Chapitre 11

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FYNN

Les semaines qui suivent le retour de Thaïs au lycée sont affreuses. Elle passe beaucoup plus de temps qu'avant en compagnie de mecs ultra musclés, comme si elle voulait se cacher derrière et se faire oublier. Elle ne vient ni en cours de maths, ni en sciences. Elle parle fort, comme si elle s'apprêtait à mourir dans la seconde et qu'il fallait absolument qu'on entende ses derniers mots. Elle ne fait plus ses devoirs, est complètement sur la lune durant les cours et quand vient l'heure de manger, je la voit quitter le lycée avec son groupe de populaires. Et le soir, quand enfin je rentre chez moi et que je crois pouvoir l'observer de loin, depuis ma fenêtre comme avant, elle ferme ses rideaux. Elle savait durant toutes ces années que je me cachais dans son ombre et, aujourd'hui, elle me le renvoie en pleine face. Je ne sais pas ce que j'ai fait pour mériter un tel silence, mais c'est insoutenable.

Comme si Thaïs ne représentait pas un assez gros problème, Fern nous annonce un matin qu'un producteur nous a repéré grâce à YouTube et aimerait nous écouter jouer, dans son studio. Elle nous donne les détails en tant que manager du groupe, mais je suis tellement perdu dans mes pensées que je n'en écoute que la moitié. J'entends que c'est une opportunité immense, que si ce fameux producteur aime notre musique, on a des chances pour faire la première partie d'une tournée. Mais je n'entends pas de quel chanteur, ni où et quand. Et je n'ai aucune envie de partir en tournée. Loin de Thaïs...

-Eh oh, Roméo, me lance Elik, c'est ici que ça se passe.

On est au sous-sol, comme chaque soir après notre dernière heure de cours. Ça fait plus d'un quart d'heure que je fixe le mur, tandis qu'ils discutent justement du producteur.

-Tu n'as pas l'air en état ces derniers temps, souffle Hailey, c'était ton rêve à la base tout ça, non... ? Et là, quoi ? T'as enfin une chance de faire carrière et tu n'es pas là ?

-Si je peux me permettre, je réponds, c'était le rêve d'Elik.

-Et le tient ! s'exclame Elik surprit.

-Tu ne m'as pas franchement demandé mon avis, je raille.

C'est stupide, évidemment que ce groupe c'est toute ma vie et que c'est une grande passion. Mais j'ai trop de fierté pour avouer que j'ai mon ennemie dans la tête, plutôt que des chansons.

-Tu insinues que depuis le début tu fais tout ça par la force des choses ? demande tout doucement Fern.

-Non, je...

-Si tu te sens obligé, qu'on t'emmerde ou je ne sais quelle autre connerie, grogne Elik, la porte est grande ouverte, mon pote !

C'est bien la première que je déteste l'entendre m'appeler ainsi.

-Je vous adore et tu le sais très bien, je souffle d'exaspération, seulement une tournée... on n'a même pas fini le lycée, on va perdre une année.

-Comme si tes résultats scolaires t'importaient tant, dit Fern en levant les yeux au ciel.

C'est la plus intelligente de nous quatre et aussi la plus jeune. Là où Elik a redoublé, elle, elle a sauté une classe. Ses notes font la fierté de ses parents et attises la jalousie de sa sœur. Elle nous confie souvent avoir peur que ça ne déraille avec cette dernière, juste pour une histoire de moyenne. C'est une guerre permanente et elle en est lassée. Elle ne veut blesser personne, elle a simplement des facilités naturelles et elle a raison de s'en servir. Sa sœur est douée elle aussi, mais pour des choses que la société et ses parents ne jugent pas intelligibles. Comme l'art. C'est une artiste.

-Avoue que c'est la santé de Thaïs qui te fais rester...

-Je n'avoue rien du tout, il n'y a rien à avouer. Je suis trop jeune pour partir en tournée, et puis de toute façon mes parents ne voudront jamais.

J'espère qu'ils ne sont pas d'accord une seule seconde avec cette idée, mais ça m'étonnerais. Les parents sont forts pour ce genre de choses : ne jamais être d'accord avec nous. Quand on veut plus que tout bouger, c'est non. Mais quand on ne demande qu'à rester, ils nous poussent presque dehors.

-Bon sang, Fynn ! s'énerve le guitariste, c'est notre chance. Tu vas nous dire qu'on a bossé pour rien, qu'on a fait tout ce chemin pour finalement faire du sur-place ?

-Oui...

-Tu sais tout aussi bien que moi qu'on ne pourra pas rester éternellement dans ce sous-sol. On n'a même pas la permission, chaque matin et chaque soir on risque l'exclusion en se rendant ici. Fynn...

-Je ne peux pas...

Je baisse les yeux. J'étais loin de m'imaginer un jour dire ces quatre mots, pourtant ils sont bien là. Je ne peux pas. Tout comme j'avais peur de quitter ma chambre avant de rencontrer Thaïs, j'ai peur de sortir de cette ville sans elle. C'est dingue à quel point on peut s'attacher à une ennemie... ou à quel point on peut se faire croire que c'est notre ennemie. Je ne sais plus.

-On aura qu'à l'emmener avec nous le moment venu, dit Fern dans un coin de la pièce.

Sa voix est si faible, si peu assurée depuis qu'elle sort avec Nell. Elle a besoin de voir autre chose que ce lycée, que ce mec... je ne peux pas la retenir ici. Mais je prends conscience de ce qu'elle vient de dire et explose de rire :

-Tu parles de Thaïs là ? Tu l'as bien regardée ? Tu l'as bien vu de tes yeux, non ? Comme tout le lycée : elle nous déteste. Surtout moi. Jamais elle ne nous suivrait. Et jamais ses parents n'accepteraient de laisser partir leur fille mourante.

-Elle...

-Fin de la discussion, j'assène, Elik s'il te plais, joue.

Il me fixe si longtemps que j'ai peur qu'il me gueule à nouveau que la porte est grande ouverte, mais il finit par prendre sa guitare d'un air déterminé. Il a toujours été à l'écoute des autres, prêt à faire ce qu'il faut pour aider. Mais je sais que ça me retombera dessus bien assez tôt et que la discussion est loin d'être finie.

We start againWhere stories live. Discover now