Chapitre 76

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FERN

-Je suis désolé..., me souffle une dernière fois le médecin avant de tourner les talons.

Fynn est... Non. Non, non, non, non. Ce n'est pas possible, ce n'est pas le moment, c'est beaucoup trop tôt. On avait encore tant de choses à faire ensemble. On devait continuer à jouer, on devait continuer à s'éclater, on devait continuer à profiter de notre adolescence. On devait passer le bac tous ensemble et obtenir notre permis. On devait se prendre la tête face à la tonne de paperasse et pleurer la mort de nos parents, de Thaïs. C'est ça, l'ordre des choses.

Je me réinstalle dans ma chaise avec difficulté. Je dois continuer d'attendre pour avoir des nouvelles de Thaïs. Elle est retenue par les médecins qui vérifient qu'elle ne garde aucune séquelle, physique comme mentale. Bon sang ! Elle devait mourir et c'est l'homme qui lui a appris à vivre qui prend sa place. Elle doit être tellement retournée...

-Fern...

Je tourne la tête dans un geste brusque vers Elik qui s'avance lentement vers moi et vient s'installer à mes côtés.

-Tu aurais dû me le dire, je murmure. Tu aurais dû...

Il  baisse le regard sous mon ton accusateur et se tortille les doigts dans tous les sens. J'ai besoin de passer mes nerfs sur quelqu'un, de transmettre cette douleur qui ne me lâche plus, depuis que le médecin m'a annoncé la mort de Fynn.

-Tu pensais que je ne m'en rendrais pas compte, peut-être ? j'insiste.

-Si, bien-sûr. Mais je ne voulais tout simplement pas être celui qui te l'annonce.

-Qu'est-ce que tu sais exactement, Elik.

Il hausse les épaules. J'ai l'impression que ça devient une habitude.

-Pas grand-chose de plus que toi. Ils ont eu un accident de voiture et... c'est Fynn qui conduisait. Il était du mauvais côté et Thaïs...

-Thaïs s'en est sortie, je finis à sa place.

Thaïs s'en est sortie, je me répète en boucle. Thaïs qui venait tout juste de trouver le véritable amour, Thaïs qui n'avait déjà pas beaucoup de temps, Thaïs qui...

-Oh bon sang..., je murmure, Thaïs... Thaïs va être si...

-On l'est tous, me glisse Elik, on est tous si...

Je lui envoie un pauvre sourire et poursuis :

-Je veux dire... c'est si improbable. Il n'avait pas le droit de mourir comme ça, il n'avait pas le droit de nous laisser.

Et quand je sens les larmes commencer à couler, je me venge en criant sur Elik :

-Tu entends ? Il n'avait pas le droit ! Il n'avait qu'une chose à faire : vivre, lutter avec nous, aimer... Il devait aider Thaïs à finir ses jours dans une immense joie, il devait taper sur sa batterie encore de longes années, il devait monter sur toutes les scènes possible et...

-Fern... calme-toi. Ce n'est pas sa faute. Tu nages en plein déni, tu ne sais plus ce que tu dis.

Ça redouble ma colère et je me mets carrément à le frapper cette fois. Mon poing s'abat sur sa poitrine quand je hurle à nouveau :

-Il n'avait pas le droit de nous faire ça ! Merde. Il avait encore des tas d'années devant lui, des tas de blagues à faire, des tas de rencontres. Il avait Thaïs, il l'avait enfin. Il a tout laissé, tout abandonné.

Je sens qu'Elik tente d'attraper mes mains, mais voyant que c'est peine perdue, abandonne et me laisse le taper :

-Il a tout laissé, je pleurniche. Il a tout laissé, sauf lui...

Elik me caresse lentement le dos et s'approche un peu de moi pour que je puisse l'entendre me murmurer :

-Tu sais ce qu'il m'a dit un jour ?

Je secoue la tête, débordante de larmes et ne trouvant plus la force de parler.

-« C'est comme si le temps s'était arrêté et que maintenant tout s'accélère ».

Ça décrit assez bien ce que je ressens en ce moment. Ça décrit ce que je ressens depuis des semaines. Le temps est en pause, mais les malheurs, eux, ne cessent de défiler, de s'enchainer.

-Je n'en peux plus..., dis-je à bout de force.

Il se contente de prendre mon visage entre ses mains et de me regarder droit dans les yeux :

-A ce moment-là, quand il m'a dit ça... on venait de rentrer de la tournée. On ne se voyait plus beaucoup et je pensais qu'il me manquait.

-Tu pensais ?

Le regard d'Elik se fait plus sombre quand il souffle :

-Oui, je pensais. Je pensais qu'il me manquait parce qu'il passait beaucoup de temps avec Thaïs, qu'il allait moins aux répétitions et qu'il ne venait plus chez moi pour simplement discuter...

Il se passe une main dans les cheveux, se repassant sans doute toutes ces scènes et poursuit :

-J'étais loin d'imaginer que je me trompais lourdement à ce moment-là. Il me manquait, oui, mais aujourd'hui... aujourd'hui il laisse un trou béant dans ma poitrine.

Je ne sais comment le consoler étant donné que je suis moi-même inconsolable, alors je me contente d'embrasser les contours de son visage.

-Fern... on va devoir être plus que jamais soudés. On ne peut pas se laisser emporter par la tristesse.

Je me sens hocher la tête, mais je suis toujours aussi incapable de parler.

-Son enterrement est pour la semaine prochaine, m'annonce-t-il. D'ici-là, on va lui préparer un hommage du tonnerre, on va se bouger, on ne va pas se laisser un seul instant de répit.

-Ça me rappelle quelque chose, je murmure, sarcastique.

Sa rupture avec Sawla avait semblé facile pour lui en apparence. Tout simplement parce qu'il se surmenait, il ne laissait pas son esprit divaguer. Mais ça ne fonctionne qu'un temps... on ne peut pas ignorer la tristesse indéfiniment.

-Au début, on fera semblant d'aller bien, ajoute-t-il, puis petit à petit, ça deviendra vrai. Petit à petit, jour après jour, on aura de moins en moins mal. On passera d'abord une minute sans y penser, puis deux, puis une heure. Pas à pas, tu comprends ? 

Nouvel hochement de tête.

-Je t'aime, Fern. Je t'en supplie, ne pars pas.

-Où veux-tu que j'aille ? je lui demande, désarçonnée.

-La peine peut te transporter très loin. J'ai besoin de toi, Fern, alors reste... concentre-toi sur moi quand ça devient trop dur, d'accord ?

Hochement de tête.

We start againWhere stories live. Discover now