Chapitre 32

1.1K 134 25
                                    

FYNN

J'ai passé les dix dernières années de ma vie à observer Thaïs de loin. J'ai appris chacune de ses manies, de ses répliques... Je sais quand elle a faim d'un simple regard : elle se mordille les lèvres et sa respiration se coupe :

-Tu veux que je te commande quelque chose ? je demande en désignant le fast-food face au Casino.

Elle se détourne des machines bruyantes pour me jeter un regard surpris. Sa chevelure rose lui tombe dans les yeux et rebique sous ses oreilles. Elle a abandonnée l'idée de se maquiller aujourd'hui, en ayant sans doute marre de devoir tout refaire, à la moindre crise de panique que provoque son cancer.

-Tu as faim ? me questionne-t-elle en retour.

-Pas vraiment, mais toi, oui. Je me trompe ?

Elle baisse le regard sur ses chaussures. Ça ne lui ressemble pas de détourner le regard. Depuis petite, Thaïs se bat pour être à la hauteur, afin de ne jamais montrer le moindre signe de faiblesse. Elle n'aime pas perdre et là, c'est sa vie qu'elle perd petit à petit.

Elle hoche lentement la tête, tout en récupérant quelques pièces dans la machine. Quand je pars, elle me suit. C'est nouveau ça.

                               ***

Quand on en a enfin fini de nos hamburgers, je regarde longuement Thaïs, mais elle ne le remarque pas, perdue dans ses pensées. Parfois, j'aimerais pouvoir savoir à quoi elle pense d'un simple regard, comme j'y arrive si bien avec Hailey ou encore Fern. Mais elle, elle ressemble plus à Elik. Elle est inaccessible, mystérieuse et malheureuse comme jamais personne ne l'a été. Quand je souffle finalement d'exaspération, elle redresse la tête et me demande :

-Tu crois qu'il y a quoi après la mort, toi ?

Question strictement imprévisible, évidemment à son image. Mais cette fois, c'est différent des autres fois. Elle ne me semble pas moqueuse, elle se soucie vraiment de ma réponse. Je réfléchis alors, avant de dire la bêtise du siècle :

-Je n'y ai jamais vraiment pensé. Je pense qu'on peut se faire un tas d'idées et qu'on finira tout de même déçu et mort à la fin.

-Tu es très pessimiste, dit-elle alors, après réflexion.

Je hausse les épaules. Je n'ai jamais été d'un optimisme débordant, mais avant d'apprendre la maladie de Thaïs, j'avais tout de même espoir en la vie. Plus maintenant...

-Je pense, moi, qu'on doit se racheter.

-Se racheter ?

-Oui. Je ne crois pas en un Dieu, mais une créature bien loin d'être parfaite. Je crois en cette créature qui me demandera tout ce que j'ai fait de mal au cours de ma vie et qui saura si je mens.

-Et quel est le principe ?

-Le principe, Fynn, c'est de voir si tu choisis de continuer ou non à être mauvais dans ta mort.

Elle s'essuie les mains dans sa serviette, avec un sourire au coin des lèvres :

-J'ai tellement retourner la question dans ma tête depuis cette fameuse nuit...

Petit regard dans ma direction, avant d'ajouter :

-Et je crois que, de mon côté, ça sera plus fort que moi de faire une mauvaise blague à la créature.

Je la regarde, incrédule :

-Tu n'es pas une mauvaise personne, Thaïs.

-Si Fynn, j'ai passé les premières années de ma vie à faire la peste et toi-même tu en as payé les fraies. Tu sais bien de quoi je veux parler.

We start againWhere stories live. Discover now