Chapitre 41

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THAÏS

Quand Fynn me rejoint dans la chambre, il me découvre à moitié en train d'agoniser. Ce n'est pas comme la dernière fois, je pense direct. C'est bien plus fort, bien plus effrayant. Puis je me dis : cette fois, mon cancer me tient éveillée, il ne veut pas que je tombe dans les pommes. Il veut que je souffre. Cette simple pensée suffit à me faire ouvrir grand les yeux et paniquer encore plus. Fynn voit de suite le changement qui se produit en moi :

-Bon Dieu, Thaïs !

Il se jette à mes côtés, sur le sol gelé de notre petite chambre d'hôtel, à l'autre bout du pays. Je suis en train de mourir à l'autre bout du pays.

-Thaïs, murmure Fynn.

Voyant que je ne réagis pas, il pose sa main sur ma joue et tente d'attirer mon regard :

-Thaïs, regarde-moi. Tout va bien aller...

Il n'en est lui-même pas convaincu, personne ne sait rien à rien. Mon cancer n'est qu'un point d'interrogation. Et puis d'où vient-il d'abord ? Je ne m'étais pas penché sur la question jusqu'à lors mais... un cancer des poumons ? Alors que personne ne fume dans mon entourage et que je n'ai aucun antécédent cancéreux ? Le sort est contre moi... 

-Fynn...

J'essaie de toutes mes forces. J'essaie de parler, de respirer, de garder les yeux ouverts sur son beau visage. Mais je sens que quelque chose m'attire ailleurs. Je sens déjà mes muscles s'apaiser et mon cerveau abandonner. C'est au-dessus de mes forces. Je crois que Fynn pleure à mes côtés, mais je ne peux en être certaine. Je plonge déjà dans un sommeil profond. Le monde tourne.

                              ***

-... de la folie, vous devez rentrer chez vous...

La première chose que mon esprit capte à mon réveil est une voix féminine, paniquée et un brin désolée. Quand je tente de me redresser, je suis stoppée dans mon élan par une main qui se pose sur mon épaule. Je relève la tête. Fynn.

-Tu devrais y aller doucement...

Il a une mine à faire peur. Je m'en veux instantanément de lui causer tant de soucis. Il s'inquiète. Il stress pour moi. Il m'aime. Cette évidence me rend toute chose quand je le regarde à nouveau. Bon sang.

-Fynn... oh mon Dieu, je suis...

Je regarde aux alentours. La chambre dans laquelle je me trouve est entièrement peinte en blanche et un rideau la coupe en deux, afin d'accueillir une seconde personne. Aucun doute à présent : je suis bien dans un hôpital. Encore.

-Je suis un boulet ambulant, je me lamente en me renfonçant dans mon lit et fermant les yeux pour réfléchir.

Sa main toujours sur mon épaule se resserre un peu, quand il demande à l'infirmière :

-Quand pourrait-elle sortir ?

J'entends quelqu'un souffler, puis :

-La coutume serrait d'appeler ses parents, afin qu'ils viennent la récupérer eux-mêmes. Je ne peux pas vous laisser partir et aggraver son cas.

-Mais mon cas est déjà au plus bas ! je hurle. Vous le voyez bien : je me suis effondrée de fatigue.

L'infirmière me jette un petit sourire professionnel quand elle m'apprend :

-En fait, non. Vous êtes tombée dans les pommes pour bien plus que ça. La fatigue n'en est qu'une infime cause. On peut ajouter le manque de nutrition et le stress d'être si loin de chez vous.

Je ne suis pas stressée. J'ai simplement des tas de questions qui tournent en rond dans ma tête et qui ne concernent pas que mon ancienne vie. Il y a aussi et surtout Fynn...

-Je n'arrive plus à avaler quoique ce soit depuis des jours, j'explique. La faim ne se fait plus ressentir, alors j'oublie que je suis censé me nourrir.

-Forcez-vous. Je ne vois pas d'autre issue.

-Je vomis tout ce que j'ingurgite.

Je regrette cette phrase à la seconde où je vois le visage de l'infirmière se déformer, puis qu'elle répète :

-Vous devez rester.

-Non !

-Vos parents...

Je secoue la tête, dépitée. Et voilà, comment je mets la tournée de Fynn à néant. Mes parents vont débarquer et tous nous ramener.

-Ils sont en droit de savoir comment vous vous portez, ajoute-t-elle.

-Je vais simplement les appeler, je tente en cherchant mon téléphone.

-Et leur dire où vous vous trouvez.

Je lui lance un regard si noir que j'ai peur de la transpercer. Elle a un mouvement de recul :

-Je vais les appeler et leur expliquer la situation. Après ça, vous nous laisserez partir. On doit continuer ce voyage, c'est mon dernier vœu avant de mourir. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour abandonner maintenant et encore moins pour les abandonner eux.

Elle hoche enfin la tête, comme si elle comprenait seulement maintenant l'importance de toute cette histoire :

-Je vais vous laisser un peu d'intimité.

Sur ces belles paroles, elle quitte ma chambre.

                                ***

-Oui, maman, je me sens bien.

Je mens évidemment. C'est ce que j'ai toujours su faire de mieux dans ma vie. J'ai menti à l'infirmière en disant que j'avouerais tout à ma mère et je mens à ma famille en disant que tout va pour le mieux et que « j'avais simplement besoin de voir du pays, avant... vous savez quoi ». Je ne veux pas les inquiéter, encore moins leur donner une raison de me ramener à la maison.

-On t'aime, Thaïs, de tout notre cœur. Tout ce que nous voulons c'est ton bonheur et si c'est avec...

-Fynn, je souris en regardant ce dernier. Je suis heureuse, maman.

Cette fois, je ne mens pas. Pour la première fois de ma vie, ces paroles sont authentiques. Ma mère a dû s'en rendre compte parce qu'elle se met à pleurer en disant :

-Je suis si fière de toi, tu as tellement grandis... ma puce.

Et elle pleure encore plus en voyant que je ne la rembarre pas, que je ne lui hurle pas de ne plus jamais m'appeler ainsi.

-Je vais te chercher de quoi t'hydrater, me glisse Fynn avant de quitter la chambre à son tour.

Je soupir d'aise. Je suis dans une chambre d'hôpital, avec un cancer bien avancé et je viens de faire une crise. Pourtant, je ne changerais cette vie contre rien au monde.

-Maman ? je l'interpelle, soudain sérieuse.

-Thaïs ?

-Je... en fait, je crois que je l'aime... vraiment.

J'entends comme un gloussement à l'autre bout du fil, ce qui me fait instantanément grogner et rougir :

-Tu crois ? Oh, ma puce... tu n'as jamais été très fortiche question émotions.

Silence.

-Comment sait-on qu'on est amoureux ? j'ose demander.

Je n'arrive pas à croire que j'ai cette conversation avec ma mère. A propos de Fynn.

-Quand l'envie de partir est aussi forte que l'envie de rester...

-Pourquoi voudrait-on partir si on chéri cette personne ?

-Parce que, Thaïs, l'amour ça fait peur. L'humain à peur de tout ce qu'il ne contrôle pas et... on ne choisit pas de qui on tombe amoureux, on n'arrive pas à comprendre cet attachement si soudain et cette dépendance. Ça fait peur, de se rendre compte que, si cette personne part... alors on n'est plus rien. Ça fait peur parce qu'au fond, on sait que ces choses-là ne durent pas et... on sait qu'il y a une date d'expiration. On veut alors pouvoir contrôler cette fin. On veut partir avant l'autre, pour éviter les dégâts.

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