Chapitre 49

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ELIK

Je n'ai absolument aucun contrôle sur mon propre corps, sur mes émotions et mes gestes. Je ne suis plus qu'un pauvre pantin, à l'image de ce que Fern a fait de moi. C'est cruel de l'accuser, j'en ai bien conscience mais je n'en peux plus. On a dépassé ma limite. J'ai envie d'elle comme personne ne pourra jamais en avoir envie, pas même son copain et elle ne cesse de me rejeter. C'est frustrant de l'avoir si proche de moi, chaque jour de mon existence. Je ne peux plus continuer ainsi.

Tandis que je soulage ma vessie dans les toilettes de la première aire d'autoroute trouvée, je réfléchis à comment est-ce que je vais me sortir de ce merdier. Je m'en rends bien compte maintenant : j'insiste depuis bien trop longtemps, je la pousse à bout... Cette situation devient invivable pour elle comme pour moi. Ça doit cesser.

-J'imagine que tu as tes raisons pour parler seul tout en te tripotant la teub.

Je manque de me pisser dessus, sursautant au son de cette voix dans mon dos. Je termine mes affaires avant de faire face à Fynn, les mains sur les hanches, attendant patiemment que je libère la place :

-Fynn ? je demande, confus.

C'est évident que c'est lui ! Comme cette question est idiote, je passe à la suivante sans attendre de réponse :

-Tu me veux quoi ?

Je ne sais pas pourquoi je l'agresse directement mais tout me saoule en cet instant. Fern, cette aire de repos, Fynn, cette tournée et la vie en générale : ras le cul. Je suis le premier étonné par tant de pensées noires mais impossible de les retirer, elles sont encrées en moi. Je suis entré dans un cercle infini d'incompréhension :

-Je t'ai vu rembarrer Fern et... partir à toute vitesse. J'avais peur que tu ne fasses quelque chose d'idiot.

-Eh bien, si pisser ne rentre pas dans ta catégorie de « choses idiotes », tout va bien. Tu vois.

-Non. Tout ne va pas bien, tu vois.

Il m'observe un instant, comme s'il cherchait à comprendre à quel point tout n'allait pas puis, il part en un coup de vent. Comme s'il n'avait rien dit et que jamais, il n'avait passé cette porte. Je pousse un profond soupir. Cette situation est vraiment merdique : je fais fuir Fern et maintenant mon meilleur ami. A croire qu'on ne peut plus rien pour moi, que ça ne vaut même pas la peine de se pencher sur le sujet. Peut-être que je les ai trop habitués à tout garder pour moi...

Je reprends mon chemin et me décide finalement pour l'arrière du pick-up : hors de question que je reprenne le volant avec Fern à mes côtés. Fynn a l'air heureux de ce choix et en profite pour passer à l'avant, loin de Thaïs.

-Nul, hein ? me questionne direct Thaïs, sans me laisser le temps de m'installer. C'est toujours les trous du cul qui finissent à l'arrière de la scène et les méchants meurent tous à la fin des films.

-J'imagine qu'on récolte ce que l'on sème ou un truc dans le genre. Le karma, tu connais ?

Comme je n'ai pas le cœur à suivre ce genre de conversation déprimante, je place mon casque sur mes oreilles et m'enferme dans ma bulle, carnet en main. Ça fait une semaine que les pages restent blanches, je n'arrive plus à écrire. Il va bientôt falloir s'en inquiéter, quand le groupe n'aura plus aucune nouveauté à présenter au public. Je souffle de nouveau et referme finalement le carnet : c'est peine perdue. Il faut se sentir mal pour écrire, quand on va bien, on ne pense pas à écrire. On pense à rire, à aimer, à vivre. On n'a plus de temps à accorder à l'écriture. Peut-être que le bonheur ne s'écrit pas, peut-être qu'il est indescriptible.

Je sens qu'on soulève mon casque alors je relève les yeux vers une Thaïs plus inquiète que jamais :

-Quoi ? je l'agresse elle aussi.

-Calme, répond-t-elle froidement, fidèle à elle-même. Je voulais simplement t'aider à écrire. Je t'observe tu sais et ça me fait de la peine de te voir ainsi démuni face à ces pages recouvertes de vide. Ça fait des jours que ça dure.

J'ignorais qu'elle était capable de porter autant d'attention à quelqu'un d'autre qu'à sa propre personne :

-Je n'ai pas besoin d'aide.

-Non. Tu as besoin d'une bonne grosse rupture amoureuse ou d'une trahison ou... d'un deuil. Tu as besoin de chagrin, de colère, de questionnements. Pas de cette incompréhension, de ce gros vide dans ton cœur. T'as besoin...

Elle a l'air de savoir de quoi elle parle. Je n'arrive pas à la contredire.

-T'as besoin qu'on te secoue. T'as besoin de changer ton quotidien, de vivre de nouvelles choses. Cette tranquillité, ce n'est pas pour toi...

-Ça sent le vécu, je murmure en levant les yeux au ciel.

-On se ressemble bien plus que tu ne le crois, Elik...

Je note qu'elle ne m'a pas appelé Raiponce. Cette discussion devient bien trop sérieuse alors je la taquine un peu :

-Je croyais que c'était Fynn ta proie.

Elle me donne un coup de poing dans l'épaule, tout en rigolant. Je crois bien que c'est la première fois que je l'entends rire.

-Ce que je veux dire, s'explique-t-elle, c'est que, moi aussi, je suis partie de chez moi. Moi aussi, je me suis lancée dans cette tournée tête baissée. Moi aussi, j'ai ressentis ce besoin de voir ailleurs...

Je n'ai pas besoin de lui demander qu'est-ce que cette tournée a à voir dans l'histoire. Je le sais déjà : elle est le commençant de tout.

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