Chapitre 39

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FERN

Après avoir tourné en rond encore et encore dans ma minuscule chambre d'hôtel, je décide que j'ai besoin de prendre l'air :

-Tu sors ? me demande Hailey, voyant que j'attrape mon sac.

Je me fige. Je ne suis pas sûre que cela soit une bonne idée de m'épancher sur le sujet. Je me vois mal dire : « En fait, je crois que je suis amoureuse de deux garçons à la fois. Je crois que je me fais trop de mal avec l'un et pas assez de bien avec l'autre. »

Je glousse, imaginant la scène :

-J'ai juste... besoin de me changer les idées.

-Tu en as pour longtemps ?

Voyant ma surprise, elle se dépêche d'ajouter :

-Je ne suis pas ta mère, je ne juge pas ! Juste... le concert demain...

-Je sais, je la coupe. Je ne prendrais pas le risque de partir trop loin, ni de rentrer trop tard.

Je lui fais un clin d'œil et ouvre notre porte de chambre. Je mets quelques secondes à comprendre ce qu'il se passe : Elik, le poing levé face à lui, comme s'il allait toquer à la porte.

-Oh, dit-il simplement en baissant rapidement sa main. Bon timing. Où vas-tu ?

-Je... euh...

Je lance un coup d'œil par-dessus mon épaule. Hailey a un sourire radieux. Mon Dieu.

-En fait, j'avais besoin d'être un peu seule.

Mince, je me sens sacrément garce maintenant. Je me rattrape le plus vite possible en voyant sa mine déconfite :

-Mais maintenant que tu es là, autant t'inviter !

J'ai presque envie de rire de la bêtise de cette situation. Il y a même pas une semaine, on se serait pris dans les bras l'un de l'autre sans arrières pensées. Et nous voilà à présent, en train de nous regarder en chiens de faïences. C'est fatiguant, cette attraction qu'une personne peut avoir sur nous.

Elik sourit d'un air rassuré et me tient la porte d'entrée. Nous sortons, très vite rattrapés par la fraicheur de la nuit estivale. C'est agréable. Malgré ma situation ambiguë avec Elik, je suis contente de me trouver ici avec lui et personne d'autre.

-Et si on prenait le pick-up ? me demande-t-il soudain. J'ai envie de voir ces fameuses montagnes.

-On n'y verra rien ! je me marre. Il fait déjà nuit noire, Elik...

Il se contente d'hausser les épaules, puis me prend par le coude afin de me diriger jusqu'au véhicule.

-Je dois voir ça, continu-t-il quand il s'installe côté conducteur.

Si le Montana est connu pour une chose, c'est bien pour ses immenses montagnes enneigées, où s'écoule une eau polaire.

-Elik, je marmonne, on va mourir de froid. Et demain...

Il me regarde du coin de l'œil et murmure :

-On se fiche de demain. On se fiche de l'heure suivante. C'et maintenant. C'est nous. C'est toi qui pense à ce connard et moi qui ne pense qu'à toi depuis des mois...

Ça a le mérite de me faire perdre l'usage de la parole pour le restant du trajet...

                              ***

Je ne me souviens plus vraiment comment je me suis retrouvée ici. Une chose est sure, quand je parlais de « sortir prendre l'air », je ne parlais pas de cet air glacial et de cette hauteur à m'en couper le souffle. La terrasse de l'hôtel m'aurait suffie... Apparemment, ça n'était pas dans les plans d'Elik qui m'a fait escalader la première montagne venue.

Il continu de marcher et je continue de lui courir après et ce, jusqu'à ce qu'on atteigne une petite rive. Là, il s'arrête d'un coup et je manque de lui foncer dedans :

-N'y pense même pas, je souffle alors qu'il se déshabille déjà. Bon sang, mais tu as perdu la tête ! Tu joues devant des milliers de gens demain... tu vas être malade et...

Son rire me stoppe dans mon élan de panique.

-Quoi ? je m'énerve.

-Tu es mignonne.

J'ai l'impression qu'il n'avait pas l'intention de le dire à voix haute, étant donné qu'il est tout aussi surpris que moi, quand ces mots franchissent ses lèvres. Je baisse instantanément le regard, mais lui poursuit :

-On n'a qu'une vie, Fern. Tu ne peux pas faire machine arrière sous prétexte que les conséquences sont trop effrayantes à tes yeux.

J'ai comme l'impression qu'on ne parle plus de se jeter dans l'eau glacée. Je me tais. C'est mon truc à présent : me faire toute petite, ne pas insister et attendre que l'autre lâche l'affaire. J'ai remarqué ces derniers temps qu'Elik n'était pas la personne la plus facile à distraire.

Il me tend une main en soufflant :

-Viens avec moi.

-Non.

-Déshabille-toi.

-Non !

Je vais mourir de honte.

-Je t'en prie, Fern...

Je ne sais plus s'il me supplie de le rejoindre ou de l'aimer lui, et seulement lui. Dans les deux cas, c'est impossible. Je lui tourne le dos, évitant son regard. Je l'entends se rapprocher avec une lenteur métrisée :

-Pourquoi est-ce que tu ne lâches pas simplement l'affaire ? je demande dans l'espoir de le faire reculer.

J'ai peur de ce qui arrivera quand il sera encore plus proche, comme cette nuit-là... Sa main se pose sur mon épaule et il rapproche ses lèvres de mon oreille :

-Parce que, Fern, tu as peut-être quelqu'un qui t'empêche de m'aimer pleinement... mais moi, rien ne me retiens. Je ne pense plus qu'à ce que tes lèvres pourraient me faire.

-Sawla..., je couine.

Quand il souffle, mes cheveux volent et atterrissent dans mes yeux. Toujours derrière moi, il les écarte lentement et laisse promener ses doigts sur mes joues :

-Je ne pense plus qu'à toi et à toi seule. Je ne rêve plus que de toi, je n'écris plus que sur toi, je ne veux plus que toi... j'oublie tout et tout le monde à tes côtés. J'ai besoin de toi, Fern.

Peut-être que demain je m'en voudrais d'avoir si facilement baissé ma garde, mais sur le moment je n'ai qu'une seule envie : me déshabiller et le rejoindre dans l'eau. Aussi glacée soit-elle. Je veux me sentir en vie. Avec lui.

We start againWhere stories live. Discover now