Chapitre 84

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THAÏS

-Ce n'est pas lui que vous voyez dans ce cercueil, je murmure dans le micro, d'une voix incertaine.

Nous y voilà. Le discours. Les hommages à Fynn. La foule face à moi. Et son corps qui repose dans un coin.

-Fynn n'était pas du genre à beaucoup dormir, en fait, il se levait chaque matin pour observer le lever du soleil. Fynn n'était pas du genre impassible non plus, il souriait toujours, il riait toujours. Même quand il a apprit pour mon cancer, il n'a jamais montré un seul signe de faiblesse face à moi. Fynn n'était pas du genre...

J'entends certaines personnes pleurer et en voient d'autres sourires à ces souvenirs. J'observe Fynn du coin de l'œil et me félicite d'arriver à retenir mes larmes. Ce serait un discours vraiment gênant sinon.

-Fynn n'était même pas du genre à croire à la mort. C'est vrai ! Même quand il me voyait dans un lit d'hôpital, il était tout sourire. Même quand je faisais une crise devant lui à cause de mon fichu cancer, il me rassurait. Selon lui, on ne pouvait pas mourir aussi soudainement, sans avoir rempli toutes nos tâches sur cette Terre.

J'ai un petit rire sarcastique en continuant :

-L'ironie du sort étant bien sûr qu'il est mort, lui, et non pas moi. Je devais mourir la première et c'est lui qui aurait dû se retrouver face à vous.

Je me sens pathétique à parler de ma mort ainsi, comme si ça n'avait plus aucune importance que je sois en vie. Je sais que Fynn n'aurait pas voulu ça.

-Lui qui pensait qu'on ne pouvait pas mourir sans avoir rempli toutes nos tâches... il s'est cruellement trompé.

Je jette un coup d'œil à sa bande de potes et poursuit :

-Il devait continuer le lycée et obtenir son bac, il devait passer son code et obtenir son permis, il devait emménager avec moi et me faire des enfants. Il devait me prouver que ouais, je pouvais encore vivre longtemps.

Je ne sais plus où est-ce que je trouve la force de poursuivre, mais me voilà qui souffle :

-Il devait m'embrasser encore un million de fois et me dire combien je suis belle avec ces étoiles dans les yeux. Il devait m'aider à reprendre confiance en moi, à arrêter de cacher la vraie moi, à laisser tomber le masque. Il devait déposer des fleurs chaque dimanche sur la tombe de ses parents et parler de moi à ses petits-enfants.

Une larme solitaire finit malgré tout par s'échapper alors que je m'embrouille toute seule :

-Il devait payer une blinde pour les réparations de sa voiture et pleurer en voyant son compte en banque dans le négatif au milieu du mois. Il devait galérer à payer toutes ses dettes et se battre pour sa famille.

Je lève les bras au ciel et annonce :

-Vous voyez ? Je pourrais continuer encore longtemps ainsi. Il avait toute une vie devant lui et tant de devoirs en remplir. En échange de ça, il laisse un énorme vide.

Après une légère inspiration, je trouve la force de poursuivre :

-Jamais sa future femme ne trouvera son âme-sœur, jamais ses enfants ne verront le jour, jamais la petite voiture rouge au fond d'un vieux jardin ne se retrouvera entre ses mains. Jamais ce SDF n'aura la chance de voir son sourire, jamais...

Je ne suis plus qu'un amas de larmes quand je tente tant bien que mal de finir et de trouver une conclusion à tout ce charabia :

-Je ne me suis jamais sentie aussi vivante que quand il me regardait, me souriait, me touchait. Et je plains toutes ces personnes qui n'auront jamais la chance de le connaitre... de connaitre cette sensation.

Je baisse le regard devant toutes ses mines peinées. Chaque tristesse en son temps :

-Jamais... jamais personne ne pourra vous faire sentir si beau, si intéressant, si vivant que lui. Il avait ce pouvoir sur les gens. Il se « brûlait un peu lui-même pour donner de la lumière aux autres ». Et...

Je sens la main d'Elik se poser sur mon épaule et j'entends sa voix dans mon oreille me dire :

-Ça ira comme ça, Princesse.

Mais je ne l'écoute pas et le repousse avec rage :

-Non ça n'ira pas ! Vous ne comprenez pas que nous venons de perdre la seule personne capable de vivre réellement, sans mauvaise intention et sans hypocrisie.

Je chasse mes larmes avec hargne et crie presque :

-Il était tout pour moi. Tout ! Les poumons que je venais de perdre et la confiance que je n'avais jamais eu.

Je ne sais pas comment exprimer mes émotions parce que tout ce bouscule en moi, pourtant j'entends de nouveaux mots sortir de ma bouche :

-La vérité, c'est que je me sens perdue sans lui et... je ne sais plus ce que je dois faire maintenant. Je ne sais plus comment vivre, comment affronter ma mort. Et j'ai si peur de me fracasser à nouveau sans son aide...

J'ai passé ma vie à mentir à tout le monde, à repousser toutes les personnes qui cherchaient à voir au-delà. Et pour une raison que j'ignore, Fynn, lui, a réussi à franchir cette barrière que j'imposais à tous. Et maintenant, retour à la case départ. Je vais de nouveau me retrouver enfermée dans cette bulle, éloignée du monde réel et plus peste que jamais. Je déteste cette garce égoïste et hypocrite que je suis loin de Fynn. Cette fille superficielle qui ne sourit jamais, ce n'est pas moi et pourtant, elle refait toujours surface d'une manière ou d'une autre.

-Désolée, dis-je en quittant la scène en pleure.

Désolée d'avance à toutes les personnes que je vais ignorer, rabaisser, utiliser... tout ça parce que ça m'aide à oublier mes soucis, parce que donner de la peine aux autres m'aide à me sentir moins seule dans ma propre peine. Désolée de ne pas être aussi confiante que Fynn et désolée de mourir en étant une sale garce. Je sais, c'était pourtant si bien partie...

We start againWhere stories live. Discover now