Chapitre 59

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FERN

Cela fait deux semaines que nous sommes rentrés à présent et rien n'a changé. Ça me tue de voir à quel point la distance ne m'a pas faite changer d'avis à propos de Nell, ça me tue de voir la bande se diriger vers le sous-sol sans moi, ça me tue de seulement penser à Nell et de ne plus avoir de place pour Elik.

-Tu rêvasses encore ? me demande justement Nell.

Son prof d'histoire étant absent, il m'a proposé de le retrouver devant le lycée. Il se fiche bien que je sois en train de sécher et que ça risque de me coûter trois semaines de grand ménage à la maison, avec la déception dans les yeux de ma mère en plus. Mais je n'avais pas vraiment le choix : si je ne faisais pas l'effort de le voir quand il le voulait, il ne le voudrait plus jamais.

-Depuis ton retour..., commence-t-il.

Mais je ne l'écoute déjà plus, parce que je connais la chanson à présent : « depuis ton retour, tu n'es plus la même », « tu passes ton temps à rêvasser, plutôt que me parler », « il s'est passé quelque chose que je dois savoir ? ». Et toujours ce même ton accusateur, qui me fait culpabiliser d'avoir ne serait-ce qu'osé regarder Elik.

-Tout va bien, je le coupe.

Il me lance un regard incrédule. Comme si le simple fait de lui couper la parole était déjà un gros changement, depuis ce fichu retour.

-Tu sais que tu peux tout me dire ? tente-t-il de m'amadouer.

Je ne suis pas dupe. Il se rapproche un peu et prend mes mains dans les siennes, comme pour prendre entièrement possession de moi :

-Je sais que je suis parfois dur mais... ne doute pas de mon amour, jamais. D'accord ?

Et le voilà qui me relâche déjà et commence à sortir une cigarette. Je crois que c'est à cause de cela que je l'aime encore, malgré tout : il se débrouille toujours pour me dire qu'il m'aime, qu'il ne veut pas me perdre... même s'il prouve tout le contraire. Avec ça, me voilà bien perdue. Je ne sais plus si je dois croire ses paroles ou ses actes, je ne sais plus si je dois l'aimer ou le détester.

-Es-tu heureuse avec moi, Fern ? poursuit-il.

Je ne comprends pas pourquoi il me pose autant de question, ni pourquoi il me fait ces déclarations. Il a l'air confus, comme s'il doutait soudainement de tout. Est-ce que je suis heureuse avec lui ? Il veut vraiment se lancer là-dedans ?

-Nell...

-Répond honnêtement, dit-il en portant la cigarette à ses lèvres.

Son regard me transperce, tandis que je repense aux paroles d'Elik : « Tu souffres de cette situation plus que quiconque et tu es la seule à pouvoir y faire quoique ce soit ». Il a raison et bordel, ce que ça peut m'énerver. Parce que c'est facile de passer à autre chose lorsque je ne vois pas Nell. Le véritable défi, c'est de le regarder dans les yeux et de me dire « ce n'est plus ce dont j'ai envie ». Mais jamais je ne penserais cela, parce qu'à chaque fois, il dit quelque chose qui me fait espérer un peu plus qu'il changera. Alors non, je ne suis pas heureuse, mais j'espère l'être un jour.

-J'aimerais l'être, j'avoue. Si je dois l'être un jour, je voudrai que ça soit avec toi.

Il a petit rire abattu, comme s'il s'en voulait.

-Je vais faire des efforts, affirme-t-il. Je...

J'ai tant de fois entendu ce début de phrase, qui finit toujours à peu près en « j'arrêterais d'aller voir les autres filles, je ne fumerais plus, je ne boirais plus, je ne... ». Et blablabla. Il ne se doute pas une seule seconde que ce n'est pas cela qui me dérange chez lui. Je me fiche qu'il boive ou qu'il fume : il profite simplement de son adolescence. Tout ce que je lui demande, c'est de l'attention. Mais c'est peut-être trop...

-Nell, non...

-Je te promets que...

Là aussi, je la connais la suite. Je suis tellement habituée à toutes ces paroles en l'air. Pourquoi promettre alors qu'on sait déjà, en le disant, qu'on ne tiendra jamais cette promesse ?

-Nell, dis-je sur un ton sec cette fois.

Il relève la tête et je comprends que j'ai son entière attention et que je ne peux pas me permettre de la manquer :

-Arrête de parler.

Il a l'air à deux doigts de m'insulter alors je m'avance doucement vers lui et embrasse sa joue. Je souffle à son oreille :

-Je sais déjà tout ça, j'affirme, tu ne crois pas qu'on en a déjà assez discuté ?

Il est le premier surpris par mon aplomb.

-Je ne veux pas de tes paroles. Je veux de tes baisers, de tes câlins, de ton amour et de tes actes.

Il hoche la tête, comme pour dire qu'il comprend. Mais je sais très bien qu'il ne comprend pas, que je perds mon temps. Pourtant, l'espoir me fait poursuivre :

-Je ne te demande pas d'être parfait. Je te demande d'être assez bien. Assez bien pour ne pas me faire pleurer tous les soirs, assez bien pour ne pas me faire culpabiliser sans cesse, assez bien pour me donner confiance en moi, assez bien pour me faire sentir que tu es mon petit ami et non mon bourreau.

Il lâche sa clope pour prendre mon visage entre ses deux mains et m'embrasser d'une telle douceur que j'en tomberai presque. Ça, c'est nouveau. Ça, c'est le genre de chose qui me fait foutrement espérer.

-Je te promets..., commence-t-il.

Mais comme je secoue vivement la tête, il se marre et reprend :

-Bon ok : plus de promesses. Je serai « assez bien », sans faute.

Et je ne peux m'empêcher de penser, comme chaque fois : « Je l'espère, Nell. J'espère que tu seras assez bien pour me redonner le sourire, pour me redonner confiance en toi et moi, pour me rendre cette relation qui n'était pas si mal au début. J'espère sincèrement que rien n'est encore perdu ». Puis je m'insulte de « pauvre conne » en le prenant dans mes bras.

We start againWhere stories live. Discover now