Chapitre 54

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FYNN

Le lendemain, on ne rentre pas de suite. Personne n'a vraiment envie de revenir à la normale, alors on fait une pause en cours de route. C'est ainsi qu'on se retrouve tous assis au coin d'un feu, entourés de la fraîcheur automnale et de l'obscurité de la nuit. Dos à la forêt, je tiens Thaïs entre mes bras, tandis que chacun vaque à ses occupations. On essaie de gratter le plus de temps possible, même si on sait tous qu'on ne pourra pas rester ici indéfiniment.

-J'aimerais faire un discours, lâche tout à coup Elik.

Jusqu'à maintenant, il s'était contenté de rester dans son coin, sifflotant dans sa barbe et grognant face à son carnet encore vierge. Alors je suis le premier surpris de le voir se lever et rejoindre le centre de notre cercle improvisé. Bien qu'on soit tous plus ou moins habitués à ses extravagances, on est tous un peu sur nos gardes quand il commence :

-Je voulais simplement profiter de ce moment pour vous dire que je vous aime. On finira peut-être séparés par la vie ou... la mort.

Il lance un regard vers Thaïs, blottie dans mes bras.

-On ne sait jamais ce que ce fichu monde nous réserve alors... je profite de ce moment hors du temps pour vous avouer que...

Il a un petit rire, comme si ce qu'il s'apprêtait à dire était stupide et qu'il n'arrivait pas à croire qu'il allait vraiment le faire :

-Je vous aime, répète-t-il tout naturellement. Vous attendez peut-être tous ici que ce soit quelqu'un d'autre qui vous le dise, mais... c'est pourtant le cas.

Il sourit tristement, regardant Hailey :

-Je t'aime, Hailey. J'aime quand tu es prête à exploser la tête de la première personne qui te jugera. J'aime la façon dont tu croies en toi, dont tu n'as besoin de personne d'autre pour avancer. Tu es si forte, attentive... Je t'aime parce que, merde, tu es parfaitement imparfaite. Tu fais de tes rondeurs une force, de ton caractère de cochon une inspiration et tu fonces.

Il se tourne à présent vers moi, d'une lenteur déconcertante. J'entends Hailey reprendre son souffle, comme si elle attendait d'entendre ça depuis si longtemps :

-Je t'aime, Fynn. Tu es mon meilleur ami depuis... depuis toujours. Merde, je me fiche que ça fasse seulement deux ans, j'ai l'impression que tu as déjà comblé toute ma vie. T'es loyal, drôle et tellement peu sûr de tes choix que ça en devient comique. Je t'aime parce que t'as toujours été sûr de ton amour envers Thaïs en revanche, et que tu m'envoyais bouler à chaque fois que je te reprochais ce choix. Tu te fiches de l'avis des gens, des répercutions... tout ce qui te tient à cœur, tu le fais sans y penser.

Thaïs essuie une larme qui roule le long de ma joue en me traitant gentiment de « fragile ». Mais voilà qu'Elik se tourne vers elle :

-Je t'aime, Thaïs. C'était pourtant très mal partit, c'est vrai, mais... t'es mourante alors, je ne dirai pas de mal de toi.

-Petit con, rigole-t-elle.

Toute la bande explose de rire et ça fait un bien fou. Ces deux-là ne cesseront jamais de s'envoyer des piques. Je ne serai pas surpris de voir Elik murmurer des bêtises sur la tombe de Thaïs, tient.

-Nan, reprend-t-il, plus sérieusement. Je jure que je t'aime, vraiment. Je ne dis pas ça juste pour que ça rende bien dans le discours et que ça finisse en happy end. Je t'aime, Thaïs. Parce que, tu l'as dit toi-même : « on se ressemble bien plus que tu ne peux le croire ». Tu gardes tout pour toi, tu te caches derrière le sarcasme et les mensonges et... et quand ça finit par sortir, tu ravages tout.

Je sens Thaïs secouer la tête, essayant encore de nier.

-Tu ne fais pas les choses à moitié. Tu nous balances que tu nous déteste et la seconde d'après, tu nous embrasses. Tes actes sont tellement à l'opposés de tes paroles, c'est pour cette raison que tellement de personnes se trompent sur ton compte : ils ne vont pas chercher au-delà des mots, au-delà de ce que tu veux bien laisser paraître. Je vois au-delà, moi, et... Je t'aime, Thaïs.

Je n'arrive pas à croire que ça soit à Thaïs qu'il fasse un si grand éloge, laissant Fern écouter cela :

-Je n'ai jamais vu quiconque de plus vivant que toi. T'as pris la vie et tu lui as fichue une grosse claque en pleine gueule.

Thaïs le remercie à voix basse mais il est déjà passé au tour de Fern. Il la regarde comme si elle venait de lui offrir le monde :

-Fern...toi, je ne t'aime pas.

Je jette des coups d'œil à droite et à gauche, histoire de vérifier que je ne suis pas le seul à être complètement paumé. Hailey et Thaïs font les yeux ronds et Fern baisse le regard. Personne ne comprend ce qu'il se passe et aucun moyen de deviner ce qui traverse la tête d'Elik en cet instant :

-Je t'idolâtre, poursuit-il alors, je t'admire, je t'adore, je... bon ok, je t'aime aussi, c'était juste pour rajouter un peu de suspens. Et aussi parce que je t'aime d'une façon bien différente des autres.

Il a un petit rire en voyant qu'elle reprend son souffle. Elle a eu peur de se faire blâmer :

-Je t'aime, Fern. Alors non, je ne t'aime pas au point de t'épouser sur le champ et de te promettre l'éternité. Je t'aime à ma façon. Je t'aime avec mon cœur cabossé et ma tête pleine de maux. Je t'aime comme on aime la pluie en été et comme on aime le soleil en hiver. Je t'aime comme on aime un rêve après une longue journée. Je t'aime comme on aime les étoiles, les levés et couchés de soleil... je t'aime comme on aime tout ce qui est naturel, spontané et époustouflant.

Fern porte une main à son cœur, les larmes lui dégoulinants sur le visage :

-Je t'aime comme... je t'aime comme on aime le soleil : à distance, sans trop s'en approcher, sans trop oser le regarder.

Et il retourne s'assoir, l'air de rien. Comme s'il ne venait pas de nous déchirer le cœur, à tous, sans exception.

We start againWhere stories live. Discover now