Chapitre 87

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HAILEY

La vie n'est plus qu'une longue attente de la mort dans les jours qui suivent la mort de Fynn. Mais la mort de qui ? Notre propre mort ? Celle de nos parents ? Celle de Thaïs ? On ne sait pas qui sera le prochain et ça nous ronge de l'intérieur. On n'a aucune certitude sur la mort et celle de Fynn nous l'aura prouvé. Elle vient quand elle veut et fait les dégâts qu'elle désire. Puis elle repart et revient quand ça lui chante.

On devrait profiter de l'instant présent. C'est ce que me dit mon père chaque jour et, il a foutrement raison. Mais nous en sommes tout simplement incapables, comme paralysés. Comme si nous avions peur de faire le moindre faux pas qui nous amènera à notre perte.

Profitez de vos proches tant qu'ils sont encore là. C'est ce que nous dit la mère de Fynn quand on passe prendre de ses nouvelles et, elle a foutrement raison. Mais nous en sommes tout simplement incapables, comme paralysés. Comme si nous avions peur de trahir Fynn en s'amusants sans lui. Nous n'avons pas revus Thaïs depuis l'enterrement et Fern et Elik ne s'embrassent plus en ma présence.

Ils ont tous foutrement raison. On doit profiter de l'instant, de nos proches et ne surtout pas croire, comme Fynn, que nous ne pouvons pas mourir à tout moment, si soudainement. Parce que, ouais, la vie est ainsi faite : éphémère et carrément imprévisible, invincible. On peut mourir à tout instant et de toutes les manières possibles. C'est dur à croire et complètement glauque, et c'est certainement pour ça que nous n'arrivons pas à avancer, qu'on stagne dans cette attente infinie.

-Hailey, tout va bien ?

Fern me sort de mes pensées en secouant sa main devant mon visage. Elle est certainement la moins triste d'entre nous. Pas parce qu'elle aimait moins Fynn ou encore qu'elle lui portait moins d'importance qu'à nous tous, mais parce qu'elle a vécue dans le noir pendant tant d'années avec Nell qu'elle s'est habituée au malheur. Elle s'est appropriée la tristesse et s'en est faite une alliée. Qui l'eut cru ? La plus ravagée de nous tous devient la plus enthousiaste à la fin de l'histoire.

-Hailey ? insiste-t-elle voyant que je recommence à rêvasser. Tu as du mal avec la concentration aujourd'hui, dis-moi.

Elle plaisante mais ça m'énerve de constater qu'elle a raison. Ça m'énerve de constater que ça fait déjà plus d'un mois que Fynn est mort et que cette peine ne passe toujours pas. Ça m'énerve de constater qu'on n'oublie pas aussi vite, qu'il faut du temps et que je ne suis pas si patiente que je le croyais. Ça m'énerve de constater que ma voix a perdue de son éclat, que le soleil s'est assombrie et que tout semble morose à présent.

-Laisse-la, j'entends Elik lui murmurer, elle a sûrement besoin de se retrouver en tête-à-tête avec elle-même... ce n'est pas facile.

Ça m'énerve de constater qu'Elik s'en sort si bien grâce à Fern. Ça m'énerve de constater que je suis devenue celle qui a « besoin de se retrouver en tête-à-tête avec elle-même ».

-On reprend ? demande-t-il à Fern, comme pour détourner son attention.

J'entends la guitare et les essaies misérables de Fern sur la batterie de Fynn. Elle s'est mise en tête qu'elle pourrait remplacer Fynn et qu'on pourrait poursuivre notre rêve de groupe. Mais la triste réalité refait toujours surface à chaque coup de baguette qu'elle impose à la pauvre batterie.

-Je suis nulle, s'épouvante-t-elle.

Je ne la contredirais pas là-dessus. Ça fait des semaines qu'on persiste à se retrouver dans le sous-sol et je me demande encore pourquoi on insiste autant. Fynn est mort et Thaïs a désertée. Elle n'avait pas vraiment une place très importante dans notre troupe, mais on commençait à s'habituer à sa présence. C'est comme si nous venions de perdre deux membres du groupe en même temps. Nous ne sommes plus qu'un duo, ils vont devoir s'y faire.

-Tu as juste besoin d'un peu d'entrainement, la rassure Elik.

-C'est ridicule, je souffle malgré moi.

Elik et Fern redressent la tête dans une parfaite synchronisation, alors j'ajoute :

-C'est vrai, quoi ! Tu vas apprendre à jouer et ensuite ? On va partir tous les trois en tournée et s'éclater ? On va philosopher sur la vie et rire de nos malheurs ? On va déclarer notre amour et pleurer ensuite parce que c'est plus compliqué qu'on croyait ?

Je lève les bras au ciel :

-Sans Thaïs ? Sans Fynn ? Rien que tous les trois ? Vous ne trouvez pas qu'il manque quelque chose ? Que ça fait un peu vide ?!

Devant la mine mortifiée de Fern, je me sens pathétique. Ils veulent simplement se relever et continuer à avancer, à se battre. C'est ce que Fynn aurait voulu. C'est ce qu'il faut faire. Mais je ne m'en sens pas capable.

-Désolée..., je chuchote presque, je n'en suis pas.

-Hailey...

Je commence à tourner les talons, à les quitter, à essayer de remettre mes idées en place. J'ai besoin d'un certain temps toute seule, pour me reconstruire et retrouver la force de les regarder en face. Retrouver la force de sourire et de dire « je vais bien » honnêtement quand on me demande des nouvelles.

-Je reviendrai, j'affirme en ouvrant la porte. Je ne veux pas empiéter d'en votre envie de bien faire et d'aller de l'avant.

Quand je claque la porte derrière moi, je ne sais pas pour combien de temps je pars. Et si c'était pour toujours ? Et si c'était la dernière fois que je les voyais ? Et si on n'arrivait jamais à revenir les uns vers les autres ? Et si le départ de Fynn nous avait trop meurtris ? Toutes nos certitudes ont volées en éclats et je ne suis même pas capable de faire face. Moi qui me croyais forte...

We start againOù les histoires vivent. Découvrez maintenant