Chapitre 4

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FERN

Je regarde Thaïs quitter la salle à toute vitesse, exaspérée. C'était une réaction hautement exagérée, d'une fille pourrie gâtée. Ça ne devrait même plus me surprendre venant d'elle. Mais ce cours n'en finit plus et il faut que je trouve de quoi occuper mon esprit, je ne peux pas me permettre de penser à lui...

Alors je détourne le regard vers ma bande d'amis. Fynn et les autres ont toujours représentés une sorte d'échappatoire à Nell. Mais ces derniers temps, plutôt que de me le faire oublier, ils ne demandent qu'à en discuter, à me faire la morale. C'est pesant. J'ai envie de me cacher dans un coin, loin, très loin d'ici. J'ai l'impression de fuir constamment mes problèmes, c'est effrayant.

-Tu te sens bien ? me demande Hailey à mes côtés, alors que la sonnerie retentie.

Sauvée par le gong, je rassemble mes affaires à une vitesse que je ne me connaissais pas et quitte la salle presque en courant. Je suis les traces de Thaïs un peu plus tôt. Je n'aurais jamais cru dire ça un jour, mais là, tout de suite : je la comprends. Peut-être qu'elle avait elle aussi une bonne raison de fuir ? Je n'aime pas l'idée de juger les gens à la première impression qu'ils laissent d'eux. On a tous quelque chose à cacher.

-Oh là, tout doux..., s'écrie une voix masculine que je bouscule dans mon élan, en plein milieu du couloir.

Quand je relève la tête, d'une lenteur déconcertante, je sais à l'avance sur qui je vais tomber. Et je ne veux pas. Tout en le voulant de tout mon cœur. Il est toujours là, j'aurais dû le prévoir, m'y attendre. Il sort toujours de ses cours avant tout le monde, afin de m'attendre devant ma classe. Il me tient la main quand il est de bonne humeur. Parfois, il m'ouvre même les portes, pour me laisser passer avant lui. C'est exaspérant. Parce qu'à côté de ça, il est aussi capable de ne plus me parler pendant des mois, de coller toutes les autres filles qu'il croise, de raconter à tout le monde nos ébats...

-Nell, je souffle.

-Tu ne devrais pas courir ainsi, c'est mauvais pour toi.

-Je...hum...désolé.

Puis je baisse la tête. La technique de l'autruche, je m'y connais à force, c'est devenu une de mes plus grosses habitudes. Je me renferme sur moi-même et, le pire, c'est que j'en ai pleinement conscience, mais j'attends peut-être de voir jusqu'à où je peux aller. Peut-être que j'essaie simplement de franchir la limite, afin d'être enfin complètement délivrer ?

-Je pense aller manger avec des potes ce midi, m'apprend Nell.

Puis il continu à parler de lui, tout en m'accompagnant à mon prochain cours, ne me laissant jamais en placer une. Le seul moment où on parle de moi, c'est quand il dit :

-L'empêche, ils ne te laissent pas t'épanouir dans ce groupe.

Et encore, il parle surtout de Fynn et Elik. Laissant bien évidemment Hailey en dehors de ça, peut-être est-elle trop grosse pour lui.

-Je crois que je pourrais t'apprendre à jouer de la guitare, histoire que tu t'imposes un peu.

-On a déjà un guitariste, je lui rappelle une fois de plus.

-Et alors ! Un tas de groupes possèdent plus d'un guitariste.

Ce n'est pas moi tout ça, aimerai-je lui dire. J'aimerai simplement passer à autre chose. Autre preuve que je fuis mes problèmes. Je préfère éviter le sujet, plutôt que de lui faire comprendre, que non, ce n'est décidément pas mon truc le devant de la scène. J'aime ma fonction dans ce groupe, j'aime le fait d'organiser des petits concerts, de les filmer pour poster le tout sur YouTube... j'aime être derrière les projecteurs, guidant la lumière.

On finit par arriver devant mon cours de sciences. Et je déprime déjà, rien qu'à l'idée de voir notre vieux prof et Fynn aux côtés de Thaïs. Ces deux-là ne s'entendent jamais. Je n'ai pas souvenir d'un seul cours de sciences sans qu'ils s'engueulent.

-Bon, dit Nell, tripotant nonchalamment ses cheveux blonds. Je te laisse, salut.

Puis il disparaît dans la foule, tel un songe. Comme si j'avais imaginé toute notre discussion et notre marche jusqu'ici. Il ne me laisse jamais le temps de réfléchir. Dès que je commence à me dire qu'il n'est qu'un pauvre type et que je devrai lâcher l'affaire, il réapparaît dans ma vie. Dès que je commence à apprécier sa présence, il disparaît. C'est un cercle vicieux, et je m'enfonce chaque jour un peu plus. Et je me déteste chaque jour un peu plus. Je m'en veux d'être aussi faible, plutôt que de lui en vouloir à lui d'être aussi con.

Je souffle et m'apprête à toquer, prête à m'excuser pour mon retard, quand une voix derrière moi m'en empêche :

-Tu savais que Fynn en pince pour toi ?

Je me retourne, surprise. C'est Thaïs.

-Q-Quoi ? Pas du tout !

Elle s'avance, sa démarche nonchalante me rappelant cruellement Nell. Ils sont du même univers tous les deux : ce sont des personnes nées pour nous manipuler et nous rabaisser toujours plus encore. Elle cherche peut-être à enfoncer le clou, suite au passage de Nell. Elle va en rajouter une couche, je le sens. J'en suis certaine, quand elle arrive à quelques centimètres de moi, pour me souffler :

-Je déteste ce regard affecté qu'il pose sur toi. Comme si tu t'éloignais toujours plus et que la partie était perdue d'avance.

Je ne comprends pas vraiment pourquoi elle me parle de Fynn, dans un premier temps. Ni en quoi ça la regarde. Fynn me regarde toujours ainsi, quand il sent que je vais retomber dans les bras de Nell, j'imagine d'ici son regard. Ce n'est pas la première fois. Mais j'imagine que Thaïs n'y avait pas prêté attention avant aujourd'hui, trop occupée par ses affaires de starlette.

-En quoi cela te regarde ? j'arrive à demander.

Elle rigole pendant des longues secondes, l'air totalement décontractée. Comme si la réponse était évidente.

-Chérie, lâche-t-elle finalement, c'est moi qui dirige ici. Tu devrais le savoir depuis le temps. Mets les choses au clair avec Fynn, fais-en sorte qu'il me regarde à nouveau.

Alors c'est ça, la petite princesse se sent en pleine concurrence. Ce n'est qu'une histoire de chasse gardée. Quoique tout le monde lui appartient ici. Mais il y a toujours eu plus avec Fynn, sans que ça n'aille jamais se concrétiser. C'est fatiguant. Si seulement ils pouvaient simplement régler leur diffèrent et ne pas me mettre en plein milieu !

-J'espère que j'ai été assez clair, continue-t-elle. Je vais rentrer maintenant, mais ne t'avise plus de jouer à ça, Fern. T'es loin de m'arriver à la cheville et Fynn s'en rendra compte bien assez tôt.

Mais quelle peste ! me dis-je quand elle referme la porte derrière elle. Je prends quelques secondes pour reprendre mes esprits. Elle cherche simplement à m'intimider. Sur un truc qu'elle n'a même pas compris. Il n'y a jamais rien eu entre Fynn et moi, qu'elle se le garde ! Je souffle un bon coup avant de rentrer à mon tour. Je dois penser à autre chose que Nell, tout en oubliant cette discussion également. Ça fait beaucoup de chose à mettre de côté, pour une si petite tête...

We start againOù les histoires vivent. Découvrez maintenant