Chapitre 9

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ELIK

Ce matin, je suis bizarrement le premier à arriver au sous-sol. Je trouve bon de faire cette précision, parce qu'en trois années de lycée, ça a dû arriver très exactement... zéro fois. Fynn est toujours là, au moins cinq bonnes minutes avant mon arrivée, puis celle d'Hailey et Fern quand elle daigne lâcher Nell. J'ai cherché à le joindre hier soir, sachant qu'il avait été tout chamboulé les trois jours précédents, suite à l'hospitalisation de Thaïs, mais il n'a apparemment répondu à personne. C'est son truc : se renfermer sur lui-même à la moindre galère. Il ne nous laisse pas la possibilité de l'aider, préférant ignorer nos appels. J'étais comme ça avant...

Je hausse finalement les épaules, ne cherchant même pas à le rappeler et me dirige vers ma guitare. C'est glauque. Je suis seul, avec pour seule compagnie ma guitare. Je m'étais pourtant juré de ne plus passer une seule seconde en tête-à-tête avec moi-même. Je sais où ça me mène : je pense à Sawla, qui me quitte, m'annonçant qu'elle pense encore à son ex. Elle me laisse seul, seul, seul. Je ne dois plus jamais être seul. Depuis qu'elle est partie, je surcharge mon emploi du temps, je m'occupe, afin d'occuper mon esprit par la même occasion. Je ne peux tout simplement pas penser à elle alors qu'elle pense à un autre, c'est inhumain, ça me tue.

Je gratte les cordes de ma guitare comme un fou, je chante dans ma barbe, même si la chanteuse ici, c'est Hailey. J'essaie de tout mon cœur de me fondre dans la musique, d'oublier son visage. Mais plus je pense qu'il faut arrêter d'y penser, plus je la vois. Je l'imagine aux bras de son ex, lui souriant comme elle me souriait, riant à ses blagues. Je l'imagine en train de m'oublier, parce qu'elle, elle a ce pouvoir sur moi, elle a la possibilité de passer à autre chose. Moi, je ne suis plus qu'un déchet ambulant, regrettant le passé, me disant que je n'ai tout simplement pas été assez bien pour elle. Et je n'arrive pas à lui en vouloir de m'avoir abandonné pour un autre, je l'aime. Et si son bonheur n'est pas à mes côtés, certes... dans ce cas-là, elle a bien fait de partir.

Je prends quelques notes sur mon carnet, des idées de futures chansons. Je continue à jouer, coûte que coûte. J'ai toujours fait ça : continuer à avancer malgré la douleur. Je me dois d'être là pour le groupe, je me dois d'aider mon amie Fern à oublier Nell, je me dois d'aider Hailey à décomplexer sur son poids et par-dessus tout, je me dois d'aider Fynn à poursuivre sa vie avec l'idée que Thaïs n'est tout simplement pas faite pour lui. C'est avec ces pensées, que je m'en sors toujours, que j'arrive à sortir la tête de l'eau. Je dois me sentir utile aux autres, les faire passer avant mes problèmes. Ça me permet de m'oublier moi-même et par la même occasion, oublier mes propres ennuis, oublier son regard...

Je chante carrément cette fois, hurlant presque, m'époumonant. Je n'entends ni la porte s'ouvrir, ni ne voit Fynn apparaître sur son seuil, avant qu'il me demande :

-Tu t'improvises chanteur ?

Je le suis des yeux, jusqu'à ce qu'il s'assoit par terre face à moi. Il soutient mon regard un long moment, avant de n'en plus pouvoir et baisser les yeux. C'est bien Fynn ça : faire le malin, être sarcastique et ironique, puis se rendre compte que c'est stupide et abandonner.

Je pose ma guitare contre la scène et me lève lentement, marchant jusqu'à lui :

-Tu n'as pas entendu le réveil ?

Il hausse les épaules avec un sourire en coin, comme si son état pitoyable n'était qu'une triste blague. Et je pense alors que c'est plus simple de tout garder pour nous, ça rend les choses moins réelles, moins importantes. Si on ne les partage pas, on peut les laisser s'effacer lentement en nous, sans avoir constamment besoin d'en parler avec autrui.

-Thaïs est sortie de l'hôpital aujourd'hui, déclare-t-il d'un trait, elle revient au lycée lundi.

Je ne comprends pas de suite pourquoi ça l'affecte autant cette histoire, puis j'essaie de me mettre à sa place. Il a sûrement peur qu'elle ne soit plus comme avant, qu'elle n'ait plus la force de lui renvoyer ses piques. Ou encore, il a peur de ne carrément pas lui balancer toutes ces choses à la figure, à présent. Il sait déjà que ça ne sera plus jamais pareil entre eux, parce que ça a déjà commencé à changer en lui. Il vient de perdre son ennemie jurée pour peut-être, laisser place à une connaissance. Et connaissance, ça rime avec platonique, chiant, et pas du tout amusant comme toutes ces farces qu'ils s'échangeaient.

-Je suis certain qu'elle nous reviendra encore plus... garce ? Bruyante ? Narcissique ? Tellement de bons adjectifs..., dis-je d'un air penseur.

Fynn se marre tout seul, recroquevillé dans son coin quand soudain, la porte s'ouvre de nouveau, laissant cette fois entrer Hailey et Fern :

-Hello, nous salue Hailey, j'ai kidnappée Fern à l'entrée du lycée.

Je lance un petit regard en coin à Fynn, lui donnant un coup de coude :

-En voilà une bonne nouvelle, souris un peu !

Il me renvoie mon air enthousiaste et je lui suis franchement reconnaissant de faire disparaître le regard de Sawla deux secondes...

On va tous s'installer contre les marches, ne cessant de questionner Fern à propos de Nell. Cette dernière a l'air totalement embarrassée, comme si elle était prête à partir en courant.

-Si vous saviez comme je m'en veux, tellement... Parfois je suis encore plus en colère contre moi-même que lui.

Je sais pertinemment que tout le monde se sent absolument impuissant face au problème de notre amie. Fern elle-même ne sait plus comment agir. Et ça dure depuis tellement longtemps maintenant, que c'est devenu presque normal, comme une habitude qui s'est fondue en nous...

( Elik en média )

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