Chapitre 56

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NELL

Je laisse deux sonneries retentir avant de décrocher. Je ne veux en aucun cas qu'elle se fasse d'idée : je ne passe pas ma journée à attendre ses appels :

-Quoi ? je demande, constatant qu'elle ne parle toujours pas.

-Je... hum... et bien, ça va te paraître stupide, mais...

-Le fait que tu sois partie est stupide, en effet. Au revoir, Fern.

Je commence à écarter le téléphone de ma joue quand je l'entends paniquer à l'autre bout du fil :

-Je t'appelle justement à ce propos ! Je suis rentrée, Nell et je... je pensais qu'on pourrait peut-être...

-Peut-être quoi ?

J'essaie de la pousser un peu, elle m'énerve tellement à bégayer ainsi.

-... se voir, finit-il. Je pensais qu'on pourrait peut-être se voir et... tu m'as manqué.

Elle est à bout de souffle. Je n'arrive pas à croire qu'elle ose se pointer comme une fleur, comme si de rien était...

-Si je te manquais tant que ça, tu n'avais cas pas partir.

Sur ces jolies paroles, je raccroche. Mais je ne tarde pas à regretter alors je balance mon portable à l'autre bout de la pièce pour m'empêcher de la rappeler.

-Qu'elle petite...

-Que se passe-t-il... ?

Je sens que quelqu'un bouge à côté de moi, dans mon lit qui n'est plus vraiment le mien mais également celui de la moitié des filles du lycée d'Histwood.

-Tu ferais mieux de partir, dis-je justement à celle qui émerge à peine.

Ce n'est pas une vie putain ! Et pourquoi est-ce que le fait d'en avoir pleinement conscience n'y change rien ?

-Crétin..., murmure la fille, tandis qu'elle se rhabille avec empressement.

Une fois prête (si on peut appeler cette minijupe et ce décolleté vertigineux une tenue), elle part sans un regard en arrière et claque la porte. Ça me va. C'est beaucoup mieux que cette cruche qui a essayé de faire ami-ami avec moi la semaine dernière en me racontant sa vie, style « on est pareils toi et moi ». Rien à fiche, putain. En fait, je n'en ai plus rien à foutre d'absolument tout, ces temps-ci. Seuls les appels de Fern arrivaient encore à peu près à me satisfaire, avant aujourd'hui.

-Sérieusement, je crache.

Elle m'agace, elle m'énerve. Elle me met dans une colère dont je me passerais bien. A-t-elle seulement idée de ce qu'elle provoque en moi ? Se doute-t-elle une seule seconde d'à quel point elle compte pour moi ? Je ne pense pas lui avoir dit une seule fois et je ne l'avouerais sans doute jamais à haute voix mais elle est mon pilier. Elle est à mes côtés depuis tant d'années à présent qu'il me serait impossible de vivre sans elle, ça serait trop bizarre. Elle a su se trouver une place dans mon cœur, parmi tous les débris que les autres ont laissés. Je ne pensais plus pouvoir faire confiance et la voilà qui a débarquée : innocente, pure. Elle ne ressemblait en rien aux personnes que j'avais l'habitude de fréquenter. En fait, je n'avais jamais rencontré pareille fille auparavant et je me plaisais à croire que c'était comme un signe : je devais m'améliorer, remettre mon existence en question. J'ai commencé à changer afin d'essayer de capter son attention. Je devenais le parfait canard, la suivant de loin et cherchant à la connaître un peu plus chaque fois. Je lui portais une attention que j'étais certain de ne même pas porter à moi-même et quand enfin on est sorti ensemble, je me suis lassé. Elle ressemble finalement beaucoup aux autres : elle sourit toujours face à mes blagues nulles, elle hoche la tête gentiment quand elle ne sait pas trop comment me contredire, elle me laisse la toucher partout, elle ne me dit jamais non, elle a les yeux qui brillent d'admiration en me voyant. Jamais, à aucun moment, elle ne m'a laissé voir à quel point notre relation l'étouffe. Pourtant, je le sais : tout ça ne lui plait pas. J'ai recommencé à dealer, à boire, à coucher à droite et à gauche à la seconde où on s'est mis en couple. Pourtant, elle est encore là et ça, c'est bien diffèrent des autres. Alors oui, elle est mon pilier : celle qui sera toujours là et qui, jamais, au grand jamais, ne lèvera la voix sur moi. Parce qu'elle est aussi comme toutes les autres à la fois : elle a une peur bleue de moi. Et ça marche ainsi. Et je l'aime, comme on dit.

***

Fern réessaie de m'appeler quelques heures plus tard, mais je ne prends même pas la peine de répondre. Je laisse sonner. Je l'imagine sur son lit, sous ses draps en train de me traiter de tous les noms ou peut-être même pleurer parce que je lui manque. J'ai un sourire en l'imaginant parler à son chat, genre : « Je sais, va falloir que je mette fin à tout ça », puis elle continue de pleurer encore plus fort, en regrettant d'avoir pensé une chose pareille. Je sais qu'il faudra bien mettre fin à cette histoire tôt ou tard mais pour l'instant, je ne suis pas prêt à la laisser partir. Toute bonne chose a une fin, et alors ? Je peux toujours profiter encore un peu. Qu'elle le veuille ou non, je compte bien la garder à mes côtés encore un petit bout de temps. Je sais bien que les amourettes de lycéens ne durent jamais mais avec elle, j'ai envie de prouver à ce fichu monde que ça serait cool de nous prendre au sérieux de temps en temps. Je m'endors seul ce soir, sans fille à moitié nue à mes côtés. Je m'endors avec seulement la pensée d'une Fern démunie de ne pas me voir, pleurant parce qu'elle m'aime d'un amour qui la bouffe de l'intérieur, d'un amour si puissant qu'il va faire comprendre à ce monde que cette merde peut durer longtemps. Toute une vie même, si on ravive cet amour de temps en temps.

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