Chapitre 65

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FERN

-Ma puce ! cri ma mère depuis le rez-de-chaussée, il y a quelqu'un pour toi.

Je ne bouge pas d'un pouce. J'ai été bien clair : « Maman, ne laisse entrer personne. Même pas Fynn, Elik et Hailey ». Je ne veux voir personne, je ne veux parler à personne. Le contact humain, ça mène forcément à des larmes et à la déception ; ma dernière relation amoureuse en étant la preuve. Ma couette me protège du monde extérieur et je me sens très bien pelotonnée dedans. Je n'ai besoin de personne.

-Fern !

Je ne me souviens pas la dernière fois que ma mère m'a appelée par mon prénom plutôt que mon surnom. J'imagine que j'ai toutes les raisons de m'inquiéter.

-C'est qui ? je demande pour la forme.

Je ne me suis pas lavée depuis trois jours et je n'ai pas touché à tous les plats que ma mère m'a apportés. Je les vois du coin de l'œil commencer à pourrir. Toujours est-il que mes cheveux sont dans un état épouvantable et que je sens bien trop fort pour recevoir qui que ce soit. En plus, je suis certaine d'avoir des restes de mascara sur les joues, suite à ma séance de pleurnicherie d'hier soir.

-Elik !

Cette voix vient d'Elik lui-même, me fournissant la preuve que c'est bel et bien lui.

Merde.

-Je suis malade ! Ne rentre pas, je ne voudrais pas t'infecter.

Mais je l'entends dans les escaliers et je pourrais presque sentir son souffle au travers de la porte.

-Je me fiche de tes bactéries, Fern. J'ai besoin de te voir pour vérifier que tout roule. Je me suis inquiété toute la semaine et quand je suis retourné au lycée après mon exclusion, j'ai appris que tu n'étais pas retournée en cour depuis...

Il ne dit pas depuis quoi, mais c'est comme s'il le hurlait.

-Non, je me reprends. Je ne veux pas te voir.

-Tu m'en veux, c'est ça ?

Tandis qu'il commence à prendre une voix désespérée, je me lève à une vitesse qui me donne le tournis et mets un minimum d'ordre dans mes cheveux.

-Je ne peux pas te voir, je rectifie.

Je ne veux en aucun cas qu'il se sente responsable de mon malheur. Je devrai lui dire merci, tant son aide m'a été précieuse. Mais je ne veux pas le voir pour autant, c'est encore trop dur. Et puis c'est trop dangereux : cela fait une semaine que je n'ai pas interagis avec un autre être humain.

-Tu m'en veux, affirme-t-il.

Et j'entends sa tête se poser contre ma porte :

-Je comprends, poursuit-il, je n'ai pas respecté ta demande. Et j'imagine combien ça a dû être dur pour toi de voir Nell amoché ainsi, surtout par ma faute. Tu as dû avoir peur et... je suis désolé.

Il croit que j'étais inquiète pour Nell...

-Je n'ai pas été un bon ami sur ce coup-là et, si tu savais comme je m'en veux...

Je ne te demande pas d'être un bon ami. Je ne te demande même pas d'être un ami, en fait...

-Tu l'aimes...

Un peu moins de jour en jour...

-Tu m'as fait confiance, tu t'es ouverte à moi et... j'ai tout retourné contre toi, pour mon petit confort.

Il cogne légèrement sa tête contre la porte et souffle :

-Je t'aime, Fern. Je sais, ça fait encore une fois de moi un très mauvais ami, d'autant plus que je t'avais promis de te faciliter la tâche, mais...

Je ne veux pas que tu me facilites la tâche. J'ai besoin que tu me secoues, que tu me ramènes à la vie...

-Je ne peux pas me passer de toi. Ton rire me manque, ton souffle dans mon cou me manque, ta voix me manque. Ton amour, si pur et si beau me manque. Ta loyauté, ta force, ta dévotion me manquent. Et... tout. Tout, absolument tout, me manque chez toi.

Tu me manques aussi, Elik...

-Je te jure que j'ai essayé de m'écarter de toi, de passer à autre chose. Mais c'est toi que j'aime. Et je ne trouve personne qui te ressemble plus que toi-même. Je suis désolé, s'excuse-t-il encore.

Je suis tellement désolée pour ce que je vais te faire...

-Alors oui, ça fait peu de temps que tu n'es plus avec Nell et je comprends que ça soit dur à accepter et tu as évidemment beaucoup de mal à l'oublier et... tu ne l'oublieras jamais entièrement. Je ne te demande même pas de l'oublier, en fait. J'ai juste besoin d'une toute petite partie de ton cœur. Je m'en contenterai.

Je ne peux pas faire de toi une Fern...

-Va-t'en.

J'hésite à le répéter, craignant qu'il n'ait pas entendu. Ma voix s'est affaiblie, étant donné que je n'ai pas ouvert la bouche depuis une semaine. Mais le voilà qui se cogne à nouveau la tête, après un long silence :

-Je ne peux pas, me vole-t-il ma phrase.

Si je le laisse entrer dans ma vie maintenant, il aura dans mon cœur la même place que celle que j'avais dans celui de Nell. C'est-à-dire très peu. Et je sais combien ça peut faire mal de se sentir si « peu » pour une personne, surtout quand on l'aime aussi fort. Si je le laisse entrer dans ma vie maintenant, je poursuivrai cette boucle infernale, je lui ferais du mal. Ça reviendrait à profiter de lui, à défaut de ne pas avoir Nell. Et je connais cette position pour savoir à quel point ça peut être rabaissant.

-Va-t'en, je reprends.

Je ne peux pas le faire entrer et tout oublier dans la foulée. Dans la vraie vie, ça ne marche pas aussi facilement. Dans la vraie vie, on souffre et on a besoin de temps pour oublier une personne avec qui on pensait construire notre futur.

-Fern...

Je ne réponds rien, attendant simplement qu'il s'en aille. C'est sûrement lâche de ma part, mais il est hors de question que je me transforme en Nell.

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