Chapitre 7

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FYNN

Ce sont des sirènes qui me réveil, le lendemain matin, ou peut-être que c'est encore la nuit noire. Mais des ambulances se rassemblent devant la maison d'en face, chez Thaïs. Les pompiers, puis le SAMU ne tarde pas non plus. Je regarde ce défilé de voitures et de camions depuis ma fenêtre, prêt à voir la police embarquer Thaïs, parce qu'ils ont enfin découverts qu'elle se procurait de la drogue, ou tout autre substance illicite. Je dis ça en rigolant bien-sûr, mais ça ne m'étonnerait même plus. Thaïs serait prête à tout tenter pour garder sa précieuse popularité.

-Fynn, chéri, crie ma mère depuis les fins fonds de la maison, c'est Thaïs !

Je ne comprends ni pourquoi elle s'affole ainsi, ni pourquoi elle me mêle à cela. Ça fait des années que j'essaie de lui faire comprendre que non, « Thaïs et moi, nous ne représentons pas le cliché des deux voisins qui tombent amoureux dès leur plus jeune âge. On est très loin du coup de foudre, maman... » Si seulement les parents pouvaient simplement se contenter de ça parfois, ça serait un monde bien meilleur. Mais non, ils continuent d'insister, persuadés qu'on a toujours un truc à cacher. Comme si on avait le temps de jouer à Secret Story.

-M'en fiche, je dors !

Evidemment que je suis réveillé, si je prends le temps de lui répondre en hurlant. Mais je n'ai aucune envie de quitter ma fenêtre et le vacarme qu'il se trame dehors. J'entends les pompiers hurler :

-Faut l'évacuer en vitesse !

Puis bientôt d'autres voix annoncent :

-Elle change de couleur à vue d'œil ! Ses paumons se sont remplis d'eau.

Puis plus rien. C'est le silence le plus pesant auquel j'ai eu affaire, en 17ans d'existence. Encore plus gênant encore que quand un prof fait une blague, qu'un adulte parle en verlan ou que quelqu'un fait le dab. La nature-même semble s'être tue. Le soleil cesse de se lever, les oiseaux de piailler et la brise se calme enfin, laissant place à une chaleur étouffante. 

Et enfin, j'entends de nouveau : les parents de Thaïs sortent en courants derrière un brancard, d'une même voix paniquée ils ne cessent de demander ce qu'il se passe au juste, merde. Ils sont démunis et personne ne prend la peine de leur répondre. Pire encore, on leur barre le passage, leur intimant de s'écarter afin de laisser « la blessée respirer », bien qu'elle n'en a plus aucun moyen, d'après ce que j'ai entendu plus tôt. Thaïs est en train de mourir, sans raison apparente. Son cœur va cesser de battre, alors qu'elle avait la vie devant elle.

Je n'ai pas le temps de réfléchir plus à cette option, ni à ce qu'elle provoque en moi, que ma mère débarque comme une furie dans ma chambre, ouvrant la porte en grand et criant :

-Fynn Jason Tracy !

Alors là, je suis mal, très, très mal. Je vais mourir aujourd'hui, moi aussi. On se rejoint vite Thaïs ! Quand ma mère m'appelle par mon nom entier, ça ne présage jamais, JAMAIS, rien de bon.

-Sors de cette chambre, on va à l'hôpital.

-Quoi ?!

-La fille des voisins..., commence-t-elle.

Elle ne l'appelle même plus par son prénom, comme si elle était déjà morte et qu'il fallait déjà commencer à faire son deuil, à oublier jusqu'à son nom.

-... on est en train de l'amener à l'hosto. Elle s'est réveillée en hurlant à la mort, d'après ses parents. Elle ne pouvait plus respirer, elle a perdue connaissance avant l'arrivée des secours.

-Et donc... ? je demande, un peu perdu, ne comprenant pas encore tout à fait ce qu'il se passe.

Ça n'arrive que dans les films, ce genre de chose. Les gens ne sont pas censés mourir comme ça, du jour au lendemain dans la vraie vie, n'est-ce pas ? La vie ne peut pas nous lâcher si facilement, comme si on ne représentait soudain plus qu'un poids, inutile et trop lourd à porter. Thaïs est pleine de vie. C'est peut-être une garce égoïste, dotée d'un ego surdimensionné, mais elle est bel et bien vivante. Pas forcément de la meilleure des manières, mais sa vie est aussi précieuse qu'une autre.

-Non..., je m'entends souffler, non, non, non.

Après, je ne sais plus trop qui je suis, je ne me reconnais plus. Mais je me mets à arpenter ma chambre, faisant les cents pas en désespoir de cause. Je pense à Thaïs plus jeune, son pouce à la bouche, puis Thaïs aujourd'hui, un sourire fier toujours fourré à ses lèvres pulpeuses... Je pense ensuite à moi, à nous, à tout ce qu'on a pu vivre ensemble. Nos crasses, nos regards noirs, ce qu'elle m'a balancée d'affreux, puis ce que je lui ai craché en retour. On est ennemis. C'est clair depuis nos sept ans, c'est ancré dans nos meurs : nous deux, on n'est pas compatibles. Alors pourquoi l'idée-même de sa mort, me met-elle dans cet état-là ?

La main de ma mère se pose finalement sur mon épaule, quand elle me murmure en retour, arrêtant de crier :

-Elle va vivre, Fynn. Je te le jure de toute mon âme : elle vivra. Et ne remets jamais en question la promesse d'une mère. Quoiqu'il advienne, mon ange, elle nous reviendra bien vivante et tu sais pourquoi ?

Je lui lance un regard effaré, genre : « on est vraiment en train d'avoir cette discussion, t'es vraiment en train de me consoler à propos de Thaïs là ? »

-Tu sais pourquoi ? demande-t-elle encore.

Je secoue la tête, ne pouvant plus prononcer un mot :

-Parce qu'elle n'a pas fini de s'engueuler avec toi. Et quand enfin elle aura fini, elle n'aura toujours pas fini de t'apprécier... tu vois ? Ça en fait des choses à faire, avant de pouvoir enfin mourir.

Mon père nous rejoint et nous trouve : moi en larmes, dans les bras de ma mère. Je sens sa présence dans mon dos et j'imagine d'ici sa tête de quand il est pris au dépourvu.

-Elle est en soin intensif, annonce-t-il. L'ambulance a bien fait son job, elle est donc arrivée à temps à l'hôpital. On n'en sait pas plus, mais pour l'instant elle est encore inconsciente, mais vivante.

Il me jette un regard, s'approche lentement pour me caresser la joue et ajouter :

-Elle respire, Fynn. Et tu devrais en faire autant...

Je ne m'étais même pas rendu compte que pendant tout ce temps, je retenais ma respiration avec Thaïs. « J'ai gagné, tu as repris ton souffle la première », lui dis-je par la simple force de mes pensées. Comme si tout cela n'était qu'un triste jeu, demain retour à la case départ...

We start againWhere stories live. Discover now