Chapitre 47

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FERN

On est tous les deux gênés, encore une fois. Comme à chaque fois qu'il y a un rapprochement entre nous, on ne peut s'empêcher d'agir comme deux inconnus par la suite. Comme si nous faisions quelque chose de mal. Peut-être que c'est réellement mal, d'ailleurs. Toujours est-il qu'Elik se concentre sur la route depuis une bonne demi-heure et qu'il n'a pas ouvert la bouche une seule fois. J'ai bien conscience que c'est à moi de lancer la conversation, de donner mon point de vue sur la situation... après tout, c'est de ma faute si on en est là : dans cette relation sans queue ni tête.

-C'était..., je commence.

-Tais-toi, je t'en prie, murmure Elik.

Et me voilà qui lui obéis sur le champ parce que c'est la première fois qu'il me parle ainsi et qu'après tout, je ne peux en vouloir qu'à moi-même.

-Ne gâche pas encore tout avec tes mots. Je commence à comprendre, poursuit-il. Si on ne parle pas, tu ne te sentiras plus obligée de me rappeler l'existence de Nell toutes les secondes.

-Non ! Je...

-Fern... ferme-là. Je ne pourrais pas le supporter.

Ses mains se serrent sur le volant, tandis que j'essaie de me rappeler comment on a pu en arriver là. Avant cette tournée, il n'y avait aucune arrière-pensée entre nous et Elik se contentait de me taquiner en tant qu'amie et de pleurer sur mon épaule quand il pensait à Sawla. Jamais, à cette période, je n'aurais pu imaginer me retrouver dans une telle passe avec lui. Et ce silence, devenant à chaque minute un peu plus pesant... :

-Je voulais simplement te remercier pour hier, je souffle, je ne crois pas l'avoir fait. Pourtant... je me suis bien amusée. Avec toi.

Tout est trop calme. L'autoroute, lui, le monde entier qui stoppe sa course infernale. Je le vois mettre son clignotant et bifurquer vers une aire de repos :

-Que... ?

-C'est trop compliqué de te taire, hein ? grogne-t-il en arrêtant le véhicule sur une place de parking.

Il ouvre sa portière avant de sortir du pick-up et de la claquer de toutes ses forces. J'en sursauterais presque, parcourue de frissons. J'ai tout détruit...

-Il est un peu ronchon ? me questionne Hailey qui m'a rejointe à l'avant, place conducteur.

-Pas plus que d'habitude, dis-je en haussant les épaules.

-Tu plaisantes ?! s'exclame-t-elle. Je l'ai toujours vu si patient...

Je baisse le regard et me triture les ongles quand Hailey me passe un bras autour des épaules :

-Allez... ça va aller.

-Evidemment que ça va aller, dis-je, ça va toujours à merveille entre nous. Mais je commence à comprendre que si ça va si bien habituellement, c'est grâce à Elik qui garde tout pour lui.

-Fern... te...

-Il ne peut pas ! Il ne peut pas tout garder en lui éternellement, tu vois ?

Elle se contente d'un hochement de tête, un peu tristounet :

-Et toi, tu ne peux pas te contenter de si peu...

Sur ce, elle tourne les talons, entrant dans la petite boutique de l'aire, à la suite d'Elik. Je pose ma tête sur le tableau de bord, grognant comme une forcenée. Elik ne peut pas me courir après indéfiniment, à quoi est-ce que je m'attendais au juste ? J'en veux à Nell, j'en veux à Hailey, à Elik et même à tout le reste de la bande. J'en veux à la Terre entière tient, je prendrais pour responsable toutes les personnes que je croiserais pendant le restant de ma vie. C'est cette même haine qui me pousse à sortir mon téléphone de ma poche et à l'allumer pour la première fois depuis des jours. C'est cette haine qui me fait composer le dernier numéro auquel j'aurais pu croire :

-Fern ? dit-il au bout du fil.

Il a l'air essoufflé, comme s'il venait de...

-Oh... je dérange, j'imagine ?

Ma voix se fait trop aiguë et je m'en veux instantanément de lui porter tant d'importance.

-Non... enfin... un peu. Je sors de la salle, je suis épuisé.

Un long silence s'en suit et je suppose que le problème vient de moi et non du reste du monde.

-Tu veux dire que... tu es seul ? je demande, pleine d'un espoir ridicule.

-Hum... j'allais rejoindre Sasha et Tina.

-Oh...

Il profite donc bien de mon absence alors, comme il me l'avait dit. Il met sa menace à exécution. J'essaie de me détendre en me disant que c'est tout ce qu'il cherche : me faire du mal. Me faire sortir de mes gonds.

-Tu n'as pas de cœur..., je me contente alors de murmurer.

Ce n'est rien. Il pourrait très bien ne pas l'attendre. Je l'ai soufflé, c'était à peine audible. Et puis, il fallait bien que ça sorte. Je n'appel pas pour rien, comme ça. J'essaie encore de me rassurer quand il reprend possession de la parole :

-Et pourtant... tu es un peu dedans.

-Nell...

-Fern. Ça commence à être long sans toi... rentre.

Soudain retour à la réalité. J'avais oublié à quel point il aime guider ma vie et mes choix. Pourquoi est-ce que j'ai eu ce vieux réflexe de l'appeler déjà ?

-Je ne peux pas... on en a déjà parlé.

-Tu ne m'en voudras donc pas d'essayer de faire passer mon manque de toi à l'aide de remèdes... extrêmes.

Ses remèdes étant des filles, ne l'oublions pas.

-Et si... et si moi je me rapproche disons de... d'un garçon ?

Grand silence. Grand moment de solitude. Je me dis qu'il prend le temps d'y réfléchir, qu'il essaie de se mettre à ma place. Après tout, si lui peut avoir toutes les filles, je peux bien en avoir un sans culpabiliser dès que je le regarde, non ?

-Fern, chérie... tu fais bien ce que tu veux.

Je ne me rendais pas compte que je retenais ma respiration avant de pousser ce long soupir de soulagement. Mais très vite, il reprend ses mots :

-Mais ne vient pas pleurer quand je te quitterais, dégoûté de la grosse salope que tu seras devenue.

Choquée qu'il parle ainsi, une larme silencieuse se fraie un chemin et glisse le long de ma joue quand il poursuit :

-Personne ne te touche sauf moi, tu m'entends ? Si j'apprends que qui que ce soit t'as souillée, je me chargerais de te jeter, Fern. Ne m'oblige pas à en arriver là. Je tiens bien trop à toi...

Je me retiens de lui crier qu'il tient surtout à cette emprise qu'il a sur moi, que ça lui renvoie une sensation de puissance extrême. Et il prend sûrement ce silence comme la fin de la discussion. C'est ainsi que j'entends le « bip » sans fin qui annonce que votre interlocuteur a raccroché.

We start againWhere stories live. Discover now