Chapitre 43

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FYNN

Quand je rentre finalement avec Thaïs à l'hôtel, elle fonce sans un bruit sous la douche. Je n'ai pas le droit à un seul regard. Génial, retour à la case départ. Un pas en avant pour trois pas en arrière. C'est bien nous ça. Je n'arrive toujours pas à croire que je dors avec elle, dans le même lit. A des kilomètres de chez nous. Ça ne fait pas plus de deux semaines que nous sommes partis et pourtant, tout ça me semble si loin. A des années lumières d'ici. Le changement de Thaïs ne peut plus être ignoré, elle fait de gros efforts et j'ai parfois l'impression qu'elle prend véritablement plaisir à se retrouver avec nous. Avec moi. J'espère ne pas me tromper, j'espère ne pas finir dévasté. Bien que je le sois déjà pas mal...

C'est insoutenable de me retrouver à l'hôpital comme tout à l'heure, de la regarder dans ce lit et me dire que « la prochaine fois, ça sera peut-être la dernière ». C'est insoutenable de ne rien savoir sur elle, sur sa maladie et notre histoire. Je voudrais avancer à ses côtés, mais les circonstances ne sont pas propices à cela. Notre histoire ne débutera jamais, je peux le dire d'avance. Pour la simple et bonne raison que ça finira forcément mal, alors, pourquoi commencer quelque chose de voué à l'échec ?

C'est assis au bord du lit que Thaïs me découvre en sortant de la douche, les cheveux dégoulinant d'eau et une simple serviette autour de son corps. C'est insoutenable de l'avoir si proche, et pourtant si loin. Inaccessible. Elle semble se figer et resserrer sa prise autour de la serviette. Son regard méfiant ne quitte pas le mien, comme si elle me mettait au défi de faire un pas vers elle, d'oser tout chambouler.

-Je ne voulais pas que ça se passe ainsi, dit-elle enfin. C'était censé être simple : je m'échappe et je profite à fond de mes derniers instants. Je n'avais pas prévu...

Elle s'arrête et j'aime à penser qu'elle voulait dire : « je n'avais pas prévu de tomber amoureuse de toi, Fynn ». Elle secoue la tête et poursuit, les larmes aux yeux :

-Tout devait ressembler à un film. Dans ma tête, rien ne pouvait mal se passer. Dans ma tête, je ne m'écroulais pas de fatigue et je ne finissais pas à l'hôpital. Dans ma tête, ça ne devait être que du bon. Pas de frayeur et de retardement en tout genre. Je ne veux pas être un poids pour vous, Fynn.

Je me décide finalement à me lever, mais elle recule lentement, continuant :

-Je ne veux pas être un poids pour toi. Ni maintenant, ni le jour de ma mort. Je veux...

-Thaïs...

-Je veux ton bonheur, souffle-t-elle, je veux que tu puisses en aimer une autre, le jour où...

-Thaïs.

Elle pleure à chaudes larmes cette fois-ci :

-J'ai menti. Je regrette tellement notre passé, Fynn. Je regrette de ne pas avoir été à tes côtés tout ce temps, d'avoir été si mauvaise et de l'être encore un peu parfois. Je regrette de ne pas être assez bien pour cette vie, pour la vie en général. J'aurais aimé la passer avec toi, ma vie.

Avez-vous déjà entendu un cœur s'arrêter de battre ? J'ai cette impression que mon cœur s'est figé dans ma poitrine, qu'il n'ose plus faire un bruit.

-Tu le peux, je murmure. Tu es encore là, Thaïs. Bien vivante. Tu es à mes côtés, maintenant, et jusqu'à ce que mort s'en suive. Je refuse de t'écouter baisser les bras, je refuse de t'entendre dire que tu ne mérites pas tout ça.

Je m'avance petit à petit, tandis qu'elle continue de reculer :

-Tu mérites cette vie, ce court répit qu'on t'offre.

-Mais...

-Et je refuse que tu me balances au visage que tu espères que j'en aimerais une autre. Je poursuivrais ma vie en ton honneur, Thaïs. Mais jamais je ne laisserais qui que ce soit te remplacer. Je t'aimerais toujours, comme je l'ai toujours fait. Même si ce n'est pas réciproque.

J'avance encore d'un pas et elle achève sa marche arrière contre un mur, complètement bloquée :

-Et tu veux savoir la meilleure ?

Elle baisse le regard, alors j'avance encore d'un petit pas pour prendre son menton entre mes doigts et lui redresser la tête. Ses yeux m'ensorcèlent :

-Je t'aime depuis si longtemps que, même si je le voulais, je ne saurais pas comment cesser de t'aimer.

-Fynn...

Je ne lui laisse pas le temps de parler. Je sais ce qu'elle va dire, elle le dit en boucle depuis qu'on est gamins. Nos vies ne concordent pas, ça ne peut pas fonctionner. Et maintenant, elle va mourir, alors elle ne veut pas commencer quelque chose qu'elle ne pourra jamais achever. Mais il est grand temps qu'elle recommence à ne penser qu'à son petit nombril et qu'elle oubli le fait qu'elle peut me briser à jamais. Il faut qu'elle pense à son bonheur, c'est la priorité, c'est elle la mourante. Alors je l'embrasse en me disant que peut-être, nos vies concordent enfin. Peut-être avons-nous enfin appris à trouver un juste milieu pour cet amour bousillé et improbable.

Je passe ma main sur sa nuque et j'essaie d'imprimer en moi chacun de ses gémissements et de ses mouvements. Je veux me souvenir de tout. Et la voilà qui murmure contre mes lèvres :

-Mon cœur bat si vite...

Et voilà mon propre cœur qui répond : jamais je n'aurais cru être si proche de toi un jour, pourtant je l'ai maintes fois rêvé. J'ai rêvé de ça tant de fois que je n'y croyais plus, c'était devenu aussi improbable qu'un rayon de soleil en plein hiver et un vent frais en pleine canicule. Pourtant, comme celui qui meurt de chaud, je n'ai jamais cessé d'attendre cette brise. Je n'ai jamais cessé d'espérer ce rayon de soleil sous cette pluie mordante. Toujours, je t'ai attendu. Sans relâche.

-Je crois que c'est moi qui vais mourir, j'annonce en l'entraînant vers le lit.

Son rire transperce la pièce quand elle tombe sur le matelas et qu'elle se débarrasse de sa serviette en vitesse. Tellement pressée et toute à moi.

Enfin.

We start againWhere stories live. Discover now