Chapitre 20

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FERN

Je mentirai en disant qu'il ne me manque pas une seule seconde. Parce qu'il me manque cruellement, je le vois absolument partout et, quoique je fasse, ça me le rappelle. Il est devenu mon monde. Il est partout en moi. C'est là ma plus grande erreur : le laisser s'installer dans ma vie, dans mon cœur. Il a pris tout ce qu'il pouvait trouver sur son passage et se l'est approprié. Je ne possède plus rien. C'est lui qui dirige mon univers. Je ne sais plus comment avancer sans ses pédales. Je ne sais plus où regarder sans son regard qui attire le mien.

-Tout va bien ? me demande Elik.

Je tourne lentement la tête vers lui. Il est occupé à conduire, mais ça ne l'empêche pas de me lancer de petits regards de temps à autre, pour s'assurer que je tiens le coup. Mais plus je m'éloigne de Nell, plus c'est dur à supporter. Il s'en rend bien compte, il est passé par là. C'est pour cela que, sans répondre à sa question, je demande :

-Combien de temps il me faudra pour l'oublier ?

-Complètement ?

Je hoche la tête.

-Jamais.

J'écarquille les yeux à cette réponse beaucoup trop brusque à mon gout, comme si tout espoir était perdu. Il pousse un profond soupir et serre le volant entre ses mains :

-Tu ne l'oublieras jamais totalement, Fern. Tu dois juste apprendre à vivre sans. C'est là toute la différence. Perdre quelqu'un alors qu'on l'aime encore, c'est très dur.

Il réfléchit un peu avant de poursuivre :

-Tu l'aimeras toujours, parce qu'avant de le quitter... tu n'as pas eu le temps de le détester. Alors tu t'attaches à cette fausse image de lui. Et tu l'aimes désespérément. Et...

Il pousse un soupir déchirant, prouvant qu'il pense lui-même encore à la personne qu'il a perdue, il y a des années de cela maintenant :

-Et ça peut durer des années, sûrement toute une vie... les souvenirs restent à jamais en toi, Fern.

-Alors je souffrirais toute ma vie ?

Il me sourit timidement. Je ne l'ai jamais vu aussi gêné quand il me dit d'une petite voix :

-Non ! Non, tu ne souffriras plus. Quand tu rencontreras quelqu'un et que tu laisseras ton cœur l'aimer, tu ne souffriras plus.

-Mais...

-C'est l'étape la plus difficile, poursuit-il, il en faut du courage pour replonger dans ce qui t'as fait du mal auparavant. Mais c'est aussi ce qui te fera du bien... l'amour est un grand paradoxe, Fern. Mais tu ne dois pas te laisser effrayer par un échec. Il y a encore pleins de victoires qui t'attendent.

Je joue avec mes doigts, ne sachant plus quoi dire. Je regarde droit devant moi, la route défile à toute vitesse.

-Tu veux que je t'avoue quelque chose ? souffle finalement Elik en me jetant un regard empli de tristesse.

Je hoche de nouveau la tête, ayant perdu l'usage de la parole.

-Je ne pense pas pouvoir oublier Sawla un jour. Et je l'aime, tu sais. Je l'aime alors qu'elle m'a montré son pire visage, alors qu'elle m'a trahie et délaissé comme un vieux jouet dont on ne veut plus.

Silence. Je ne sais toujours pas quoi lui dire. J'ai l'impression que je serais à côté de la plaque, quoique je dise. Il continue pourtant :

-L'amour... ça ne part pas. Quand on aime vraiment je veux dire. Les petites amourettes, ça s'oublient vites. Mais je parle du coup de foudre, celui qui te retourne le cœur, celui pour qui tu es prêt à tout, celui dans lequel tu t'abandonnes totalement jusqu'à en avoir mal. Tu y laisses une part de toi-même dans ce petit coup de cœur. C'est pour cela que quand tout se termine, tu ne peux oublier : tu y as laissé un bout de ton cœur.

-Alors je dois juste avancer sans lui...

-Oui, Fern. C'est ton premier véritable amour, c'est pour cela que ça fait si mal...

Je regarde pendant un instant par ma vitre, laissant Elik m'expliquer :

-Le premier amour... c'est celui que tu aimes tellement qu'il peut te faire tout le mal du monde, tu lui donneras raison et tu le pardonneras. Tu le pardonneras alors qu'avant, tu ne l'aurais jamais accepté.

Je suis totalement démunie. Je me rends alors compte que tout ce qu'il me dit est vrai. J'ai pardonné tant de fois Nell. Je me disais toujours, après coup, que j'étais stupide et inconsciente. Qui pardonnerait pareille humiliation ? Je m'en voulais à moi-même d'être si faible. Mais je recommençais toujours, par amour. J'en voulais toujours plus de lui, même si ça signifiait souffrir ensuite.

-Le premier amour, dit Elik, c'est celui qui va t'aimer tellement fort, qu'il te fera forcément mal, parce qu'il ne sait pas encore comment s'y prendre. Et toi non plus, tu ne sais pas où te placer dans tout cet amour qui t'étouffe.

-Je...

-Le premier amour, me coupe-t-il encore, c'est celui qui te changera, qui te fera grandir et voir le bon de ce monde, comme le mauvais. Tu en ressors forcément différente. Tu auras appris beaucoup à ses côtés. Et tu seras totalement déboussolée après son départ.

-Alors...

-Alors tu dois tout refaire, Fern. Tu dois tout réapprendre.

J'ai définitivement perdu tout espoir. Je ne crois pas être capable de surmonter tout ça. Le poids de Nell pèse encore trop lourd sur mes épaules.

-Merci, dis-je alors à Elik, je ne sais pas trop quoi te dire d'autre. Merci d'essayer de m'aider...

Je voudrais rajouter : « Merci, mais je pense que dans mon cas, c'est inutile. Je ne pourrais pas faire ma vie sans lui. Ça fait pas mal de temps que j'essaie, tu sais. Mais je n'ai jamais réussi, alors pourquoi maintenant ? »

We start againOù les histoires vivent. Découvrez maintenant