Chapitre 21

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ELIK

Pendant la moitié du trajet, j'écoute Fern me parler de ses inquiétudes qui, pour la plupart, concernent Nell. Mais entre tous ces sentiments, elle me parle aussi de ses notes et ce que le lycée représente pour elle :

-C'est un peu ma seule façon d'être perçue par mes parents. J'ai parfois l'impression qu'ils jugent mon caractère en fonction de mes résultats. Si je suis bonne élève, alors je suis la fille modèle. Mais si j'ai un jour le malheur de ramener une mauvaise note, alors je déshonore la famille. Tu vois ce que je veux dire ?

Pas vraiment. Avec une famille comme la mienne (qui ne prend même pas la peine d'être là quand vous rentrez des cours), on a vite fait de se ficher de ce qu'ils pensent de nos résultats scolaires. Mais ça ne m'empêche pas de la comprendre pour autant : sans ses notes, elle n'est plus que la bonne à rien, attachée à un pauvre type.

-Ils me mettent une pression dont je me passerais bien parfois... tu ne crois pas que c'est déjà assez intimidant le lycée ? On n'a pas besoin du poids de ses parents en plus. On veut simplement qu'ils soient fiers de notre avancée dans le monde... pas d'une note ridicule.

Je hoche la tête, tout en voyant au loin le panneau d'entrée en Arizona. Il est tard dans l'après-midi. On a surtout roulé ce matin, avant de s'arrêter dormir un peu le midi et manger. Tout le monde disait avoir hâte d'arriver : c'est chose fait. On doit retrouver Thray à notre hôtel, qu'il nous paie.

Je jette un coup d'œil en direction de Fern et lui souffle :

-On y est.

Instantanément, son visage se métamorphose. Elle a l'air aussi excitée qu'apeurée. Mais son regard est vite attiré par son téléphone qui sonne, dans ses mains jointes. Elle fait signe de l'éteindre, mais quand elle lit qui l'appel, son geste se fige.

-Fern..., dis-je doucement, tu ne peux pas répondre.

-C'est...

-Nell. Je sais. Je m'en doute. Mais, Fern, bon sang... tu as écouté ce que je t'ai dit tout à l'heure ? Tu dois le laisser de côté, la douleur partira.

-Mais... deux secondes... je dois savoir.

Sur ce, elle décroche avec un petit « allo ? ». Je lui fais signe de mettre le haut-parleur en grognant :

-Fern ! Enfin. Je cherche à te joindre depuis ce matin.

Elle a l'air si frêle et vulnérable quand elle répond :

-Mon... j'avais éteints mon téléphone.

-Où es-tu ? enchaîne-t-il sans plus l'écouter que ça.

Fern me jette un regard, l'air de demander la permission de répondre. Je fais non de la tête mais elle souffle :

-Assez loin du Kansas.

-Bon sang ! Fern... tu sais que ta famille flippe ? Tu fugues maintenant ?

Sa voix est pleine de reproche et Fern a l'air d'une enfant qu'on vient de surprendre à voler des bonbons.

-J'ai laissé un mot sur la table de la cuisine, se justifie-t-elle platement.

-Rien à fiche de ton mot ! s'énerve Nell à l'autre bout du fil, rentre à la maison.

-Je suis assez grande pour...

-Pour quoi ? Te rebeller et faire ta petite crise d'adolescente pourrie gâtée ? Rentre.

Fern tremble à présent, Nell ayant plus l'air d'un père, qu'un petit-ami aimant.

-Tu sais ce qui t'attend à ton retour, crache-t-il encore.

Mon amie en a instantanément les larmes aux yeux. Nell l'effraie, autant qu'elle l'aime. Elle voudrait s'énerver, mais elle sait que ça serait vain. Alors elle se laisse faire. Quoiqu'elle dise, Nell trouverait un moyen de le retourner contre elle, de la faire culpabiliser. Elle le sait. Et c'est pour cela qu'elle se tait, elle ne veut pas empirer les choses.

-Nell, je...

-J'en ai assez entendu, Fern. Tu me quittes, c'est ça ? Tu en as marre de moi ? Dis-moi ce que j'ai fait de mal...

Il a l'air d'un amoureux éperdu... il joue si bien son rôle, le salaud. Evidement Fern entre dans son manège :

-Non ! Ecoute, Nell... je serais rentrée d'ici... une semaine ?

-Tu n'en as pas l'air si sûre que ça...

-Je suis en tournée, trahie-t-elle par amour.

Encore une chose qu'elle n'aurait jamais faite sans lui : trahir la bande. Elle s'en veut instantanément. Elle se plaque une main sur la bouche et laisse couler ses larmes silencieusement.

-Avec cette bande de gros nazes ?!

-Ce sont mes amis, Nell...

-Et cet Éric ? Il est avec toi, j'imagine ?

-Elik, corrige-t-elle.

Je sursaute quand elle prononce mon nom, c'est si rare. Et il est tellement beau dans sa bouche. C'est comme si elle chantait...

-Tu veux le baiser ?

-Oh mon Dieu, pleurniche Fern, non !

-Eh bien d'accord, ma belle, éclates-toi.

-Non, non, non. Nell, ce n'est pas du tout...

-Tu auras des nouvelles de Bethany, ma chérie.

Elle sert son portable tellement fort :

-Tu ne peux pas encore te la faire..., dit-elle sur un ton de supplication.

-Tu n'imagines pas combien je peux m'en faire en une semaine. Tu ne t'amuseras plus jamais à me quitter une seule seconde.

Il l'a manipule avec tant de facilité, il profite de l'amour qu'elle lui porte. Il s'en sert contre elle, le fils de pute.

-Nell, écoute je...

Il raccroche, laissant le téléphone parler pour lui. Je stoppe la voiture : nous sommes arrivés.

Fern est sonnée, elle n'agit plus que par des gestes mécaniques : elle ouvre sa portière, quitte le pick-up d'une lenteur déconcertante et s'appuie dessus.

-Fern ? j'entends Fynn s'inquiéter.

Je quitte à mon tour ma place à toute vitesse et les rejoins en disant :

-Nell a appelé.

Il ne leur en faut pas plus pour baisser le regard et se taire. Mais Thaïs ne comprend pas le message et plonge en plein dedans :

-Oh, j'imagine qu'il cherche à récupérer son joujou.

Fern s'écroule et je la rattrape de justesse, la prenant dans mes bras. Je lui murmure à l'oreille :

-Quand on rentre... fais-moi le plaisir de couper les ponts avec ce connard. Et ne le laisse pas entrer dans ta tête une seule seconde, le temps de cette tournée. Par pitié, Fern, sois forte. Ça ira mieux.

Je sais que c'est dur, qu'elle a encore beaucoup de chemin à faire. Mais elle ne peut plus se laisser marcher dessus ainsi, c'est inhumain. Jamais elle ne pourra tenir le coup. Elle doit combattre cet amour qui la détruit à petit feu... je dois l'aider.

We start againWhere stories live. Discover now