreuse doit apprendre à garder mes repas !

Fynn lève finalement les mains devant lui, l'air inquiet pour sa peau. Il recule tout doucement et se réappuie contre le pick-up sans jamais cesser de me regarder. Je me passe alors la main sur la bouche et essuie les restes de vomi ainsi que mon rouge à lèvres. J'espère l'écœurer et lui faire détourner le regard, mais je me dégoute toute seule d'en être arrivée à ce stade. Tellement bas... Voilà, c'est ainsi que je suis réellement morte.

- « ça sera quelque chose de grand, qui sauve la vie, qui trompe la mort... »

Hailey continue à chantonner doucement, cherchant à détendre l'atmosphère. Mais ça a l'effet inverse sur moi et je me détourne alors vers les paysages qui défilent à ma droite. Le soleil est en train de se lever et les oiseaux commence à chantonner, suivant presque le tempo imposé par Hailey.

-Les gars ! s'exclame alors Elik qui sort la tête par la petite fenêtre qui sépare l'avant et l'arrière du véhicule. Dernière ligne droite avant l'Arizona !

Je devrais me réjouir, me dire que tout le monde rêve de partir en road-trip avec ses potes, au moins une fois dans sa vie. Mais le petit hic dans ma situation, c'est que je ne suis pas avec des potes et que ce n'est pas un road-trip, c'est un voyage qui se terminera forcément avec une mort. Ma mort...

On voit Fern lui taper l'épaule à travers la vitre et elle ajoute à son geste un petit cri hystérique :

-Regarde la route !

Et c'est ainsi que commence ce long périple. Avec un chant de Fauve en fond et la nature qui se réveille.

We start againWhere stories live. Discover now