Chapitre 31

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HAILEY

La première partie du concert se termine sous les applaudissements du public enthousiaste. Tant de bruit pour nous... c'est impensable. Chacun quitte la scène et c'est comme dans un rêve. Fynn cherche Thaïs du regard, Elik cherche Fern. Je cherche à comprendre pourquoi chacun se sent obligé de chercher du réconfort dans l'amour. L'amour n'est pas une échappatoire à la douleur, c'est un prolongement de l'être. L'amour, c'est la vie, mais en mieux. L'amour donne envie de vivre et la vie donne envie d'aimer.

De mon côté, je n'ai jamais eu besoin d'amour pour avancer, pour vivre. Quand on est ronde et que ça ne fait pas partit des critères de beauté, on s'habitue à prendre sa vie en main... seul. Je pars simplement du principe que l'amour d'autrui ne fait pas tout. Ce qui fait tout, c'est notre amour-propre. On n'est jamais mieux servi que par soi-même.

Fynn a prévu d'emmener Thaïs au Casino ce soir, et pour faire bonne impression il nous invite tous. Il ne veut pas avoir l'air de celui qui abandonne la bande pour une fille, pourtant je pourrais parier qu'il profitera de la première inattention pour emmener Thaïs à l'écart. C'est juste beaucoup plus spontané.

-Tout le monde est prêt ? demande-t-il justement, quand tout pousse à croire qu'il voudrait souffler « j'espère que vous aurez un empêchement ».

Merde ! Je me comporte peut-être comme une vraie garce, jalouse et possessive. Mais j'ai la mauvaise intuition que Thaïs n'a pas changée. Je n'arrive pas à me faire à cette idée, je n'arrive pas à laisser mon ami se rapprocher ainsi. Il n'a jamais eu le cœur brisé, pourtant c'est ça qui l'attend : soit Thaïs lui fera du mal en le quittant, soit elle lui en fera en mourant. Dans le meilleur des cas, elle partira simplement au cours de ce voyage, elle mourra avant qu'il ne se soit passé quoique ce soit entre eux. C'est tout ce que je peux souhaiter à mon ami. Je sais que, de lui-même, jamais il ne pourra la lâcher. Comme Fern ne peut lâcher Nell. Il est épris par un amour à sens unique et ça le bouffe, ça le ronge intérieurement, tellement, que seule Thaïs peut lui venir en aide.

-Allons-y, déclare Elik en passant devant Fern.

Il l'ignore. Elle l'ignore. Je les ai déjà vu distants, mais ça s'arrêtait à « je ne te dis pas bonjour parce que je suis trop crevée, là », ou « je suis de mauvaise humeur, j'ai pas besoin de me battre contre mes sentiments en plus de ça ». Ils se sont déjà évités pour diverses raisons, parce qu'au fond ils ont toujours senti cette alchimie, on l'a tous sentie. Mais, jamais ils ne se sont trop éloignés, ayant absolument besoin de la présence de l'autre. Aujourd'hui, on dirait plutôt qu'ils refusent d'y croire, qu'ils veulent simplement se convaincre que ce lien, qui les réunissait, n'existe pas.

                             ***

Je ne sais par quel miracle, Thaïs a réussie à tous nous faire entrer dans le Casino le plus proche. Sa beauté légendaire, toujours aussi intacte, a dû aider et son sens de la manipulation et de la répartie. Dans tous les cas, c'est bien grâce à elle que nous foulons le sol d'une salle immense, remplie de vice et de jeux :

-Que tout le monde s'éclate ! s'exclame Elik, avant de partir vers un groupe de vieux, installés devant une table ronde.

Je lance un regard vers Fern, qui ne sait où se mettre. Elle s'imaginait sans aucun doute passer ce moment avec son ami de toujours, mais il semble vouloir autre chose d'elle, il semble en attendre beaucoup plus d'elle que ce qu'elle ne pourra jamais lui offrir.

-Et si on allait rendre visite aux machines à pièces ? questionne Fynn.

Thaïs hoche la tête et ni une, ni deux, les voilà partis à leur tour, se perdant à travers la foule.

-Tu vas me dire ce qu'il se passe ? je demande à Fern, tandis qu'on se dirige vers un babyfoot.

Elle hausse les épaules, tout en introduisant une pièce dans le jeu :

-Thaïs a l'air de bien apprécier Fynn, pour de vrai. On ne devrait pas trop la juger et lui laisser le bénéfice du doute, tu sais que...

-Toi aussi, tu as l'air de bien apprécier Elik, pour de vrai, je fonce droit dans le plat.

Elle soupire, s'appuyant contre la table :

-Je n'en sais rien, Hailey, j'ai juste envie de jouer ce soir... de me vider la tête, tu vois ?

-Tu sais comment se finissent ce genre d'idées..., je murmure.

Je sais qu'elle pense immédiatement à Elik, essayant d'oublier Sawla, en vain. Elle pense à tout ce qu'il a bien pu inventer pour se la sortir de la tête. A comment il a fini au fond du gouffre, ne sachant plus comment revenir à la vie. Parfois, il faut laisser la tristesse s'emparer pleinement de nous, si on veut qu'elle disparaisse un jour. La faire fuir, c'est s'assurer qu'elle revienne plus puissante que jamais à la prochaine faiblesse. Autant être triste d'un coup, plutôt que par petites bribes.

Fern se passe une main dans les cheveux et les tire un peu en observant le plafond :

-Tu sais combien j'aime Nell..., ajoute-t-elle.

-Et je sais combien tu tiens à Elik, oui.

Elle a l'air offusquée, comme si elle-même n'avait pas pensé à cela, comme si elle ne se retournait pas assez la tête à propos de ça : elle a honte.

-On ne peut pas aimer plus d'une personne à la fois..., essaie-t-elle de se convaincre.

Je lui prends les mains et murmure :

-Fern, on peut aimer le monde entier. On ne choisit pas, on peut simplement aimer et faire avec. Tu peux aimer Nell et faire avec. Tu peux passer outre le fait qu'il te fait pleurer la nuit, qu'il te ruine petit à petit... et tu peux aussi aimer Elik et faire avec. Tu peux passer outre le fait qu'il y a Nell, qu'il y a le risque... que ça soit dur au début. Mais ça n'est pas impossible. Tu ne dois pas aller vers la simplicité en te disant qu'Elik est inaccessible.

-Mais...

J'entame la partie de babyfoot, tout en lui disant :

-Elik est plus que jamais accessible.

We start againWhere stories live. Discover now