Chapitre 68

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HAILEY

-Pourquoi est-ce que tu n'es toujours pas là ? s'impatiente Fynn au bout du fil.

-Tu es certain de ne pas me voir ? je grince des dents, honteuse.

Je n'ai pas osé avouer à mon ami que je ne pourrais pas être présente lors de son mariage et, le voilà qui se rend compte que je ne suis finalement pas présente le jour J. Je m'en veux, j'en veux à mon père et à mes foutues rondeurs. Comment une simple histoire de graisse peut-elle m'empêcher de vivre pleinement et d'être présente pour mes amis ?

-Hailey, si tu étais là je le saurais..., commence-t-il à bouillonner, on te voit à des kilomètres !

-Tu...

Il vient de dire que...

-Sale petit... !

-Attention ! s'exclame-t-il, se rendant compte de sa bourde. Ça ne veut pas dire que tu es si grosse que... enfin tu comprends. Je ne voulais pas te traiter d'obèse en disant ça. Ce que je voulais dire...

Je l'entends dire à quelqu'un qu'il arrive dans cinq minutes, il râle doucement et reprend sa phrase :

-Tu prends beaucoup de place. Mais je ne parle pas de ton corps quand je dis cela, je parle de ton caractère. Ton âme emplie toute la pièce, ok ? Je sais que tu ne crois pas à ces machins beaucoup trop romantiques, mais... accepte-le pour cette fois d'accord ? Tu me le vaux bien, après tout, t'es en train de louper mon mariage !

Je lève les yeux au ciel et souffle dans le combiné, ce qui le pousse à poursuivre :

-Pour en revenir à ton âme...

-N'en reviens pas à mon âme.

-Pour en revenir à ton âme, insiste-t-il malgré mes protestations, on ne peut pas la rater. T'as un caractère si dévoué, attentionné... Tu es toujours présente pour nous, mais tu sais aussi tourner le dos, à Elik par exemple, quand c'est bon pour la personne en face de toi. Ce que j'essaie tant bien que mal de te dire, Hailey...

-N'essaie pas, pitié...

C'est trop humiliant. Il va se marier et le voilà qui perd son temps à rassurer une grosse qui n'en vaut même pas la peine.

-Ce que j'essaie de te dire, reprend-t-il, c'est que je peux m'endormir tranquille en me disant que je t'aurai toujours à mes côtés, que grâce à cela... rien ne pourra jamais m'arriver.

-Fynn... c'est Thaïs que tu épouses aujourd'hui.

-Oh arrête ! Je veux simplement que tu aies plus confiance et que tu arrêtes de te renfermer automatiquement dès qu'une petite phrase te rappelle ton poids.

Je souffle de nouveau et avoue :

-Tu sais... j'aurai aimé être présente aujourd'hui. Tu mérites tellement tout ça, bien plus que Thaïs.

-Hailey..., me prévient-il d'un ton menaçant.

-Je plaisante ! Vous vous méritez tellement l'un et l'autre. Vous vous complétez à la perfection. Tu es le jour et elle la nuit. Tu es le chaud et elle le froid. Toi le Ying et elle le Yang.

Il glousse au bout du fil et je sens un petit sourire se former au coin de mes lèvres :

-Profite de ton moment, Fynn.

-De nôtre moment. S'il te plait, cesse de refouler Thaïs à chaque fois...

-Oui oui...

Heureusement qu'il ne peut pas voir mes yeux, sinon ils les verraient se lever d'exaspération.

-Tout ça pour dire que...

-Tu n'as pas besoin de parler, Hailey, ni même d'être présente. Je sais. Je sais que tu ne souhaiteras jamais que mon bonheur.

Une larme solitaire ruisselle le long de ma joue quand je murmure, espérant qu'il ne m'entende pas :

-J'espère que je ne suis pas en train de te perdre définitivement.

J'ai peur que tout ça : cette tournée, ces romances à l'eau de rose, ces déceptions... J'ai peur que cela brise à jamais notre groupe. J'ai peur que le fait de sortir de notre zone de confort nous conforte dans l'idée qu'il ne faut plus jamais en sortir, justement. J'ai peur que toute cette histoire se termine trop vite et qu'on n'ait pas le temps de la vivre à fond. Et ce mariage, cette mort qui les poursuit... j'ai si peur qu'elle n'enferme Fynn dans la même détresse que Fern et Elik. Je ne veux pas risquer de perdre un ami de plus.

-Quoi qu'il advienne, Hailey, qu'on soit séparés par la mort comme par le courant de la vie... n'oublie jamais cet instant.

-Quel instant ?

-Celui où je te dis qu'il y aura forcément quelque chose de plus puissant que nous qui nous séparera tous un jour mais que... notre amour collectif, ce besoin de se retrouver fréquemment, de s'aider, de s'encourager, bon sang ! Ça, ça restera. Ça, on ne pourra jamais s'en séparer, jamais on ne pourra l'oublier. Cette façon dont notre amitié aura été fidèle jusqu'au bout.

La larme solitaire se fait une amie, puis deux, puis trois...

-Tu sais qui s'est qui m'a appris cela ? me questionne-t-il ensuite. Qui m'a aidé à y voir plus clair entre toutes ces larmes ?

Je secoue la tête mais il ne peut pas me voir.

-C'est Thaïs, dit-il quand même. Thaïs qui aurait tant aimé pouvoir vivre ce genre d'amitié plus tôt, qui a eu peur de la puissance de notre amour, qui... qui va mourir sans jamais n'avoir connu ça.

Je comprends la suite de ses pensées sans même qu'il ne prononce un mot : « Moi, je peux mourir en paix à présent. J'ai été amoureux et j'ai eu des amis en or. Je voudrais mourir à sa place, pour lui laisser cette chance à elle aussi. Tout le monde devrait connaître cette sensation avant de mourir ». Mais il ne dit rien. Il parle de nouveau à quelqu'un derrière le fil :

-J'arrive.

Sa voix est bourrée d'appréhension et je comprends soudain qu'il va rejoindre sa fiancée. C'est leur grand moment. Et il a décidé de me parler, à moi, avant le plus beau jour de sa vie.

-Bientôt la retraite, je lui souffle en guise d'encouragements.

-Merci, Hailey. Merci pour tout. Pas seulement pour tout ce que tu as fait maintenant, mais aussi pour toutes les autres fois où tu m'as transmis un peu de ton courage.

S'il savait combien je suis effrayée, il ne me parlerait pas de courage...

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