Chapitre 50

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FERN

-Tu crois que j'ai tout gâché ? je demande à Fynn, à bout d'une demie heure de silence inconfortable.

-Je crois surtout qu'Elik est au plus bas, qu'il ne sait plus trop de quel côté il est. Il est paumé Fern, est-ce que tu as pris le temps de te mettre à sa place un peu ?

Devant cette accusation, je me crispe :

-Evidemment ! Je ne cesse de chercher à comprendre le point de vue de chacun : Elik, Nell, le groupe... et Thaïs que je ne cernerais sans doute jamais.

Je souffle en me passant une main dans les cheveux. Cette histoire ne s'arrêtera donc jamais ?

-Pourquoi est-ce si compliqué d'aimer ? je demande, complètement découragée.

Fynn me lance un regard peiné, comme si je n'y comprenais rien à rien :

-Ce n'est pas le fait d'aimer qui est compliqué, Fern. C'est le fait d'aimer la mauvaise personne...

-Alors tu aimes la mauvaise personne ?

-Ce n'est pas moi qui me plains de la difficulté de l'amour.

Il a raison.

-Alors..., je poursuis.

-Alors, l'amour ce n'est pas toujours simple. Point.

-Tu ferais un grand philosophe, j'ironise.

Voyant sûrement que je commence à perdre tout espoir, il approfondit sa pensée :

-Ecoute, souffle-t-il, tout ce que je peux te dire, c'est que tu auras beau aimer... ça ne suffira jamais. Tu auras beau donner toute ta personne à cet amour, jusqu'à en crever... tu n'auras jamais la garantie de recevoir quoique ce soit de ton côté. C'est ça l'amour, Fern : donner et ne rien attendre en retour. Et ce qui fait si mal là-dedans, ce qui est si difficile, c'est d'accepter de ne rien recevoir. On aura beau dire « je n'attends rien de plus », la vérité c'est que si, en effet, on attend bien plus que ce que la personne en face ne pourra jamais nous offrir.

Je crois que je pleure, à moins que ça soit lui. Je ne sens pas mes larmes, mais j'entends des sanglots. Ils sortent de tous les pores de ce pick-up. Chacun dans ce véhicule fait comme si tout allait bien, comme s'il donnait sans même y penser mais la vérité et que chacun en attend bien trop de l'autre et il en a bien conscience. Elle est là la difficulté de l'amour : se rendre compte qu'on ne pourra jamais avoir ce qu'on désir plus que tout. On ne pourra jamais avoir la chose dont on est persuadé qu'elle nous rendra heureux.

***

Je crois que j'ai fini par m'endormir de tristesse parce que je sens une main sur mon épaule me secouer et une voix me souffle :

-On va bientôt arriver, Fern.

J'ouvre lentement les yeux pour les poser sur un immense building. Tout semble démesuré ici : les immeubles, les publicités, les femmes sur leurs talons, l'espoir... Tout semble possible. Je comprends alors pourquoi les parents flippent quand leur enfant annonce qu'il va partir vivre dans la grande ville : ils ont peur qu'il vise trop haut et qu'il se perde en chemin.

-New York...

Je n'en crois pas mes yeux, j'ai besoin de le dire pour le croire :

-On est arrivés à New York. Bon sang, Fynn, on l'a fait !

Il se contente d'un petit sourire en coin alors que je suis sure de rayonner de bonheur. J'aurais aimé vivre cet instant avec Elik. Merde, ce n'est vraiment pas le moment d'y penser. Je veux dire : j'aurais aimé passer ce moment avec Nell, évidemment.

-Je n'arrive pas à croire qu'on soit là..., je panique. Et tous ces gens qui vont venir nous voir ce soir, alors qu'il n'y a même pas deux semaines de cela, on était entassés sans autorisation dans le sous-sol du lycée pour répéter. Fynn ! C'est dingue.

Je presse presque mon visage contre la vitre afin d'en voir le plus possible de cette immense ville. Fynn tourne à droite et explique :

-On doit rejoindre Brooklyn, j'ai envie de vérifier quelque chose.

-Fynn, j'ai besoin de plus d'informations là.

Il rigole doucement, fier de son petit effet. Il nous réserve quelque chose de pas très joli, je le sens.

-Où est-ce que tu nous amènes ?

-Pas très loin, pas très longtemps. Juste le temps de faire passer un message à Thaïs.

-Ça peut prendre toute une vie pour qu'elle comprenne quelque chose, je grogne pour la forme.

Il donne un petit coup de volant afin que je me prenne la portière en pleine face :

-Très mature, dis-je, sarcastique.

-Ne parle pas d'elle ainsi. Pas devant moi en tout cas. Je comprends que vous ayez chacun une petite rancune envers elle mais... je l'aime. Alors pas de ça avec moi, s'il te plait.

Je hoche la tête. J'aimerais que Thaïs se rende compte de la chance qu'elle a d'avoir un homme qui parle ainsi d'elle, même quand elle n'est pas là. Mais bon, elle s'en rendra surement compte trop tard, quand elle le perdra, comme tout humain normalement constitué...

-Où allons-nous ? je continue alors de l'interroger pour combler ce silence pesant.

-Tu verras bien, s'amuse-t-il.

We start againWhere stories live. Discover now